EDIL, bilan d'une expérience
Monique Gingold
Les échanges du projet européen Edil (Electronic Document Interchange between Libraries) sont clos depuis décembre 1995 et il semble intéressant de dresser un bilan de cette deuxième expérience de fourniture de documents électroniques (après Foudre) et d’en tirer les leçons 1.
Le projet
Edil a été un projet européen unissant les efforts de quatre pays : Allemagne (Bibliothèque de Hanovre), France (Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et Institut de l’information scientifique et technique), Grande-Bretagne (British Library Document Supply Centre) et Pays-Bas (Pica). Ce projet était coordonné par la société française Telis, filiale de France-Télécom et responsable des développements techniques, et financé à 50 % par la Commission des communautés européennes. Son but était de concevoir et d’expérimenter un relais, matériel et logiciels, permettant l’échange de documents électroniques mis au format commun défini par le groupe Gedi 2 entre ces quatre pays, utilisant architectures et protocoles différents.
L’objectif à terme était de développer la coopération internationale entre les bibliothèques et d’expérimenter le format Gedi, afin de le mettre en condition de devenir un format agréé par les bibliothèques pour l’échange de documents électroniques.
Le projet initial ne visait que l’échange de documents, sans prévoir l’échange de formulaires de demande. Rapidement, les partenaires se sont aperçu qu’il était nécessaire d’intégrer au projet l’échange des formulaires, ne serait-ce que pour pouvoir générer l’en-tête du document électronique, c’est-à-dire en quelque sorte son adresse de retour, prélevée sur le formulaire normalisé du demandeur. Ceci mettait en cause les systèmes de messagerie nationaux, requérait l’application minimale des normes ILL 3 et fut la source de nombreuses difficultés qui n’avaient pas été comptabilisées dans le projet européen.
En France, il était impensable, sur un temps assez court, d’adapter le système Peb pour l’intégrer au projet ; aussi, en accord avec le ministère, Telis a développé des stations de fourniture électronique dédiées, parfaitement intégrées au système Edil, permettant d’envoyer des demandes, de recevoir des documents électroniques ou des réponses négatives, permettant également aux fournisseurs de numériser un document et de l’envoyer très simplement aux demandeurs. Six prototypes ont ainsi été installés à l’Inist et dans les cinq bibliothèques universitaires qui participaient à l’expérience.
Aux Pays-Bas et en Allemagne, les systèmes de prêt existants et des stations Ariel de fourniture électronique déjà en usage ont été aménagés ; les stations Ariel ne sont pas parfaitement conformes au format Gedi et il a été difficile, voire impossible en ce qui concerne les échanges de documents entre Allemagne et Grande-Bretagne, de les intégrer à l’expérimentation.
En Allemagne, le problème a été compliqué par des infrastructures plus complexes qu’aux Pays-Bas, et, bien que dotés de systèmes similaires, ces deux pays n’ont pas pu communiquer plus rapidement. En outre, les mauvaises performances du réseau Internet allemand, en particulier au niveau de l’interconnexion avec le réseau français, n’ont pas permis des échanges fiables ; les pertes de paquets y ont été anormalement élevées.
En Grande-Bretagne, ART, la messagerie du BLDSC, n’a pas un contenu structuré, à la différence des messages encodés Edifact des partenaires : s’il était assez aisé de verser un message Edifact dans un message ART (les codes des champs toutefois le rendaient difficile à lire), en revanche, transformer un message libre en message structuré ne pouvait être qu’une opération manuelle laborieuse. Les documents électroniques voyageaient sous messagerie X 400, ce qui a permis de tester la conversion de documents sous cette forme vers des transferts de fichier FTP et vice versa par les relais. Cela n’a pu être réalisé qu’au prix d’innombrables difficultés.
L’expérimentation en durée et en volume
Le calendrier prévisionnel organisait l’interconnexion des quatre partenaires au printemps 1995 et une montée en charge progressive pour aboutir au passage d’une centaine de documents par jour dans chaque relais. L’expérience devait se terminer en septembre 1995. Les prévisions ont dû être corrigées du fait des difficultés évoquées ci-dessus.
Au printemps 1995, seules les bibliothèques françaises étaient prêtes ; la situation y était considérablement plus simple que chez les partenaires, puisque l’on avait fait table rase de l’existant. Telis, concepteur du relais, avait créé des stations de fourniture électronique, dont la simplicité d’utilisation masquait la complexité des fonctions. En avril 1995, l’Inist et les cinq bibliothèques universitaires (Bordeaux sciences, Jussieu, Lyon santé, Reims sciences et Strasbourg sciences) ont entamé une expérimentation franco-française de fourniture de documents électroniques qui a duré trois mois et a fonctionné de façon plutôt satisfaisante.
Le 7 juillet 1995, les Pays-Bas étaient en mesure de participer à l’expérimentation que l’on a pu alors qualifier d’« internationale ». Prévue pour se terminer fin septembre, elle dut être prolongée jusqu’à la fin de l’année pour permettre à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne d’achever leur interopérabilité courant novembre 1995.
L’expérimentation internationale aura duré cinq mois avec les Pays-Bas et deux ou trois semaines avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Les participants disposaient d’un catalogue collectif de périodiques sur Wais, extrait de leurs catalogues nationaux.
Au total, environ 1 000 documents auront transité par les relais, mais seuls les échanges entre la France et les Pays-Bas ont une valeur statistique suffisante pour mériter d’être analysés.La France a envoyé 321 demandes aux Pays-Bas, qui en ont reçu effectivement 299 ; ils ont envoyé 227 documents à la France qui n’en a reçu que 132.
Les Pays-Bas ont envoyé 250 demandes à la France qui en a effectivement reçu 236 ; la France a fourni 183 documents aux Pays-Bas qui n’en ont reçu que 172.
Les délais de fourniture depuis les Pays-Bas étaient d’environ six jours ; les fournisseurs français (Inist et Jussieu) livraient en moins de trois jours. L’évaporation des demandes et des documents et les délais de fourniture illustrent les difficultés rencontrées.
Les difficultés de la coopération internationale
Elles sont liées à la nature des réseaux Internet, aux particularités des systèmes nationaux et aux problèmes organisationnels.
Les problèmes liés à Internet
Les demandes voyageaient par messagerie SMTP ; les demandes de la France, mal adressées au début de l’expérimentation, se sont perdues dans les réseaux sans que l’expéditeur en soit averti. Le mode « non connecté » ne permet pas toujours de s’assurer de l’arrivée à bon port d’un message. Il semble que 5 % des messages se soient volatilisés indépendamment des problèmes d’adressage.
Les problèmes liés aux systèmes nationaux
Aux Pays-Bas, le système de prêt entre bibliothèques informatisé gère et route automatiquement les demandes à partir d’une recherche dans le catalogue national, alors qu’en France, la saisie et le routage sont manuels ; seul le transfert est électronique. Il s’est ensuivi de sérieuses incompréhensions entre les deux systèmes. Certes, les concepteurs de la station française avaient prévu un encodage Edifact des messages en partance pour les Pays-Bas, afin que le système néerlandais puisse les interpréter. Mais tous les cas de figure n’avaient pu être prévus et, si un bibliothécaire français s’avisait de mettre une ponctuation inhabituelle ou un astérisque dans un champ trié par le système néerlandais, la demande n’était pas comprise et était rejetée.
En France, la station souffrait de contraintes logicielles difficiles à gérer, qui ont été la cause du rejet d’un certain nombre de documents.
Au niveau des documents, les stations Ariel des Néerlandais généraient souvent des en-têtes insuffisamment conformes, qui ne permettaient pas toujours l’acheminement complet du document.
Les problèmes organisationnels
Le catalogue collectif sur Wais n’était plus à jour au moment de l’expérimentation, car des établissements avaient dû s’en retirer ; en outre, il ne comprenait pas les états de collection. Il en est résulté un taux assez élevé de réponses négatives.
Les délais de fourniture, qui auraient dû être le « plus » de la fourniture électronique, ont été décevants. Non pas du côté de l’Inist déjà organisé pour une fourniture urgente, ni du côté de Jussieu qui a porté son effort sur un service rapide, mais du côté de certains fournisseurs néerlandais, pas véritablement organisés pour la fourniture rapide : les livraisons se sont étalées de 1 à 21 jours, avec une moyenne de 6 jours, à peine inférieure à la voie postale.
Malgré cette suite de difficultés, il faut signaler que les documents qui arrivaient à bon port étaient généralement de très bonne qualité, supérieure à la télécopie.
Le taux de satisfaction de la France demandeur a été de 40 %, très inférieur aux pratiques du réseau Peb. En outre, les bibliothécaires n’avaient aucune information sur le devenir de leurs transactions ; les opérateurs du relais pouvaient suivre les documents d’un relais à un autre, mais, sorti des relais, il n’y avait plus de contrôle. Il en a résulté un sentiment d’insécurité pour les utilisateurs.
Les leçons d’une expérience
Il est très complexe, mais pas impossible, de faire communiquer des systèmes différents. On le savait depuis Ion, on en a eu confirmation. Edil a permis aux quatre pays impliqués dans le projet d’échanger messages et documents. Le format Gedi a été aménagé ; seules les spécifications nécessaires aux échanges ont été utilisées, d’autres ont été ajoutées. Gedi est passé d’une version provisoire à une version 2 ; une prochaine version incorporera les résultats de l’expérience Edil.
Il est plus facile de créer un nouveau système à partir de rien que d’adapter un ancien système. Il est en outre indispensable d’intégrer à un système de production un contrôle de bout en bout, et des sécurités qui permettent à l’utilisateur de suivre le devenir de ses transactions et d’intervenir.
L’impossibilité d’un contrôle de bout en bout a eu pour conséquence que les problèmes étaient détectés tardivement et la fiabilité du système en a souffert. Du point de vue d’un gestionnaire de prêt entre bibliothèques, il n’est pas acceptable de lancer un message ou un document sur un réseau sans avoir d’autre certitude de succès qu’une hypothétique réponse. Cette fonction est très complexe à mettre en œuvre, car l’information doit être récupérée à partir de plusieurs systèmes.
Il est plus facile de coopérer quand on a les mêmes habitudes de travail et la même culture professionnelle que lorsque l’on appartient à des cultures professionnelles étrangères. De ce point de vue, l’expérimentation franco-française qui a duré trois mois a été riche d’enseignements : le système a bien fonctionné, il a été rapide, fiable et de bonne qualité, malgré quelques difficultés liées à la station de travail.
L’expérience française n’a cependant pas été prolongée. Les raisons en sont d’ordre juridique, technique, financier et politique :
– raisons juridiques : l’état de la réglementation en matière de fourniture électronique ne permet pas de passer de l’expérimental à l’opérationnel sans l’accord des éditeurs concernés ;
– raisons techniques : les stations Edil françaises étaient des prototypes qui présentaient des défauts bien identifiés, gérables dans la durée d’une expérimentation, mais pas à long terme. Leur rectification nécessitait des modifications coûteuses ;
– raisons financières : la maintenance des relais était onéreuse ; certes les bibliothèques françaises fonctionnant dans un environnement homogène pouvaient se passer d’un relais pour échanger des documents, mais celui-ci assurait aussi une fonction de sauvegarde et de contrôle ;
– raisons politiques : était-il judicieux d’investir davantage dans un système de fourniture électronique, qui ne pouvait pas être intégré au système en place et aurait nécessité pour les établissements une gestion parallèle ?
Néanmoins l’expérimentation Edil aura permis d’étayer les réflexions qui vont être menées sur l’accès aux ressources électroniques.