La construction du Centre d'information scientifique de l'Institut Pasteur
Corinne Verry-Jolivet
La bibliothèque centrale de l'Institut Pasteur est une bibliothèque de recherche, spécialisée en microbiologie. Transférée en 1994 dans un nouveau bâtiment, le Centre d'information scientifique, elle a été conçue pour être évolutive, tant par ses espaces que par ses fonctions. Sa réalisation est le fruit d'un étroit travail de collaboration entre bibliothécaires et architectes, et traduit sa double vocation de bibliothèque de conservation et de centre de documentation scientifique moderne.
The central library of the Institut Pasteur is a research library, specialized in microbiology. Transferred in 1994 in a new building, the scientific information centre, it has been conceived to be evolutional, in its spaces and functions. Its realization is the result of a close collaboration between librarians and architects, and shows its double vocation of library of conservation and modern scientific documentation centre.
Die zentrale Bibliothek des Instituts Pasteur ist zugleich eine Forschungsbibliothek und eine Fachbibliothek der Mikrobiologie. Sie wurde 1994 in ein neues Gebäude umgeräumt, das sogenannte wissenchaftliche Informationszentrum. Sie wurde als entwicklungsfähig begriffen, was den Raum sowie die Tätigkeit betrifft. Eine enge Zusammenarbeit wurde dazu verlangt zwischen Bibliothekaren und Architekten; deren Ergebnis muß den Doppelauftrag der Anstalt darstellen, d.h. Erhaltungsbibliothek und modernes wissenschaftliches Dokumentationszentrum.
La bibliothèque centrale de l’Institut Pasteur est installée depuis septembre 1994 dans le centre d’information scientifique, nouveau bâtiment construit sur le campus nord de l’Institut Pasteur, dans le 15e arrondissement de Paris.
Depuis plusieurs années, la bibliothèque ne pouvait plus assurer correctement ses missions et n’était plus adaptée aux besoins des chercheurs : hébergée dans les locaux historiques qui abritent toujours le musée Pasteur, elle avait atteint un degré de saturation qui obligeait à disperser les collections dans plusieurs bâtiments, et empêchait toute extension des places de lecture de la salle principale.
Pour remédier à cet éclatement, et face à l’évolution rapide des besoins d’information et des outils documentaires, la direction de l’Institut envisagea un transfert complet de la bibliothèque dans une nouvelle structure qui devait être non seulement une bibliothèque de conservation, mais surtout un centre de documentation scientifique moderne pour les chercheurs. Il a donc été décidé de construire un nouveau bâtiment regroupant toutes les fonctions documentaires et de consacrer des moyens importants à l’édification d’un centre d’information scientifique doté de ressources équivalentes à celles des autres centres de recherche internationaux.
La communauté scientifique a largement appuyé ce projet ambitieux qui réunissait dans un même bâtiment la bibliothèque centrale, une salle de conférences et tous les autres services ayant vocation à diffuser l’information.
A l’ère de l’édition électronique, fallait-il consacrer des espaces à l’archivage des documents ? Comment faire cohabiter l’imprimé (ancien et actuel) et le multimédia ? Ces questions ont guidé les choix de départ, en tenant compte de la spécificité de la bibliothèque. Celle-ci est ancienne et possède un fonds patrimonial important, mais elle est aussi et surtout une bibliothèque de recherche vivante.
En biologie peut-être plus que dans d’autres domaines, l’acquisition, la circulation et le traitement de l’information ont pris une place essentielle, quotidienne, dans l’activité et la formation des chercheurs, et les objectifs de la documentation à l’Institut Pasteur sont étroitement liés à ses objectifs généraux.
Les choix initiaux, la programmation
Les premières études sur la construction d’une nouvelle bibliothèque ont commencé en 1989. La direction a réuni une commission, composée de chercheurs, chargée de réfléchir à la définition des fonctions de la bibliothèque, et qui décida :
– de recourir à une expertise afin d’élaborer un projet fonctionnel pour la bibliothèque avant de décider de la structure même du bâtiment 1 ;
– d’étayer l’analyse de la situation existante et du projet lui-même en recourant à la comparaison des données statistiques internationales disponibles, soit directement auprès d’autres bibliothèques de recherche, françaises ou étrangères, soit avec l’aide du ministère de l’Éducation nationale et de l’Unesco. Ces statistiques ne venaient que confirmer les analyses développées de façon plus pragmatique, à savoir l’insuffisance de personnel qualifié et des lacunes dans les monographies et les ouvrages de référence.
Mais elles confirmaient aussi que le fonds de périodiques constituait une très bonne base, et que la situation de la bibliothèque était assez bonne en matière de dépenses documentaires.
Quels furent donc les éléments clés pour la définition du projet ?
Celui-ci reposait sur quatre éléments principaux : le lectorat, les horaires d’ouverture, la politique d’acquisition, l’accès aux documents (avec toute la partie logistique qui en découle).
Les modèles étrangers n’étaient pas très nombreux. De plus, la structure même de l’Institut Pasteur justifiait une documentation centralisée, évitant sa dispersion dans les unités de recherche, et visant une économie sur les achats de documents, en particulier sur les abonnements de périodiques.
Se situer dans une perspective de modernisation supposait parallèlement la remise à niveau des collections, l’informatisation, et le recrutement de personnel qualifié.
C’était aussi se donner les moyens de créer une situation évolutive. Ce caractère « mouvant » de la documentation a été l’élément essentiel dans la définition architecturale de la bibliothèque.
Les architectes
Fort de son expérience sur la construction de deux autres bâtiments à l’Institut Pasteur, le cabinet « Dacbert et Associés » put s’imposer sur un programme architectural conçu à partir des éléments fournis par la direction de l’Institut et affiné avec l’aide de Marie-Françoise Bisbrouck.
Le cabinet Dacbert affecta deux jeunes architectes à ce projet, qui firent le choix dès le début de collaborer avec la bibliothèque 2. Ce choix n’était pas uniquement dicté par une volonté stratégique, mais bien par un souci d’intégrer les fonctionnalités particulières d’une bibliothèque spécialisée. Les chercheurs ont été également associés au projet en amont, mais aussi pendant la construction (commission d’acquisitions, commission informatique, enquêtes d’utilisateurs sur des points particuliers de réorganisation, comme l’extension des horaires d’ouverture, l’accueil, ou la répartition des collections).
Dans la chronologie de la réalisation, la phase de conception a été la plus délicate, car tous les éléments fonctionnels n’étaient pas définis en détail. Beaucoup de souplesse fut laissée au début dans l’aménagement intérieur, pensé au fur et à mesure de la réorganisation (répartition et classement des collections, organisation du travail, nouveaux services aux lecteurs), commencée dès 1991 dans les anciens locaux. Ceci a permis d’aborder plus sereinement la phase de mise au point avec les architectes, à partir de 1992 : premières consultations des fournisseurs de rayonnages et mobiliers, définition des câblages nécessaires, implantation sur plan des différentes zones de consultation, libre accès ou stockage, fonctions de la banque d’accueil.
La définition des fonctions du bâtiment
Les éléments à intégrer étaient les suivants :
– la bibliothèque centrale ;
– le centre de conférences (permettant d’accueillir plus de 5 000 congressistes), transformable, grâce à un système de fauteuils sur rails, en un espace polyvalent pouvant accueillir différents types d’activités annexes (expositions, réceptions) ;
– un étage rassemblant différents services : le service de presse, le service d’informatique scientifique, le bureau des colloques, le service des publications scientifiques, le service des archives scientifiques.
Ces services présentent, on le voit, une homogénéité dans leur mission d’information, mais se caractérisent aussi par des organisations ou des rattachements administratifs différents.
L’obligation de construire deux niveaux de parking destinés à l’ensemble du personnel de l’Institut entraînait aussi une gestion particulière des accès au bâtiment et aux étages, accessibles ou non au public.
Le regroupement des missions d’information, outre ces contraintes, offrait une perspective intéressante pour la bibliothèque de travailler en plus étroite collaboration avec ces services, en premier lieu avec celui de l’informatique, qui a été réorganisé en même temps que la bibliothèque.
Laurent Bloch, chef du centre d’informatique scientifique (CIS) de l’Institut Pasteur, déclarait, en 1994 : « L’état de l’informatique scientifique en 1991 à l’Institut Pasteur appelait un vigoureux effort de rattrapage scientifique et technique ; en fait il fallait accréditer l’idée que l’effort dans ce domaine devait être continu et que l’Institut Pasteur ne pouvait en faire l’économie ».
Ce constat, qui peut s’appliquer exactement à la bibliothèque en 1991, explique les avantages que ces deux services ont eu à se développer conjointement. Les choix du réseau, du matériel et du système d’exploitation entraînaient des solutions adaptées pour la bibliothèque, compte tenu de l’évolution des systèmes d’information de l’Institut Pasteur. L’informatisation fut évidemment pour la bibliothèque un développement prioritaire, et le cœur d’une redéfinition de ses fonctions.
Les fonctions préexistantes devaient s’enrichir par l’analyse des besoins des chercheurs, et sur des critères de modernisation des supports et des technologies. Mais la première nécessité fut de séparer les fonctions internes des fonctions de service public. La bibliothèque n’avait pas jusqu’alors de véritable fonction d’accueil, faute d’un espace réservé à cet effet. Cette situation empêchait le personnel, en contact avec les utilisateurs, de séparer son rôle opérationnel de son rôle relationnel. Ce point nous a semblé la clé de voûte de tous les changements à opérer, avec une traduction dans l’espace : des bureaux séparés des salles de lecture et de l’accueil.
Les fonctions nouvelles de la bibliothèque étaient liées à l’extension des horaires d’ouverture (ouverture en soirée et le samedi 3), à l’amélioration des conditions d’accès aux collections et à la fourniture des documents à distance. Enfin, la formation des utilisateurs devait renforcer le lien plus étroit à créer avec les unités de recherche, pour faire en sorte que les chercheurs « s’approprient » la bibliothèque.
Parallèlement aux grandes lignes rappelées dans l’encadré page précédentes, il a fallu définir très concrètement pour les architectes des fonctions prioritaires, comme l’installation d’un antivol, l’isolation des locaux de photocopieurs, des vitrines protégées pour les livres anciens, des prises électriques et informatiques sur toutes les tables.
Un terrain, des missions : contraintes et atouts
Des éléments concrets, un programme, mais aussi des contraintes et beaucoup d’inconnues : voilà ce qui fut livré aux architectes. Comment mettre en place ces fonctions dans l’espace ?
Le terrain concerné était le dernier terrain constructible sur le campus, au milieu d’un environnement particulièrement hétérogène : l’histoire de l’Institut est lisible dans ses bâtiments, dont la construction va de la fin du XIXe siècle à nos jours. Des bâtiments administratifs classés y côtoient des bâtiments de laboratoires plus récents. Sur l’emplacement d’anciennes constructions sans fondations, le bâtiment devait être conçu de façon à mettre en valeur l’espace constitué par un mail végétal existant et la façade de l’hôpital.
Le terrain, en même temps, offrait une orientation nord-est très favorable sur le mail, ce qui permit de développer très naturellement les 2 200 m2 de salles de la bibliothèque en un vaste volume sur deux niveaux, dont un en mezzanine, avec de grandes salles de lecture éclairées par une verrière de 65 m de long et 7 m de haut encadrant les bâtiments anciens de l’hôpital.
La bibliothèque de son côté offrait des contraintes d’un autre type :
– les acquisitions récentes obligeant à une extrapolation approximative sur leur extension ;
– une informatisation en cours avec autant d’inconnues quant à son utilisation concrète ;
– la nécessaire centralisation des fonctions documentaires.
L’organisation générale de la bibliothèque s’est traduite par une structure répartie sur 4 niveaux, prenant en compte la nouvelle organisation du travail (circuit du document, permanences, fonctions techniques et fonctions documentaires).
Quelle bibliothèque pour quels publics ?
Les utilisateurs de la bibliothèque sont à la fois bien identifiés et très diversifiés. L’accès à la bibliothèque a toujours été limité aux personnes pouvant justifier d’une recherche. Il est de fait limité au niveau 3e cycle universitaire, car les collections se prêtent peu à une utilisation en deçà de ce niveau.
Même si le public potentiel était bien cerné 4, nous ne pouvions que supposer des besoins qui n’étaient pas toujours formulés. Par ailleurs, tous les usagers de la bibliothèque ont des points de vue divergents sur les besoins documentaires et leur pratique est très différenciée : l’étudiant ne travaille pas comme le chercheur institutionnel, qui ne travaille pas comme l’industriel. Mais la structure crée la demande. Nous n’avons jamais aussi bien cerné les pratiques que depuis l’ouverture de la nouvelle bibliothèque, et l’exigence du lecteur vis-à-vis de cet outil n’a fait qu’augmenter.
Un projet architectural : des choix partagés
Le parti pris défendu par les architectes, et revendiqué par la direction et les bibliothécaires, a été de traduire cette homogénéité toute relative des publics et des pratiques par la construction d’une bibliothèque faite pour la recherche : une bibliothèque de travail, dotée d’outils modernes, résolument contemporaine mais classique dans son allure générale.
Dans un article écrit pour la brochure d’inauguration du C I S, Antoine Dacbert et Robert Chapelier décrivent ainsi la bibliothèque : « Double hauteur, rues intérieures offrant une large perspective sur l’ensemble des rayonnages, implantés de façon systématique perpendiculairement aux façades, renforçant l’impression de grande lisibilité de l’ensemble » .
La volumétrie générale du bâtiment est issue des contraintes d’implantation sur le site : une forme très rectangulaire, un respect des hauteurs et proportions des bâtiments environnants, mais aussi une modernité du bâtiment très fortement exprimée.
Les choix d’aménagement concertés
Tous les choix d’aménagements intérieurs ont fait l’objet d’une étroite collaboration avec l’équipe d’architectes, qu’il s’agisse de visites de bibliothèques étrangères ou de la sélection des fournisseurs.
Il serait réducteur d’opposer systématiquement une position qui serait celle du bibliothécaire adepte du seul mobilier standard et hostile à toute création, et une position qui serait celle des architectes qui ne viseraient que création et esthétique au détriment de toute fonctionnalité.
Nous avons pensé que c’était aux fournisseurs de mobilier spécialisé de faire preuve d’imagination, à la condition d’assurer une maintenance sur le matériel fourni, en évitant que la bibliothèque dispose d’un mobilier prototype dont la fabrication ne serait pas suivie et dont elle ne pourrait plus à terme assurer le remplacement dans une limite de coûts raisonnable. L’expérience nous a montré qu’il était possible de trouver un accord avec les architectes sur une ligne générale (locaux, répartition des zones et des fonctions, matériaux, type de mobilier) avec des impératifs communs (coûts, surfaces, accès, esthétique du mobilier).
Les impératifs de la bibliothèque sont, dans ce cas, de disposer d’un mobilier fonctionnel répondant à un certain nombre de normes, en particulier : hauteur/profondeur des étagères, signalisation, circulation dans les rayonnages, solidité, évolutivité.
Le compromis a donc été d’avoir une partie du mobilier standard pour les rayonnages et les postes de travail, mobilier répondant plus sûrement aux normes de stockage, à partir d’un cahier des charges précis (habillages, matériaux, équipement, etc. )
Par ailleurs, ce sont les architectes qui ont créé la banque d’accueil, élément visible et central, et donc porteur de l’image de la bibliothèque.
Les bureaux du personnel ont été traités à part, ainsi que les espaces consacrés au traitement des documents : salle d’enregistrement des documents et atelier de plastification/réparation, ces deux salles n’étant pas occupées par un personnel fixe. Antoine Dacbert résume ce compromis : « Le choix du mobilier a été dicté par un souci d’intégration naturelle aux espaces proposés, en privilégiant leurs particularités fonctionnelles, ce qui a amené à développer des modifications ou améliorations par rapport à un matériel standard techniquement éprouvé et susceptible d’évoluer avec le temps. De la même façon, le choix de matériaux, de revêtements, d’habillages ou de structure a été dicté par la volonté d’offrir aux chercheurs un outil de travail à la fois durable, facilement appropriable et pouvant aisément évoluer en fonction des nouvelles techniques de diffusion des connaissances scientifiques » 5.
Les leçons de l’expérience
Quelques critères objectifs et mesurables ont permis d’évaluer le degré de satisfaction des usagers et la fonctionnalité de la bibliothèque. Ce sont les indices d’évolution de la fréquentation, qui est passée d’un indice de 1 à 6 en deux ans. Des critères plus subjectifs (impressions des lecteurs, observation des pratiques) permettent d’apprécier l’utilisation réelle de la bibliothèque et l’appropriation de l’espace par les lecteurs. Mais c’est surtout l’adaptation et la capacité d’évolution de l’espace et des services qui sera le réel indicateur de réussite de cette bibliothèque.
Réussite qui ne se fait pas sans un effort important et permanent de formation à l’utilisation non seulement des contenus (collections, références, bases informatiques) mais des supports et de l’espace lui-même.
Comme on le sait, il est conseillé de mettre le vin en carafe...et d’apprendre à le déguster.
Mai 1996