La bibliothèque « hors les murs »

par Élisabeth Blanes

Claudie Tabet

Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 1996. - 277 p. ; 24 cm. - (Collection Bibliothèques). isbn 2-7654-0624-3 195 F

La réflexion de Claudie Tabet part de deux constats. Premier constat : l'effort entrepris depuis quinze ans par les bibliothèques pour rapprocher le livre du lecteur, le lecteur des auteurs, a fait passer le nombre d'inscrits dans une bibliothèque de 10 à 17 %, or cet effort a profité aux couches de la population qui lisent déjà. Deuxième constat : une partie de la population reste réfractaire ou à l'écart de la fréquentation de la bibliothèque, sans pour autant être rebelle à la lecture. Ces deux constats ouvrent des perspectives en termes d'activité d'extension de la bibliothèque hors les murs.

Tout d'abord dans les murs...

Cela ne signifie pas que plus rien ne soit à faire « dans les murs ». L'ouvrage comporte des pages à lire et à relire sur l'obligation d'une formation approfondie des bibliothécaires, non seulement à l'accueil de ceux qui passent difficilement ou pas du tout le seuil, mais aussi à la connaissance de leur milieu et culture d'origine. On peut avoir recours à un « médiateur du livre », qu'il soit bibliothécaire volontaire ou leader de quartier. L'auteur propose un échantillon d'initiatives dont aucune ne s'improvise ou se décrète. Il demeure que l'essentiel traite de procédures actives à entreprendre en direction d'organismes qui ont la charge de, ou interceptent ceux qui, pour des raisons culturelles et sociales, se tiennent à l'écart des lieux de lecture.

Qui prendre pour partenaire ?

Il va donc être question de partenariat entre bibliothèques et Fond d'action sociale, mouvement associatif, structure de solidarité, État. L'idée n'est pas franchement nouvelle en soi. Le but est maintenant d'éviter les lourdeurs administratives décourageantes et les projets éloignés des besoins locaux. Les renseignements précieux que ce livre comporte visent à faciliter les démarches, en proposant des exemples d'initiatives conduites ici ou là, en fournissant des modèles-types de conventions à passer. Plus profondément, il faut connaître ses partenaires. En somme, on veut savoir à qui on a affaire, avec qui il convient de coopérer en fonction d'un projet défini et comment s'y prendre.

Or, de ce point de vue, l'ouvrage de Claudie Tabet est très instructif : la mission de toute structure susceptible de coopérer avec une bibliothèque publique est décrite, son histoire et son expérience résumées, succès et limites sont déductibles.

La lecture dans les lieux à vocation non culturelle

Mais on peut aussi vouloir fonder une bibliothèque de comité d'entreprise, de rue, de prison, d'hôpital. à la façon dont Claudie Tabet nourrit cette partie de son livre, la plus importante, on voit bien qu'il s'agit avant tout d'aller à la rencontre de milieux évoluant, au moins pour un temps, dans des lieux à vocation non culturelle. A nouveau, de milieux dans lesquels il faut apprendre à se fondre.

Les pages sur le monde carcéral sont par exemple indispensables pour comprendre un aspect central de la lecture en prison, et, partant, pour imaginer comment y introduire le livre, l'écrit en général. L'espace de la prison et la nature particulière qu'y prend le temps conditionnent le rapport à la lecture, selon des modalités extrêmement variables : le dégoût ou la boulimie.

Ces paramètres se retrouvent, toutes choses égales, dans une bibliothèque de comité d'entreprise, ou dans une bibliothèque de rue. Les diverses études intéressantes concernant le rapport de la lecture à l'espace, au temps, aux époques d'une existence travaillent donc en profondeur le propos de l'auteur, qui, cependant, n'oublie jamais l'éclairage qu'apportent les données chiffrées, les statistiques, le quantitatif. De plus, l'étude de la plupart des secteurs abordés s'étaye sur le corps de textes juridiques qui les régissent : la lecture est un droit, la culture aussi, et on note avec intérêt l'usage fréquent, dans ce livre, de ce mot.

Ce livre est ainsi fait qu'il incite non seulement les professionnels du livre et de la lecture, mais aussi les responsables d'associations et les élus, à faire exercer ce droit par le plus grand nombre. C'est un ouvrage de référence.