Catalogues collectifs et accès à l'information
Hélène Lorblanchet
Des catalogues collectifs, oui. Mais pour recenser quoi, dans quelles bibliothèques, avec quelle couverture géographique, sur quels supports et pour quels usagers ? C'est un début de réponse à ces multiples questions qu'a apporté la journée d'étude organisée conjointement par la section Étude et recherche et le Groupe régional Languedoc-Roussillon de l'ABF (Association des bibliothécaires français), tenue au CRDP (Centre régional de documentation pédagogique) de Montpellier le 13 mai 1996.
Son intitulé, « L'accès à l'information de la plus petite bibliothèque à la plus grande », la plaçait résolument dans la perspective du congrès national 1996, mais en se limitant volontairement au thème porteur – d'espoir comme d'inquiétude – du recensement des ressources documentaires et de son amélioration annoncée grâce aux nouvelles technologies.
Si toutes les tailles d'établissements étaient effectivement bien représentées, comme le montrait la forte présence des documentalistes de « petits » centres dans l'assistance, aux côtés des bu (bibliothèques universitaires), des institutions de lecture publique de la région, et même de représentants de la BNF (Bibliothèque nationale de France), c'est aux réseaux nationaux qu'étaient consacrées les premières interventions.
Ainsi, Maggy Pézeril venait présenter l'Agence bibliographique de l'enseignement supérieur, et surtout le système universitaire (SU), qui s'adresse aux bibliothèques de l'enseignement supérieur et à leurs usagers. A la fois catalogue collectif de ces bibliothèques, système de fourniture de documents à distance et répertoire des établissements participant au réseau, le su permettra en outre l'accès à des banques de données externes et supportera une messagerie professionnelle, ainsi que des outils de pilotage (statistiques, gestion des coûts) et des produits dérivés.
Quatre phases de réalisation sont prévues : chargement initial des données, expérimentation sur des sites pilotes, migration des bibliothèques (en trois branches – les bibliothèques « BN-Opale », puis « SIBIL », puis « OCLC »), arrêt progressif (« en biseau ») des applications actuelles
Le choix du système, après appel d'offres sur performances (en cours), doit avoir lieu fin 1996. La réalisation commencera en 1997, le chargement initial des données et l'expérimentation sur sites pilotes sont prévus pour début 1998, tandis que le déploiement se ferait entre mi-1998 et fin 1999.
Le Catalogue collectif de France
Le projet de Catalogue collectif de France (CCF), était présenté par Yves Moret. Ce dernier insista sur son aspect fédérateur : projet vieux de deux cents ans réactualisé en 1989, le CCF a pour but de permettre à tout utilisateur distant l'accès aux ressources documentaires françaises et la localisation de ces mêmes ressources.
Il offrira à la fois un recensement des bibliothèques et centres de documentation ; un catalogue virtuel constitué du catalogue de la BNF (environ dix millions de notices), du su (environ cinq millions de notices), et de la conversion rétrospective des fonds anciens, locaux, régionaux ou particuliers de plus de cinquante bibliothèques municipales ; un système d'information distribué avec interface unique (selon la norme Z 39-50 version 3) ; l'amélioration de l'accès au document (par l'amélioration du prêt entre bibliothèques et du service de fourniture à distance de la BNF).
Il est important de préciser qu'il s'agira bien d'un outil de localisation et non d'un réservoir bibliographique permettant la dérivation de notices ou d'un instrument de catalogage partagé. Les données des trois catalogues-sources ne seront pas dupliquées, mais interrogeables sur le Web avec une interface unique permettant d'obtenir une seule liste de réponses. La livraison du CCF se fera par fonctions : tout d'abord le répertoire des bibliothèques, puis la consultation des catalogues, et enfin l'accès au document.
Pour être indéniablement collectif et d'un intérêt qui se mesure à l'ancienneté du projet, le CCF n'a cependant pas non plus vocation à recenser exhaustivement les ressources documentaires, puisque ni les fonds de « lecture publique » des bibliothèques municipales et des bibliothèques départementales de prêt, ni les catalogues des plus petits établissements, qui offraient de multiples exemplaires des mêmes références, ne seront recensés. Yves Moret assure cependant que la liaison avec les systèmes locaux et régionaux sera prévue grâce au répertoire des bibliothèques, qui devrait indiquer les moyens d'accéder, quand cela est possible de l'extérieur, à leur catalogue local.
Le réseau Languedoc-Roussillon
La couverture documentaire ne pourrait-elle donc être complète que si l'on se limite à une région, et même plus encore, à un type d'établissement ou de fonds ? C'était en tout cas le sens des autres interventions de la journée.
Ainsi Benoît Lecoq présentait-il RELAIS (réseau en Languedoc-Roussillon pour l'information scientifique). Cette réalisation dont la BIU (bibliothèque interuniversitaire) de Montpellier est le maître d'œuvre et le Pôle universitaire européen le maître d'ouvrage, a en effet pour but de mettre en commun et de faire connaître des ressources qui semblent toujours insuffisantes au chercheur qui les approche isolément, et qui ne seront pas forcément recensées dans les catalogues nationaux.
Le choix pour RELAIS de la situation Web (http://www.cnusc.fr:8100) permet la souplesse d'utilisation, l'hypertexte et l'hypermédia. Le réseau fonctionne depuis juin 1995, mais doit encore être amélioré : il est prévu en particulier de l'enrichir par l'accès à des catalogues de BUFR (bibliothèques d'unités de formation et de recherche), d'en perfectionner l'interrogation, d'y proposer de nouveaux services (actualité des bibliothèques, publications professionnelles, adresses utiles…), d'y développer la dimension patrimoniale et d'y mettre en valeur des fonds spécifiques. En l'état actuel des choses, l'alléchante possibilité d'interrogation multicritères et multibases formait le cœur de la démonstration du réseau par Catherine Étienne, de la biu de Montpellier.
Une bibliographie régionale informatisée
Il sera intéressant d'observer l'articulation entre ce serveur à vocation plutôt universitaire et le projet de réseau documentaire régional de recensement des fonds locaux et thématiques que décrivaient ensuite Gilles Eboli, président de l'agence régionale de coopération CLLR (Coopération pour le livre en Languedoc-Roussillon), et Dominique Mans, chef de projet.
Pour mettre en œuvre un tel réseau, la première phase est de cerner l'existant : une enquête a donc été lancée auprès de 196 établissements de la région, des BM aux archives départementales en passant par les BU, les BDP (bibliothèques départementales de prêt) et tous les centres documentaires connus. Elle a permis un premier recensement (non exhaustif, puisque seuls quarante-huit établissements, les plus gros, ont répondu) d'une vingtaine de fonds anciens, vingt-six fonds locaux et douze fonds thématiques. Sur ces fonds, vingt-quatre sont déjà informatisés, recensant environ 270 000 références (on estime qu'au total le réseau pourrait concerner 600 000 notices).
Le début de cette « bibliographie régionale informatisée » serait bien sûr de permettre, par l'établissement d'un catalogue collectif, la mise en place d'une politique de conservation, d'acquisition et d'élimination au niveau régional. Plusieurs solutions techniques sont envisagées : antéserveur, serveur Web, constitution d'une base bibliographique propre, ou CD-rom.
Un catalogue commun sur CD-rom.
C'est justement ce dernier support, le cd-rom, qui a été la solution choisie en Rhône-Alpes pour recenser les fonds locaux de la région, comme l'a expliqué Hélène Dubois. La nouvelle agence de coopération de cette région fondée en 1993, ARALD (Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation), a en effet – à la demande des professionnels mus eux aussi par un souci de gestion des fonds, de localisation et de partage des ressources, et de passerelle entre grands et petits établissements –, lancé un projet de catalogue commun.
Pour cela, il fallait d'abord définir la notion de fonds local. Une définition très large a été retenue, englobant « tout ce qui est écrit, édité et imprimé en Rhône-Alpes et sur Rhône-Alpes, tous supports, toutes époques et toutes disciplines ». Un questionnaire a permis de recenser un premier groupe de bibliothèques proposant 450 000 documents répondant à cette définition, dont 13 000 manuscrits, ainsi que 300 titres de périodiques.
Le projet de cd-rom a ensuite été lancé, financé par arald, avec l'aide non négligeable de nombreuses bibliothèques et de la municipalité de Lyon. Il s'est rapidement trouvé face à un problème majeur : la nécessité d'utiliser un logiciel commun pour interroger des bases issues de toutes sortes de « systèmes-maisons » différents.
Malgré tout, le produit existe aujourd'hui, recense 150 000 notices de vingt-deux bibliothèques de toutes tailles et permet une recherche multicritères sur huit champs. En outre, il a eu pour bienfait de renforcer la coopération entre les établissements de la région. Cependant, la nouvelle édition, exigée par l'intérêt même de nouvelles bibliothèques pour s'associer au projet, retrouvera des problèmes identiques d'homogénéité des systèmes et des notices, de dédoublonnage et de compilation des index.
Aucune solution miracle
Il n'y a pas de solution miracle : il faut abandonner une fois pour toutes ce vieux rêve de bibliothécaire auquel les promesses des nouvelles technologies de l'information avaient redonné vigueur : le catalogue universel, exhaustif et parfait. C'est vers un foisonnement de catalogues de taille et de couverture géographique ou thématique variées que l'on se dirige. La journée du 13 mai l'a bien montré, comme elle a permis de se rendre compte que l'on n'était qu'au tout début de ce processus.
Il faudra encore attendre pour que les interrogations des participants, exprimées lors des débats, trouvent une réponse : comment seront recensés les « petits » établissements ? Et surtout, trouvera-t-on une articulation satisfaisante entre ces différents catalogues pour éviter la redondance tout en permettant un accès aussi large que possible à l'information ? Alors seulement l'utilisateur final pourra accéder selon ses besoins à différents niveaux de catalogues… sous une forme – et sans doute à un coût – qui restent encore largement à définir.