De la plus grande à la plus petite

Martine Poulain

De la plus grande à la plus petite, tel était le thème du congrès de l’Association des bibliothécaires français (ABF) qui s’est tenu dans les espaces de la Bibliothèque nationale de France (BNF) à Tolbiac en juin dernier. Plus de 1 500 bibliothécaires avaient envahi ces espaces, qui se prêtaient à une telle affluence pour la première fois.

Si ces journées furent l’occasion d’une familiarisation avec le nouveau bâtiment pour les bibliothécaires venus de toute la France, elles furent aussi l’occasion d’un premier test pour les maîtres d’ouvrage. Test qui consiste également, c’est maintenant un fait entendu, à cerner les usages imprévus d’un lieu. Peut-être les terrasses de la BNF vont-elles à la suite de ce congrès s’enrichir d’un bar en plein air, proposition qui avait manifestement ravi les congressistes, heureux de contempler ainsi sous le soleil la forêt tropicale du rez-de-jardin.

Réseaux

Ce congrès voulait donc, à l’occasion de l’ouverture prochaine de la BNF, réfléchir à l’organisation des réseaux de bibliothèques, en cernant les rôles respectifs des différents établissements dans un tel ensemble. Plusieurs collègues étrangers avaient été invités, et les expériences anglaise, suisse, italienne, américaine, danoise, hollandaise ou québécoise ont pu être évoquées.

Du côté français, on rappela les collaborations en cours. Les pôles associés sont au nombre de 31 (15 en province et 16 en Ile-de-France) et concernent 48 établissements, certains s’étant regroupés pour former un pôle. Qui dit pôle associé ne dit pas seulement aide au signalement bibliographique des richesses documentaires des pôles, mais aussi aide aux acquisitions : au cours des exercices 1994 et 1995, rappelait Georges Perrin, la BNF a aidé à l’acquisition de 13 200 monographies et 500 titres de périodiques, pour un montant de 6,5 MF. Après avoir surtout passé des conventions avec des bibliothèques municipales et universitaires, la BNF, depuis le début de l’année 1996, s’intéresse à d’autres sites, très spécialisés, tels l’Institut français du pétrole, l’Institut national d’études démographiques, etc.

La BNF souhaite que les coopérations avec les pôles associés se poursuivent, mais, alors que plusieurs pôles présents (Poitiers, la bibliothèque du musée de l’Homme) insistaient pour une pérennité dans le soutien, par exemple en ce qui concerne les acquisitions, l’accent était mis du côté de la BNF sur d’autres exigences : le soutien à certaines opérations ponctuelles, la complémentarité dans le domaine du signalement ou pour la fourniture des documents à distance. Jean-Marie Compte, directeur de la bibliothèque municipale de Poitiers, plaidait pour une plus grande transversalité dans les opérations de coopération BNF-pôles associés et appelait à la mise en place de rencontres entre les pôles, notamment quand leur domaine de compétence était proche. Il souhaitait plus généralement que « le partenariat soit mieux équilibré ».

Marcelle Beaudiquez, directeur du développement scientifique et des réseaux à la BNF, présentait quelques-unes des orientations futures du travail de la BNF avec les pôles associés : aide au microfilmage et à la numérisation d’un choix partagé de textes ou d’images ; recherche de nouveaux partenaires pour renforcer certaines disciplines ; création de pôles associés avec certaines BM bénéficiant du dépôt légal imprimeur.

Yves Moret donnait quelques éléments d’information sur le futur CCF (Catalogue collectif de France). Moins une base unique qu’un réseau de catalogues, réunissant virtuellement le catalogue de la BNF, celui des bibliothèques universitaires (Pancatalogue), les catalogues des pôles associés, un catalogue des fonds anciens rétroconvertis dans une cinquantaine de bibliothèques municipales. Soit un ensemble d’environ 15 millions de notices. Le CCF sera un support de réseaux, reroutant vers les différents catalogues concernés, accessible par le web : « C’est un guichet, un point d’accès, une passerelle vers des réseaux existants ». Le déchargement des notices ne sera pas possible, il n’y aura pas d’accès matière. Sera aussi offert un Répertoire national des bibliothèques et centres de documentation, qui a déjà un sigle : RNBCD...

Une loi sur les bibliothèques

Tout congrès de l’ABF est aussi l’occasion d’intervention des administrations centrales, qui réservent parfois certaines de leurs annonces à cette audience. La palme doit être cette année donnée au ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy. Celui-ci annonça en effet : une réforme importante du dépôt légal imprimeur ; la création de nouveaux fonds régionaux d’acquisition pour les bibliothèques, dont les missions devraient s’étendre aussi à la restauration ; de nouvelles mesures en faveur du développement de la lecture, notamment à l’hôpital ; l’intégration de la Joie par les livres à la BNF ; l’aide au recrutement de personnel qualifié dans le contexte intercommunal. Last, but not least, le ministre a annoncé la présentation de la tant attendue loi sur les bibliothèques au Parlement en 1997. Celle-ci, sur laquelle le BBF aura longuement l’occasion de revenir, devrait notamment affirmer la vocation de toutes les bibliothèques à former un réseau ; encourager leur vocation patrimoniale et préciser le statut juridique des collections ; affirmer les compétences des professionnels et leur qualité à diriger les bibliothèques ; réaffirmer et développer les principes du service public – continuité, égalité d’accès, neutralité.

A ce propos, le ministre a longuement et clairement évoqué l’affaire de la bibliothèque municipale d’Orange et des censures effectuées sur les acquisitions par le maire Front national *. Le rapport de l’inspection effectuée par Denis Pallier a exposé les manquements au respect du service public que représentent de telles interventions. Le ministre a indiqué que les aides de l’État à la construction de la nouvelle médiathèque ne seront versées que si la municipalité respecte les principes du service public.

Bernard Dizambourg, directeur de l’information scientifique et technique et des bibliothèques au ministère de l’Éducation nationale, se donne trois objectifs : faire des bibliothèques universitaires le lieu principal de familiarisation avec les nouvelles technologies ; construire et rénover de nouveaux espaces de bibliothèques ; faire en sorte qu’à tous les niveaux de décision, les bibliothèques universitaires soient prises en considération et jugées prioritaires : « Les présidents d’université doivent comprendre que l’avenir de la documentation est aussi entre leurs mains ». Puisqu’on ne peut accroître le budget de l’enseignement supérieur, il faut, a répété Bernard Dizambourg, obtenir des arbitrages internes favorables à la documentation, localement et nationalement.

Un Conseil supérieur actif

Enfin, Michel Melot a livré un bilan du fonctionnement du Conseil supérieur des bibliothèques depuis sa création, voilà six ans. Le CSB a bien fonctionné, estime son deuxième président. Au terme de son mandat, celui-ci a souhaité délivrer plusieurs messages. Du côté de la lecture publique, la multiplicité des missions des bibliothèques pose problème aux professionnels. Pourtant, elles ne doivent pas se passer de cette richesse. Cette diversité est un atout, même si les différents services, souvent complémentaires, peuvent être aussi contradictoires. Il existe un moyen simple de sortir de cette contradiction : si l’on multiplie les services des bibliothèques, on doit aussi multiplier leurs moyens.

Le fossé existant entre les bibliothèques d’enseignement primaire et supérieur n’a pas été comblé. Il s’agit là d’une rupture grave, sous-tendue par des conceptions de la documentation différentes et renforcée par la différence statutaire entre les professionnels de ces deux secteurs.Le CSB a pleinement joué son rôle interministériel, estime son président. Il a su n’être ni une commission paritaire, ni un club de discussion mondain ou un centre de futurologie consacré aux bibliothèques... On ne peut qu’être pleinement d’accord avec Michel Melot et souhaiter longue vie à un CSB fort, reconnu. On ne peut que souhaiter que ses avis soient davantage encore entendus et suivis, car ils sont essentiels pour le développement des bibliothèques de ce pays.

  1. (retour)↑  L’affaire, depuis, a été rendue publique. La presse écrite et audiovisuelle s’est largement fait l’écho du rapport de l’Inspection générale (cf. par exemple Libération du 11 juillet 1996 et Le Monde des 14-15 juillet 1996). Le BBF reviendra sur cette question centrale.