Library Information Technology and Networks
Audrey N. Grosch
Les livres consacrés à l'informatisation des bibliothèques abondent, et même la bibliographie francophone s'est récemment enrichie de copieux et remarquables opus. Nul ne conteste cependant que les bibliothèques et les bibliothécaires américains ont été les pionniers dans l'informatisation de leurs établissements et la mise en place de leurs réseaux, et que ce « modèle » reste aujourd'hui une référence sinon une panacée.
Une somme d'une densité rarement égalée
Dans ce domaine, la contribution d'Audrey N. Grosch constitue cependant une somme d'une densité rarement égalée. Sa volonté d'embrasser vingt-cinq ans d'informatisation des bibliothèques américaines et du reste du monde la préservera longtemps de l'obsolescence qui guette d'habitude ce genre de production.
A. N. Grosch (aujourd'hui décédée) fut professeur et responsable notamment du département Microcomputing Sciences des bibliothèques de l'université du Minnesota, et auteur de plus de cent cinquante articles sur le sujet.
De fait, la lecture de l'ouvrage confirme qu'il ne s'agit pas là d'un simple travail de compilation d'articles, de monographies, de documentation technique, même si la bibliographie, détaillée par chapitre, est riche de près de 300 références : on devine que l'auteur a attentivement suivi nombre d'« aventures » informatiques, qu'elle restitue à la fois dans leur contexte et par une judicieuse mise en perspective.
Une vaste synthèse en neuf chapitres
Il est bien difficile de dégager les grandes tendances d'un ouvrage qui fait le pari de la vaste synthèse (neuf chapitres seulement), et ne se propose pas d'être un « guide pratique » d'initiation à l'informatisation des bibliothèques, encore moins une aide technique.
Les deux premiers chapitres décrivent les évolutions informatiques des seventies et des eighties. » 1 Pour A. N. Grosch, les années 70 sont caractérisées d'une part par le passage des mainframes aux mini-ordinateurs, d'autre part par le développement rapide de systèmes applicatifs véritablement dédiés à l'ensemble des fonctionnalités requises dans un établissement, consécutivement à l'émergence d'un marché « porteur » pour les fabricants et développeurs.
Dans les années 80, la stabilisation (surtout aux États-Unis) des formats de type MARC amène la mise en oeuvre, toujours d'actualité, d'importantes opérations de conversion rétrospective. Les systèmes intégrés deviennent de plus en plus sophistiqués, avec le souci d'une simplification d'accès des usagers aux différentes fonctions - simplification qui impose des développements encore plus évolués. Pour cette période, on notera (avec perplexité ?) que l'auteur fait état, en France, d'une « tradition de forte résistance à l'informatisation », qui ne semble guère étayée par la bibliographie...
Bibliographic utilities et cooperative programs
Le chapitre 3 est consacré aux bibliographic utilities, dont il n'est guère surprenant de constater qu'ils (elles ?) sont en majorité américains : OCLC (Online Computer Library Center) s'y taille la part du lion, avec de passionnantes considérations sur l'avenir de ce mégaréseau, mais RLG/RLIN (Research Libraries Group/Research Libraries Information Network), UTLAS (University of Toronto Library Automation System) ne sont pas oubliés.
De même, A. N. Grosch évoque, de manière un peu rapide, les cooperative programs qui, aux États-Unis notamment, sont, plus souvent que les bibliothèques elles-mêmes, les interlocuteurs d'OCLC par exemple. ils témoignent aussi d'efforts pragmatiques de coopération entre bibliothèques d'un état ou d'une région réunies autour d'intérêts communs soigneusement contractualisés.
Le chapitre 4 présente des développements plus traditionnels sur Internet, les réseaux locaux, les importants efforts normatifs réalisés dans le domaine des bibliothèques et des sciences de l'information. Celles-ci servent d'ailleurs parfois de référence à des domaines et des disciplines très différents (ainsi de la norme Z 39-50) ; remarquons que la National Information Standards Organization NISO) 2, correspondant américain de l'ISO tc/46, a droit à deux pages de présentation, là où l'ISO (International Standards Organization) proprement dite n'a droit qu'à... sept lignes.
Dans le chapitre 5, l'auteur s'essaie à un exercice périlleux, qui consiste à proposer aux professionnels une prospective sur l'évolution de leurs systèmes informatiques. Cette dernière est replacée dans le cadre de l'évolution des produits disponibles ou en projet, et dans le cadre de l'évolution de l'informatique au sens large. Sont ainsi abordées quelques questions cruciales, auxquelles les réponses apportées restent prudentes : systèmes ouverts contre plates-formes propriétaires, avènement d'unix, choix de protocoles de communication (« couches » OSIi (= Open System Interconnection) ou TCP/IP(= Transmission Control Protocol/Internet Protocol)), etc. A vrai dire, l'exercice semble un peu général pour être pleinement convaincant.
Les produits disponibles sur le marché américain
Les chapitres 6 à 8 sont consacrés à une présentation que l'on suppose exhaustive des produits pour bibliothèques vendus sur le marché américain, des plus gros, qui gèrent plusieurs millions de notices pour des centaines d'utilisateurs, aux plus petits, disponibles sur Macintosh ou sur PC (= Personal Computer). Bien sûr, tous ces produits ne sont pas disponibles sur le marché français, mais l'auteur fournit d'utiles - parfois lapidaires - estimations qui offrent un tableau détaillé des possibilités de chaque système, prouvant une fois de plus l'étendue de ses connaissances en la matière.
Inévitablement, l'ouvrage se conclut sur un chapitre prospectif. L'évolution de l'informatisation des bibliothèques est replacée dans celle des bibliothèques elles-mêmes : pour ces dernières, l'auteur reprend les antiennes concernant le développement des documents électroniques, et des accès électroniques à l'information. Plus originalement, elle note que, dans un monde où our societal values do not place a very high value on education, les bibliothèques... et les bibliothécaires souffrent d'une non-reconnaissance, qu'il faut combattre par le développement d'expériences originales d'accès aux collections et, par là, à la connaissance au sens large.
Le magicien d'Oz
« Résoudre les problèmes mondiaux par les technologies de l'information ? » L'idée est belle, et ambitieuse... mais la tâche est ardue ! Aussi, en matière de conclusion, c'est vers le « Nirvana » du client/serveur que l'auteur nous propose de diriger nos pas, en foulant la « yellow brick road to information », où Judy Garland finit par s'apercevoir que le magicien d'Oz n'était pas si terrifiant qu'il voulait s'en donner l'air : une métaphore pour le bibliothécaire confronté au monde de plus en plus complexe de l'informatique ? En tout cas, un ouvrage de haute tenue, passionnant et abondamment documenté.