National Libraries 3
A Selection of Articles on National Libraries, 1986-1994
Maurice B. Line
Joyce Line
L'ASLIB (Association for Information Management) a pris l'habitude de publier des recueils d'articles concernant les bibliothèques nationales, réunis et commentés par leur spécialiste, Maurice B. Line, ancien directeur du service de fourniture de documents à distance de la British Library, le BLDSC, et rédacteur en chef de la revue Alexandria.
L'entreprise est fort utile et opportune, tant la littérature est abondante et croît d'année en année, signe incontestable de la vivacité et de la vitalité des problèmes posés par les bibliothèques nationales aujourd'hui. En 1988, la revue Alexandria avait recensé 89 articles sur ce sujet ; en 1994, plus du double - 186.
Des problèmes anglo-saxons
Maurice B. Line estime que la période couverte par son recueil a vu paraître près de mille articles sur les bibliothèques nationales ! On comprend que le choix ait été laborieux. L'éditeur s'excuse d'avoir privilégié les articles en anglais. Un Français ne peut que le regretter, même s'il admet que la littérature sur ce sujet est massivement anglophone. Malgré tout, deux articles en français et aucun dans une quelconque autre langue sur un choix final d'une cinquantaine d'articles, donnent une image un peu biaisée de la question traitée. Non que la proportion d'articles sélectionnés en anglais ne puisse être justifiée (ni la langue anglaise utilisée ici comme véhiculaire par la plupart des auteurs), mais en faisant place aux seuls articles anglophones, une partie des réponses attendues à la question : quels sont les problèmes qui se posent aux bibliothèques nationales aujourd'hui dans le monde ? est donnée d'avance : elles se posent les problèmes que les Anglo-Saxons se posent.
Ainsi des analyses absolument contestables sont-elles acceptées comme des données a priori, en particulier celle qui voudrait que les bibliothèques nationales fonctionnent de façon rationnelle, selon les seuls principes du cost-effectiveness, notion qui, ce n'est pas un hasard, est difficilement traduisible. On ne trouvera donc presque rien dans ces cinquante articles sur le rôle symbolique des bibliothèques nationales, peu de choses sur leur rôle politique, encore moins sur l'imaginaire qu'elles recèlent et qui les sous-tend, même en Grande-Bretagne.
Le modèle anglo-saxon de la bibliothèque comme une mécanique qu'il suffit de bien huiler, empiriquement organisée (il n'entre pas dans notre propos ici de contester ce modèle) apparaît comme le seul recevable. On conçoit tous les dégâts qu'une telle exclusivité peut faire peser sur la qualité des leçons qu'on tire spontanément d'un tel tour d'horizon. A considérer la bibliothèque comme une machine aveugle dont les fondements ne sont jamais mis en cause, on se simplifie la tâche, mais on rend aussi aveugles ceux qui ont la charge de les organiser.
Éléments de réflexion
Cette réserve faite, cet ouvrage apporte, pour qui le lit avec attention, des éléments essentiels pour nourrir une réflexion.
Ainsi l'admirable étude de Ian R. Willison qui ouvre le volume « The National Library in historical perspective » est-elle menée avec toute la finesse qu'on peut souhaiter. Elle éclaire de façon convaincante l'histoire comparée des bibliothèques nationales, et notamment tout ce qui oppose la tradition anglo-américaine à la tradition latine des bibliothèques en matière de classification, de gestion et d'usage.
De même, l'article de Josiane Roelants sur la Bibliothèque nationale de Belgique confrontée aux particularismes francophones et flamands, ouvre un véritable débat, dont elle n'ignore pas le caractère mondial, sur la crise politique que les nationalismes déclenchent dans le fonctionnement des bibliothèques nationales, particulièrement dans les États fédéraux. On passe ensuite aux travaux pratiques et si les autres articles sont, dans leur ensemble, plutôt des constatations normatives ou des descriptions factuelles de l'état des bibliothèques nationales aujourd'hui, on tire grand profit de la réunion de ces matériaux pour une réflexion qui reste à mener.
Des lunettes de gestionnaires myopes
La partie la plus contestable est la deuxième où les analyses sur le fonctionnement et les tendances des bibliothèques nationales sont faites à travers les lunettes de gestionnaires un peu myopes qui s'obstinent à confondre bibliothèque nationale et société cotée en bourse, et affirment tranquillement que la tendance est à la rentabilité. Lorsqu'on apprend plus loin que la bibliothèque la plus rentable est celle d'Australie avec 30 % de son budget en recettes propres, on se demande quand même quelle entreprise accepterait de poursuivre ses activités avec un chiffre d'affaires plus de trois fois inférieur à son coût de fonctionnement.
Je ne conteste pas que de telles approches doivent être faites, ni même qu'on doive développer les recettes propres des bibliothèques nationales, mais qu'on transpose aussi brusquement l'idéologie dominante du marché à des institutions dont la qualité la plus claire est d'y échapper, même dans les pays les plus capitalistes, limite forcément la compréhension du présent et de l'avenir des bibliothèques nationales.
Études de cas
C'est pourquoi la partie la plus nourrissante est la troisième, celle où est exposée une série de cas, qui vont du Mali à la Chine, de la Colombie à la Pologne, mine de renseignements sur l'activité problématique des bibliothèques nationales partout dans le monde, même si l'on y trouve mêlés de simples constats, parfois entachés de cette langue de bois qui signale à coup sûr le caractère diplomatique du domaine, et de véritables essais d'analyse.
Le cas de la Bibliothèque nationale de France, heureusement, figure parmi l'un des meilleurs de cette dernière catégorie. On ne se plaindra pas, ici, que le choix ait été porté sur un article anglophone du professeur californien Jack Kessler. Sa francophilie bien connue apporte une bonne dose de sympathie aux étonnements parfois amusés d'un étranger qui a suivi dans le détail, mais avec le recul nécessaire, les péripéties de la « TGB » et qui tente de les faire comprendre à ses compatriotes. Avec son côté Lettres persanes ou Carnets du major Thomson, son récit des débats parisiens restera, à mon sens, l'un des plus avisés qu'on ait pu faire sur la question.
Les partis pris de cet ouvrage ne font sans doute finalement que refléter fidèlement l'état des débats sur les bibliothèques nationales. On ne peut accuser les éditeurs du caractère convenu de certains articles publiés : il aurait été encore plus trompeur de faire croire qu'il existe une large réflexion internationale sur le rôle des bibliothèques nationales aujourd'hui, comme il en existe sur l'avenir du livre, le contrôle d'Internet ou l'essor du multimédia.
Ce livre ne veut pas être les actes d'un colloque imaginaire sur ce sujet ; il n'est que le recueil, très soigneusement bâti et pragmatiquement conçu, des articles jugés les plus significatifs qu'on peut ainsi lire sans avoir recours à de nombreuses et inaccessibles publications. Il est bien le résultat d'une démarche empirique, telle que celle qu'on nous dépeint comme caractéristique de la documentation anglo-saxonne, avec ses inconvénients et ses avantages. On ne s'étonnera pas qu'un bibliothécaire français ait été plus sensible aux uns qu'aux autres.