La médiathèque
Nouvel outil pour le développement culturel en milieu rural ?
Charles Robillard
Le problème du développement culturel dans les villes de moins de 15 000 habitants doit conduire à reconsidérer la notion de « pays » : une petite ville et sa zone d'attraction naturelle. Faute de moyens, ces communes ne peuvent disposer d'équipements culturels spécifiques. Face au succès des médiathèques, ne pourrait-on pas les envisager comme une solution pour pallier ce manque ? Il s'agirait de pousser plus loin le concept de médiathèque, de le redéfinir comme un « nouvel espace culturel », qui apporterait une réponse complète, et resterait en adéquation avec les attentes et les possibilités financières locales.
Towns with fewer than 15 000 inhabitants spread their areas of influence, through the development of “counties”. Within them, the lack of cultural infrastructure is a reality that each town finds difficult to alter by lack of the funds destined to support an entire cultural infrastructure. Face to the increasing success of “médiathèques” (multimedia libraries), would it be possible to imagine that they could be a possibility to satisfy this need ? It would mean to expand the concept of “médiathèque” as a genuinely “new cultural centre”, which would provide a complete cultural service, an remain within the range of local resources.
Wegen der Problematik einer kulturellen Entwicklung in der Städte, die weniger als 15 000 Einwohner zahlen, muß man heute den traditionellen Begriff des sogennanten „pays« in Frage stellen, d.h. eine Gegend, die aus dem Bevölkerungsraum einer kleinen Stadt und deren naturellem Anziehungsbereich besteht. Die unzureichende kulturelle Ausrüstung ist eine Tatsächlichkeit, auf die die Gemeinden immer stoßen, da sie aus Mangel an Mitteln über keine eigene kulturelle Ausrüstung verfügen können. Dank dem zunehmenden Erfolg der Mediotheken wird aber möglich, diese Anstalten als Notlösung gegen diesen Mangel zu betrachten. Der Begriff der Mediothek muß aber genauer untersucht und als „neuer kultureller Raum« bestimmt werden auf Grund seiner bekannten Anpassungs- und Entwicklungsfähigkeiten. So würde von dieser Anstalt eine vollständige kulturelle Antwort erteilt, die den örtlichen Erwartungen und finanziellen Möglichkeiten entspräche.
Les communes de 10 000 à 15 000 habitants ont-elles intérêt à privilégier l’implantation de médiathèques en tant que principal équipement culturel ? Peut-on concevoir la médiathèque comme le fer de lance de l’activité culturelle dans ces petites villes, en l’envisageant comme un « nouvel espace culturel » capable d’apporter une réponse culturelle complète, tenant compte de leurs moyens et des attentes de leur population ?
La notion de pays
Avant tout, il convient de situer le champ d’action. Lorsqu’on parle de ces villes de moins de 15 000 habitants, il est important de se référer à la notion de « pays ». L’origine de ces pays, façonnés par l’histoire et la géographie, est culturelle au sens ethnologique du terme.
Elle se traduit par l’attraction naturelle d’une collectivité sur ses environs, pour constituer un échelon intermédiaire, entre la commune isolée et le département, qui se rapprocherait du canton. Cette notion de pays n’a pas toujours été prise en compte dans le découpage administratif et l’aménagement des voies de communication. Or, dans le cadre du développement de l’activité culturelle, elle retrouve toute sa valeur, notamment parce que le public touché sera celui de la commune, mais aussi de sa zone d’attraction naturelle.
L’activité culturelle de ces « pays » ne s’appuie bien souvent que sur un réseau de salles polyvalentes, généralement « poly-inutilisables » de par la faiblesse de leurs capacités d’accueil et de programmation. Quant aux bibliothèques, elles n’ont, dans la plupart des cas, pas encore évolué vers le modèle modernisé que constitue la médiathèque.
Ces petites villes ne peuvent disposer, au même titre que les grands centres urbains, d’équipements spécifiques à chaque activité culturelle (un théâtre, une salle de concert, un cinéma…), tout simplement pour des raisons financières.
Il s’agirait alors de définir un équipement culturel viable, adapté aux besoins et aux moyens locaux, mais aussi couvrant l’ensemble du champ culturel. Un équipement qui réunirait tout d’abord professionnalisme et fréquentation importante, qui sont les deux éléments indispensables à sa réussite. Un équipement capable de répondre aux besoins culturels et aux besoins associatifs, rassemblant des fonctions très différentes (bibliothèque, théâtre, cinéma, espace d’exposition…).
Ce croisement de la lecture publique, de l’audiovisuel, des arts plastiques et du spectacle vivant sur un même lieu, permettrait de réaliser d’importantes économies d’échelle, aussi bien au niveau de l’investissement qu’au niveau du fonctionnement. Cette pluridisciplinarité pallierait le manque d’équipements spécifiques et autoriserait, par ailleurs, des financements d’origines variées.
Une action de développement culturel
Une première hypothèse consisterait donc à présenter les équipements de lecture publique comme nouveaux socles du développement culturel.
Le succès de ces équipements place la lecture en première position, devant toutes les autres activités culturelles et artistiques, en matière de fréquentation. Et l’on constate que, dès qu’une bibliothèque s’agrandit, l’effet d’attraction est immédiat. De plus, le taux d’inscription est inversement proportionnel à la taille d’une ville : on compte 10 % d’inscrits dans les très grandes villes, contre près de 20 % dans les villes de 2 000 à 10 000 habitants et 25 % dans les villages, de moins de 2 000 habitants *.
Ce public dépasse les « clivages culturels » traditionnels, tels que l’âge et la catégorie socioprofessionnelle. Il regroupe en fait la globalité des cibles recherchées dans l’action culturelle, l’essentiel d’une population visée, et plus particulièrement les jeunes.
La « médiathèque » accentue encore cette capacité d’attraction du public, allant jusqu’à doubler l’impact des bibliothèques traditionnelles.
A la conception classique de la bibliothèque, « havre de tranquillité » consacré à l’étude, la concentration, le silence, la médiathèque a su ajouter les notions de convivialité, d’ouverture, de rencontre… en développant animations, communication, qualité et pluralité des collections (le savoir par l’image ne cesse d’évoluer), en présentant des informations sur la vie locale, associative, culturelle, sportive, touristique.
Ce lieu, dans lequel on parle plus de « valorisation » et de « diffusion » que de « conservation », n’est donc pas condamné à être un centre de fréquentation individuelle. La médiathèque prouve sa capacité à valoriser l’approche culturelle ; elle associe son rôle premier qui consiste à sauvegarder et préserver un patrimoine (écrit, audiovisuel…), à une grande ouverture sur le monde contemporain.
Enfin, elle développe des passerelles naturelles vers les autres secteurs artistiques et culturels et constitue une forme qui n’est pas réservée à un modèle urbain, contrairement à la plupart des équipements culturels.
Ne serait-il pas possible de pousser plus avant le concept, d’utiliser le bâtiment de la médiathèque en le pensant au-delà de ses compétences établies ; d’en faire la base d’une action culturelle plus ambitieuse qui pallierait le sous-équipement de ces petites villes ?
Un nouvel espace culturel pluridisciplinaire
Il faut en effet insister sur le fait que la capacité d’adaptation de la médiathèque tient en partie à son bâtiment, à sa fonctionnalité multiple, pensée dès sa conception. Ses locaux, accueillants et fondés sur les notions de confort et d’espace plus vastes et plus ouverts, ont permis sa transformation en un véritable centre pluridisciplinaire d’un type nouveau.
Au fil des années et des expériences, ce type de développement s’est avéré pertinent : il a provoqué chez le public de nouveaux désirs. Il pourrait aujourd’hui servir de passerelle vers d’autres pratiques culturelles.
Il existe, certes, des prémices : la médiathèque ne se définit plus seulement comme « une grande bibliothèque avec des médias ». Elle devient alors, au cœur de la cité, un lieu de diffusion de produits culturels, dont l’usage se veut plus complexe. Mais elle est, dans le cas précis des grands centres urbains où coexistent d’autres équipements spécifiques, rapidement concurrencée par les musées, les salles de spectacles…
A l’inverse, grâce à ses possibilités d’extension, la médiathèque pourrait devenir, dans ces « pays », un « nouvel espace culturel ». Un lieu, pensé dans toutes ces compétences, qui présenterait, au sein d’une structure mère consacrée au livre et aux différents supports de connaissance, un espace d’exposition (destiné à l’accueil, la programmation, aux activités municipales, associatives…) et une salle de spectacles. Certes, cette salle de spectacles n’aura jamais la qualité d’un vrai théâtre, mais la question se pose-t-elle réellement quand on connaît le budget de ces communes ?
Considéré comme un pôle unique, le « nouvel espace culturel » ne se contenterait pas d’une simple juxtaposition d’espaces autour de services communs (bureaux, services techniques, sanitaires…) : ces espaces – hall d’accueil, médiathèque stricto sensu pour la consultation et le prêt, salle d’exposition et salle d’activités, pour l’animation et l’offre culturelle – seraient réunis autour d’une conception commune, pensée dès l’origine de façon professionnelle.
Il s’agirait ainsi d’une seule entité, abritant des unités séparées, pour des raisons de gestion et de différence d’activités. Dans ce contexte architectural, un travail sur les circulations s’avère primordial : la configuration des unités doit leur autoriser une certaine autonomie (notamment dans les horaires d’ouverture), tout en les maintenant attachées à un seul et même lieu, dans leur rôle commun d’information et de sensibilisation du public. On obtiendrait ainsi une « double circulation modulable ». L’importance du hall d’accueil, en tant que premier lieu d’orientation, offrant le choix tout en guidant l’usager, trouverait tout son sens.
Une seule entité abritant des unités complémentaires
Ce « nouvel espace culturel » regrouperait plusieurs fonctions, adaptées aux besoins et aux moyens des communes en matière de coûts d’investissement et de fonctionnement : fonction de production (selon les possibilités des sites d’implantation), de programmation et d’accueil ; fonction d’innovation (retransmission collective de programmes satellite ou câble, organisation de séances vidéo en l’absence de salle de cinéma…) ; fonction d’animation locale (événements municipaux, protocole, vie associative…).
Il serait ainsi le moteur de l’animation culturelle en milieu rural, le meilleur outil d’action pour les villes de 10 000 à 15 000 habitants.
La viabilité de ces structures pourrait être renforcée par un regroupement en réseau : dans des villes de petite taille, la charge d’une action culturelle complète peut s’avérer trop lourde. Un schéma économique en échelle, basé sur la coopération et la coordination intercommunales, permettrait de faire face à cette relative faiblesse des moyens.
Profiter des compétences de programmation des professionnels dirigeant des équipements spécialisés à l’échelon régional (scènes nationales, centres d’art contemporain…) éviterait à ces « nouveaux espaces culturels » de vivre en autarcie et induirait le développement de la complémentarité entre les établissements culturels.
Ainsi renforcée dans sa pluridisciplinarité, la médiathèque deviendrait un élément structurant des petites villes. Elle se constituerait naturellement « repère » de l’identité d’un espace géographique, de par son architecture, son rayonnement et son taux de fréquentation.
Elle répondrait aux missions des médiathèques modernes : documentation, information, formation et mise à disposition, pour un usage privé et collectif, de tous les supports de la connaissance, de la création avec, au premier rang, le livre. Mais par extension, cette entité proposerait une offre culturelle complète et cohérente dans le cadre des petites villes et des zones rurales, ainsi capables de se doter d’un premier niveau d’intervention en matière de spectacle vivant, de cinéma et d’arts plastiques.
En tant que « nouvel espace culturel », elle annoncerait la fin de la dichotomie entre culturel et socioculturel en incarnant un centre de vie et un centre de savoir enfin réunis.
Juin 1996