Politique d'action culturelle
à la médiathèque François-Mitterrand de Poitiers
Jean-Marie Compte
La médiathèque François Mitterrand de Poitiers a ouvert ses portes au public en ayant soin de montrer qu'elle était capable de mettre en oeuvre une politique d'action culturelle exigeante. Un des axes qu'elle privilégie concerne la littérature contemporaine de création. Elle se fonde sur un partenariat et permet de développer des actions qui intéressent tous les secteurs de l'établissement. Elle leur offre la possibilité d'afficher une identité propre qui fédère les initiatives autant qu'elle permet au public d'aller vers de nouveaux horizons.
When it opened, the multimedia library of Poitiers has taken care to show it could implement a demanding cultural action policy. One of the lines it favours concerns the contemporary creation literature. Founded on a partnership, it allows all the departments to develop actions. It offers them the possibility to have their own identity which assemble the initiatives as well as it makes the public able of going towards new horizons.
Die Mediothek François Mitterrand in Poitiers wurde veröffentlicht mit der Absicht, deren Fähigkeit im Bereich einer anspruchsvollen kulturellen Wirksamkeit zu beweisen. So hat sie mit der zeitgenössischen Schöpfungsliteratur eine bevorzugte Linie gewählt. Diese Politik fußt auf einer Partnerschaft und mag heute Wirkungen durchführen, die alle Abteilungen der Anstalt betreffen und deren eigene Identität bewahren: so werden alle Initiativen vereinigt, indem man dem Publikum neue Aussichten anbietet.
La médiathèque François-Mitterrand de Poitiers a ouvert ses portes au public le 7 septembre 1996. Si la naissance d’une bibliothèque publique est synonyme de fête, les événements qui ont accompagné l’ouverture du nouvel établissement culturel poitevin indiquent bien le chemin suivi dès avant sa création. Ici, ce qu’il est convenu d’appeler l’action culturelle correspond à une politique clairement énoncée, menée avec ténacité depuis plus de cinq ans.
Ce 7 septembre donc, du haut en bas de l’édifice, à tous les étages, dans tous les espaces, il était loisible d’entendre un Decameron adapté de Boccace interprété par de jeunes talents issus du Conservatoire national d’art dramatique et de l’École nationale des arts décoratifs, d’écouter Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky dans la version pour piano à quatre mains, de voir Les Oiseaux, une chorégraphie d’Odile Azagury ou d’assister à une performance visuelle sonore et insolite intitulée Kinobits. Tout cela, naturellement, sans se priver du plaisir de regarder et de toucher livres, vidéo-cassettes, disques- compacts, de pianoter sur un clavier pour accéder à une base de données ou à des CD-Rom. Comme si cette médiathèque lançait un défi au cloisonnement et à l’émiettement de structures et d’équipements souvent isolés, coupés les uns des autres.
Précisément, en quoi les missions de cette bibliothèque municipale, à vocation régionale, de Poitiers, qui a pris le nom de médiathèque François-Mitterrand, lui permettent-elles de développer des formes d’action qui la placent de nouveau au cœur de la politique culturelle de la cité ? Pourquoi une bibliothèque, de tradition patrimoniale et encyclopédique, sans se couper de son histoire explore-t-elle avec résolution les voies de la modernité ? Comment et où trouve-t-elle les moyens d’afficher des ambitions exigeantes qui, loin de l’isoler, renforcent son identité et son ancrage dans des réseaux culturels bien vivants ?
La médiathèque est située au cœur de la ville, à proximité de l’église Notre-Dame-la-Grande, dans une agglomération de 100 000 habitants. La capitale régionale du Poitou-Charentes est le siège d’une Université créée au XVe siècle, où sont inscrits 28 000 étudiants. Une telle présence entraîne autant d’obligations qu’elle procure d’avantages. En tout cas, elle s’est mise à peser peu à peu sur les orientations de la politique culturelle de la ville. Les étudiants, les enseignants, les chercheurs ne vivent pas pour la ville. Et ils n’utilisent pas que des manuels. Et ils ne lisent pas que des thèses. Poitiers est une cité plutôt intellectuelle, à laquelle manquait un lieu emblématique d’une vie culturelle par ailleurs assez riche de sa diversité.
Écrivains présents
Alors, des rapprochements ont été tentés. Le plus étonnant, à bien des titres, illustre ce qu’une politique d’action culturelle attentive à la création contemporaine peut produire d’original. Il s’agit d’un partenariat qui réunit la Faculté des lettres et des langues de l’université de Poitiers, l’Office du livre en Poitou-Charentes et la bibliothèque municipale autour de la manifestation Écrivains présents.
Chaque année depuis 1989, durant une semaine, au mois de novembre, vingt écrivains français et étrangers sont invités à répondre à une question sur la littérature. Tables rondes et lectures-débats permettent au public de découvrir ou de mieux connaître leurs livres et de les interroger très directement sur leur travail. La création littéraire étant pour ainsi dire seule à être mise en question lors de ces rencontres, il est nécessaire de les faire précéder d’une large diffusion des œuvres. Ainsi, après huit éditions d’Écrivains présents, les collections de la médiathèque François-Mitterrand se sont-elles enrichies de l’acquisition systématique d’ouvrages qui, autrement, n’auraient pas ou peu été proposés à l’attention des lecteurs. En 1991, un bilan systématique de plusieurs années de constitution des fonds de littérature a été réalisé. Il a débouché sur la résolution de prêter davantage attention à la production de maisons comme Verdier, POL, les Éditions de Minuit ou d’autres éditeurs trop mal représentés jusque-là.
Une attention plus grande est ainsi portée à la production des maisons d’édition qui publient les auteurs invités. Enfin, les conditions de préparation de la manifestation, grâce à la collaboration qui s’est établie avec les enseignants les plus actifs de la Faculté des lettres et des langues, donnent lieu à des échanges où les conceptions les plus diverses peuvent s’affronter, ce qui donne toujours plus de poids aux choix effectués. La présentation des livres au public dans les semaines qui précèdent la venue des écrivains revêt alors une grande importance. Elle s’accompagne de la publication d’un numéro spécial à grand tirage de la revue La Licorne, éditée pour la circonstance par les trois partenaires de la manifestation. S’il est réjouissant de constater que les lectures organisées dans les locaux de la médiathèque attirent des auditeurs nombreux, il l’est tout autant de remarquer combien les livres sont empruntés.
Ce travail long et patient sur la littérature d’aujourd’hui fait l’objet d’une autre forme de partenariat à travers l’accueil d’écrivains pour des résidences. En 1991, l’Office du livre en Poitou-Charentes et la bibliothèque municipale ont entamé une collaboration qui a déjà à son actif la venue de Patrick Deville, Hawad, Nedim Gürsel, Abdelwahab Meddeb, Pierre Michon, Emmanuel Hocquard et bientôt Charles Palliser. La ville de Poitiers met un appartement à la disposition de l’écrivain, qui perçoit une bourse mensuelle de l’Office du livre, et participe à des activités proposées par la bibliothèque municipale et son réseau. Par exemple, la résidence de Pierre Michon a consisté à lui proposer de donner une série de conférences sur le thème : « l’écrivain invité invite un écrivain ».
La politique d’action culturelle de la médiathèque
Par ces deux actions pour lesquelles sa contribution est essentielle, la médiathèque a posé pour longtemps un des fondements de son activité : agir dans la durée, en accomplissant une démarche qui donne un sens fort à l’option qu’elle privilégie en faveur de la littérature contemporaine et qui ne néglige pas la nature des collections qu’elle offre au public.
D’ailleurs, l’organisation de l’espace et leur présentation dans le bâtiment de la médiathèque François-Mitterrand tiennent compte de cette préoccupation. Une aile entière est consacrée à la littérature, et regroupe aussi bien des livres que des vidéo-cassettes, des romans que des essais, des ouvrages en français que des ouvrages en langue étrangère. Un salon de lecture lui a été adjoint 1.
Mais il ne suffit pas d’affirmer une volonté en faveur de telle ou telle forme d’expression artistique et de la traduire en actes pour se dédouaner d’entreprendre et de mettre en œuvre, par ailleurs, une politique d’action culturelle plus globale. Après tout, la médiathèque de Poitiers assure une double fonction de diffusion et de conservation qui lui confère une vocation encyclopédique. Dès lors, il a fallu créer un mode d’organisation adapté. Une structure en départements a été choisie. La question s’est posée de leur participation pleine et entière à l’action culturelle promue par l’établissement. Il existe par conséquent un département spécifique chargé de coordonner les autres secteurs, de lancer de nouvelles actions et de bâtir un programme.
Il est en fait le garant des initiatives prises en matière d’action culturelle. Il joue un rôle d’animation et de stimulation des différentes parties de la médiathèque et de son réseau de bibliothèques de quartier 2.
Sa seule présence et la constitution d’une équipe de travail doivent empêcher que ses attributions ne se diluent dans le flot des actes quotidiens, qui souvent conduisent à pratiquer une tactique d’évitement par rapport aux questions qu’amène précisément la définition d’une politique d’action culturelle.
Il n’est pas de grande médiathèque qui n’ait besoin d’identifier avec force et clarté ses missions auprès du public. La manière la plus féconde, la plus sûre et néanmoins la plus périlleuse d’y parvenir réside moins dans des gestes désordonnés que dans l’affirmation de choix conformes à la personnalité de l’établissement et qui nécessitent du temps pour s’imposer. Celui de la médiathèque de Poitiers en faveur d’une politique d’action culturelle qui se tourne résolument vers la littérature d’aujourd’hui a sans doute le mérite réel de bien marquer ses intentions et d’indiquer sa différence... Face à elles, pour l’instant, le public ne semble pas s’être trompé.
Décembre 1996