Nouvelles Alexandries
les grands chantiers de bibliothèques dans le monde
Les nouvelles Alexandries sont ces grandes bibliothèques qui se construisent en cette fin de XXe siècle un peu partout dans le monde.
Tour du monde
Sous ce très beau titre, Michel Melot et ses collaborateurs ont ainsi sélectionné quinze grands projets en cours ou réalisations récentes : la nouvelle bibliothèque d'Alexandrie, la Bibliothèque nationale d'Algérie, la Bibliothèque royale et universitaire de Copenhague, la bibliothèque de l'université Cheikh Anta Diop à Dakar, le Centre Jama Al Majid pour la culture et le patrimoine à Dubaï, la bibliothèque universitaire de l'état de Basse-Saxe à Göttingen, la bibliothèque municipale centrale de La Haye, la British Library, la bibliothèque des sciences, de l'industrie et du commerce à New York, la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque nationale de la République populaire de Chine, à Pékin, la bibliothèque municipale de San Francisco, la Bibliothèque nationale centrale de Taïwan, la Bibliothèque nationale d'Estonie à Tallinn, et enfin la bibliothèque universitaire de Waseda à Tokyo.
L'ordre des villes ordonne le plan de l'ouvrage qui ressemble à un grand voyage professionnel. Toutes les bibliothèques décrites font l'objet d'un chapitre séparé : bref historique, éléments de contexte, puis présentation synthétique complétée par une courte bibliographie. Mais l'ouvrage reste, dans son ensemble, principalement orienté vers l'analyse de l'architecture ou plutôt des principes de programmation qui ont guidé ces constructions. C'est ce point de vue privilégié qui fonde l'unité du livre et son orientation générale. Le choix d'un grand format, la part accordée aux photographies et aux reproductions de plans masse ou de coupes de bâtiments permettent aux auteurs d'illustrer concrètement leur propos et d'appuyer leurs démonstrations sur des exemples.
Des programmes complexes
Chaque chapitre constitue donc une petite monographie mettant en valeur les aspects originaux de programmes souvent complexes et l'on ne peut qu'apprécier à leur juste valeur la performance qui consiste par exemple à faire la synthèse en quelques dizaines de pages des projets de la British Library ou de la Bibliothèque nationale de France.
L'analyse détaillée des mécanismes de concertation préalable et de décision qui nous est livrée dans plusieurs cas (Göttingen, La Haye, Londres, Paris, San Francisco, Waseda) donne aux dossiers un aspect vivant et permet de comprendre la situation générale dans laquelle s'insèrent ces bibliothèques.
Le personnel des bibliothèques françaises ne manquera pas d'apprécier les éléments relatifs au fonctionnement comme, par exemple, ceux qui concernent les bibliothèques universitaires japonaises et allemandes, ou, de manière plus anecdotique, mais pleine d'humour et de réalisme, les détails de la vie quotidienne à la British Library (vus au travers d'extraits de Countdown, journal interne de la bibliothèque), ou encore les premiers éléments d'évaluation issus de deux ans de fonctionnement après l'ouverture de la BU de Göttingen.
Du point de vue de l'architecture, les bâtiments décrits vont de la grande à la très grande bibliothèque : 12 900 m2 de surfaces utiles pour Dakar, 18 000 m2 pour La Haye, 55 400 m2 pour Alexandrie. Certains sont de facture traditionnelle (Pékin), d'autres plus audacieux comme celui d'Alexandrie. Dans certains cas, il ne s'agit pas à proprement parler de constructions complètement nouvelles : Dakar est un projet d'extension, New York la réutilisation d'un bâtiment existant.
Parfois, les auteurs évoquent la place du projet du point de vue de l'urbanisme (Copenhague, par exemple), mais, tout au long de l'ouvrage, le discours est davantage centré sur la bibliothèque elle-même et sur l'adéquation formes/programmes/fonctions.
A chaque lecteur, au long de ses voyages, d'effectuer les comparaisons utiles et de tirer les enseignements de choix parfois contradictoires (césure or not césure ?) effectués d'un projet à l'autre.
Comparaisons
Ces comparaisons sont-elles possibles, et tout d'abord, seraient-elles pertinentes ?
Derrière l'unité d'une dénomination commode (les grandes bibliothèques), on découvre en effet des situations peu comparables : contexte économique, publics, statut et destination de la bibliothèque, importance du personnel (1 300 à Londres, 250 à Taipeh) varient fortement d'un projet à l'autre. A l'intérieur d'un même statut, le comparatiste trouve aussi des limites à ses investigations : peu de points communs entre le projet de réorganisation britannique et celui d'Alger par exemple.
On regrettera cependant, malgré l'effort méritoire des auteurs, de ne pas disposer au fil des pages d'un ensemble minimum de chiffres homogènes. Bien sûr, les chiffres ne manquent pas, mais peu sont du même ordre. Par exemple, la capacité en nombre de places, les surfaces ne sont pas toujours fournies suivant les mêmes critères.
Certes, la statistique n'est pas en matière de bibliothèque une science exacte, mais des éléments de comparaisons plus nombreux seraient ô combien nécessaires à tous ceux qui concourent à faire vivre des projets ou à les financer.
De leur côté, le Conseil supérieur des bibliothèques et les ministères de tutelle sont en permanence à la recherche d'éléments de comparaisons internationales jusqu'à présent bien lacunaires. Ici et là, heureusement, figurent des informations capitales (organigramme, horaires d'ouverture au public), mais pas évoquées dans tous les cas. La plupart des coûts d'investissement sont fournis au moins dans leurs grandes lignes, mais la question des coûts de fonctionnement prévisionnels est trop peu souvent abordée (San Francisco figure parmi les exceptions).
Des rites sociaux
Le meilleur de l'ouvrage réside dans le soin mis par chaque auteur à rendre compte de la spécificité de chaque projet qui, au-delà de ses caractéristiques techniques, reflète l'ambition et le rêve de sociétés différentes. Les exemples contrastés de Tallinn, Dakar ou Waseda sont de ce point de vue tout à fait représentatifs. En cela, ces projets ont effectivement quelque filiation avec l'Alexandrie mythique des origines. A cet égard, la longue introduction de Michel Melot pose de manière tout à fait remarquable la problématique de ces bibliothèques qui se multiplient malgré l'essor des nouvelles technologies.
La vigueur de ces grands projets, leur ancrage dans une communauté ou dans une nation, tiennent avant tout à leur force symbolique, et une approche fonctionnaliste est loin d'en épuiser tout le sens. De là proviennent sans doute bien des débats entre architectes et bibliothécaires. De là aussi l'intensité des polémiques qui jalonnent l'histoire de presque tous ces projets.
Par la qualité et la précision de sa présentation, son ouverture internationale, ces Nouvelles Alexandries comptent parmi les plus belles réussites de la collection « biblio- thèques ». Préparé avec un soin très professionnel et bien documenté, c'est aujourd'hui, au plan international, le seul panorama disponible sur tous ces grands projets.
On se prend à rêver que ce parcours très utile à travers les continents puisse prendre un tour plus régulier. Ces projets sont en effet en pleine évolution et au-delà de l'ouverture au public, il sera très intéressant d'en connaître les premiers bilans. Par ailleurs, en dehors des quinze cas analysés, il en existe d'autres (au Japon, en Corée, à Singapour, au Portugal, en Espagne, pour s'en tenir à quelques exemples) qui vaudraient la peine d'être décrits. Souhaitons donc, sous une forme ou sous une autre, une suite à cette belle entreprise !