Pierre Faucheux
le magicien du livre
Un livre est un tout et l'art de l'éditeur consiste à créer, pour chaque titre, cette unité où maquette, contenu et lectorat visé sont en harmonie. Le choix du papier, la détermination du format, la sélection des éléments graphiques qui vont composer la jaquette ou la couverture du livre, l'adoption du type de caractère d'impression, tous ces éléments sont fortement connotés. Ils renvoient à une ou des images du livre ; ils sont l'annonce matérielle et graphique de son contenu et ils doivent faire signe à son public. La forme doit rejoindre le fonds.
Qu'on se souvienne par exemple de la petite collection « Libertés » où, de 1964 à 1968, chez Jean-Jacques Pauvert parurent pamphlets, libelles subversifs et classiques de la rébellion : des couvertures en forme de tracts, en papier kraft sur lesquels s'étalaient d'énormes caractères d'affiches, une typographie grasse et noire comme un tableau de Soulages. Et dans le même temps, une typographie insolente et classique : le Plantin, dont chaque volume recalculait le corps, l'interlignage, le titrage, conciliant ainsi la liberté du titre et l'unité typographique à l'ancienne de la collection.
Un typographe à façon
Derrière la mise en scène graphique de cette collection, comme derrière cent autres, se cache un homme inconnu du grand public mais unanimement loué des professionnels : Pierre Faucheux, « typographe à façon », maître incontesté d'une génération de graphistes.
Ce livre est d'abord un hommage, très richement illustré, à ce talent qui marqua tout un moment de l'édition française, du Club français du livre où il entre comme directeur artistique en 1946 à la reliure de l'Encyclopædia Universalis en 1989, en passant par la formidable aventure des couvertures du Livre de poche - il en réalise 113 en 1964, 104 l'année suivante et de nombreuses autres jusqu'au tout milieu des années 1970.
Couvertures dont certaines demeurent mythiques. Ainsi celles des oeuvres de Proust où sont photographiés les manuscrits originaux qui venaient d'être déposés à la Bibliothèque nationale, avec ces petits portraits photographiques collés par-dessus sur des cartons de différentes couleurs, ce qui donnait l'impression que l'auteur les y avait laissés là par hasard, et au centre de l'illustration une cartouche blanc cassé à filet rouge, aux lettres noires et rouges évoquant la couverture Gallimard originale.
Un maquettiste de presse
Les propos, textes et témoignages d'une multitude de témoins, Robert Delpire, Bernard Gheerbrandt, Bernard de Fallois, Massin, Jean-Jacques Pauvert, Pascal Vercken, viennent compléter les souvenirs de Pierre Faucheux et donnent de sa carrière et de son travail une image vivante et contrastée, rappelant utilement qu'il fut aussi un maquettiste de presse important (il crée en 1964 la couverture et le gabarit de la mise en page intérieure du Nouvel Observateur ou en 1968 la maquette de La Joie par les livres...), un créateur d'affiches fécond et même un architecte auquel on doit par exemple l'aménagement de la salle Matisse du musée d'Art moderne de la Ville de Paris ou la mise en scène de nombreuses expositions.
Pierre Faucheux fut le premier à pouvoir imposer la présence de son nom à l'achevé d'imprimé comme typographe ou maquettiste. A revoir les illustrations reproduites, ce n'est que justice, mais une justice paradoxale : c'est au moment où un certain art typographique, selon Pierre Faucheux lui-même, se perd qu'on le reconnaît... On ne peut donc que souhaiter à tout présent et futur éditeur de parcourir ce livre-catalogue et d'y trouver ou retrouver le goût des belles compositions.