Illettrisme
tourner la page ?
Jean-Claude Pompougnac
En quelque 130 pages très denses, l'auteur montre clairement comment la chiquenaude initiale donnée en 1979 par ATD Quart-Monde, qui révélait le phénomène jusque-là occulté de l'illettrisme, a entraîné, au péril de la rigueur, une cascade de réactions en chaîne : émotion collective fortement médiatisée, occasion de reparler de la pauvreté en France, et de l'exclusion, indissociable de l'illettrisme, tremplin pour élargir le champ de la notion jusqu'à en arriver à se demander si ceux qui croient savoir lire savent vraiment le faire. Et voici de ce pas les méthodes d'apprentissage scolaire mises en question.
Une notion « attrape-tout »...
Ce que critique, ce qui irrite Jean-Claude Pompougnac, est que l'illettrisme soit devenu une notion « attrape-tout » qui permette de parler de l'école, de la délinquance, et même de l'alcoolisme, tout en étant (ceci implique cela) une notion-amalgame qui mêle incapacité à lire et écrire, absence de goût pour la lecture, voire inaptitude à accéder aux technologies nouvelles.
De ce fait, faut-il tourner la page de l'illettrisme parce qu'on aurait, sinon tout entrepris pour faire reculer le handicap, du moins déjà tout dit sur le phénomène ? Cette dernière question n'est pas directement abordée. L'auteur s'attache à poser la problématique suivante : comment comprendre le phénomène de l'illettrisme dans une société marquée par l'égalité des droits, celui de l'accès à la culture et à l'instruction étant un des plus fondamentaux et la maîtrise de l'écrit devenant un moyen de citoyenneté ?
La problématique se place donc délibérément sur le terrain du politique, après avoir méthodiquement battu en brèche, et de façon convaincante, la problématique morale, voire moralisatrice de l'illettrisme, celle qui se scandalise ou a honte que le phénomène puisse avoir cours dans une société démocratique et scolarisée depuis Jules Ferry (et même avant !).
Les illusions de la démocratie...
Le plus intéressant du livre est au contraire qu'il met en lumière les illusions de la démocratie, sa confiance en elle-même, ses sophismes, son aveuglement à l'égard de ses propres limites. Ce fil conducteur donne la clef du parcours de l'histoire de l'école, de ses origines jusqu'à nos jours, où le plaisir de lire serait selon l'auteur devenu l'obligation, ô paradoxe, que le maître impose à ses élèves, en passant par la démocratisation que l'école a connue au début des années 70.
L'école a déraciné l'analphabétisme, mais les pages qui lui sont consacrées montrent comment elle a creusé, selon l'auteur, le lit de l'illettrisme, en croyant au progrès continu de l'apprentissage du B A BA de la lecture (à la maternelle), au côtoiement des Belles Humanités, à l'Université.
Jean-Claude Pompougnac propose une analyse qui n'appelle pas forcément l'adhésion du lecteur, mais le pousse à réfléchir, à force de le provoquer : « Il ne s'agit pas de jouer l'oral contre l'écrit, ... il convient cependant de mettre sur les deux plateaux de la balance l'absence d'accès à l'écrit et l'autre exclusion qui résulte de l'impossibilité à se faire entendre ».