Politiques culturelles et régions en Europe

Bade-Wurtemberg, Catalogne, Lombardie, Rhône-Alpes

par Olivier Tacheau

Mireille Pongy

Guy Saez

Paris : L'Harmattan, 1994. - 323 p. ; 22 cm. - (Logiques politiques). ISBN 2-7384-2895-9. 170 F

Si les politiques culturelles municipales sont aujourd'hui mieux connues 1, on constate que les études ont jusqu'à présent négligé l'implication des régions dans le domaine culturel. Aussi ces lacunes apparaissent-elles d'autant plus sensibles que l'avenir politique des régions au sein de l'Union européenne demeure l'objet de nombreux questionnements. Va-t-on voir par exemple se confirmer l'évolution récente du « moins d'État et plus de collectivité territoriale » encouragée notamment par Bruxelles ? S'oriente-t-on vers l'Europe des régions au détriment des États-Nations ?

Mireille Pongy et Guy Saez, chercheurs CNRS au CERAT (Centre de recherche sur la politique, l'administration et le territoire), interrogent ici la politique culturelle de quatre régions européennes fort différentes (Bade-Wurtemberg, Catalogne, Rhône-Alpes et Lombardie). Car, si les superficies, les populations et les budgets de ces régions sont très inégaux, celles-ci s'opposent surtout par leur histoire et leur statut politique. Si le Bade-Wurtemberg a le rang de quasi-État, si la Catalogne entre en concurrence directe avec l'autorité centrale, les deux autres, plus récentes, doivent encore affirmer leur identité (Rhône-Alpes) ou leurs prérogatives face au pouvoir central (Lombardie).

Le choix d'une telle disparité participe en fait clairement de la problématique de l'ouvrage, exempte de toute visée exhaustive ou prospective, mais répondant au seul dessein d'analyser les contraintes, de comprendre les enjeux et d'établir une typologie des logiques culturelles produites par ces collectivités publiques.

Le Bade-Wurtemberg et le modèle fédéral

L'organisation fédérale allemande se démarque des trois autres États unitaires par l'attribution de la compétence législative en matière culturelle à chacun des seize Länder (depuis 1949). En ce sens, le Bund (l'État fédéral) n'intervient que de façon subsidiaire dans la politique culturelle du Bade-Wurtemberg, avant tout centrée sur le territoire du Land (à faible visibilité externe).

Mireille Pongy retrace la construction du champ d'intervention culturelle en évoquant notamment sa modernisation inspirée par le soutien exemplaire et précoce apporté à la « culture alternative » par les villes. Ces dernières, responsables des administrations fixes (bibliothèques, musées, théâtres), représentent à la fois le concurrent direct 2 et l'« interlocuteur » principal du Land avec qui elles coopèrent par le biais de financements croisés.

Le Bade-Wurtemberg joue donc le premier rôle dans la structuration, l'application et l'harmonisation des politiques publiques progressivement sous-tendues par les référents de la démocratie culturelle, prévalant contre la rentabilité économique.

Cependant, les auteurs ne laissent pas de rappeler les limites financières et les risques de repliement identitaire nés de la réunification allemande.

La Catalogne et son identité culturelle

En reconnaissant à la fois les nationalités et l'unicité de la Nation, sans pour autant définir la répartition des compétences en matière culturelle, la récente transition démocratique de l'Espagne a induit une dérégulation entre État et collectivités locales. En ce sens, l'affirmation par la Catalogne de son autonomie culturelle, au travers d'une politique linguistique et régionaliste, a entraîné le désengagement progressif de l'État au profit de Madrid et de la culture castillane.

C. Olles, doctorant à l'Institut d'études politiques de Grenoble, analyse précisément les conditions de cette politique culturelle régionale délaissant les villes moyennes de la périphérie de la Generalitat pour concentrer efforts et investissements financiers sur Barcelone (placée en concurrence directe avec la capitale espagnole). Le but de cette politique est de donner à la culture catalane une visibilité européenne, voire internationale. Fondée sur l'aide à la création (exportable), cette normalisation identitaire passe surtout par le soutien à l'édition, à la lecture publique et à l'enseignement de la langue catalane.

L'auteur termine par un questionnement sceptique sur l'évolution actuelle de l'État, des autonomies vers le modèle fédéraliste (depuis 1992), rendue difficile par l'absence de coopération entre État et régions !

La Lombardie et la région Rhône-Alpes : entre autonomie et État

La France et l'Italie sont, malgré les récents processus de décentralisation, des pays de forte tradition interventionniste de l'État dans les affaires culturelles, particulièrement en ce qui concerne le patrimoine. Aussi les auteurs montrent-ils comment les deux régions tentent, malgré leurs faibles ressources culturelles (environ seize fois moins que le Bade-Wurtemberg et neuf fois moins que la Catalogne), de développer des politiques culturelles originales pour s'émanciper du joug de l'État et de la concurrence des villes 3.

Dotée d'une forte richesse patrimoniale, la Lombardie développe ainsi une action culturelle à la fois pédagogique - en soutenant par exemple la qualification professionnelle (notamment pour la lecture publique) - et anthropologique, en repensant l'acception même du mot culture. Son action est cependant entravée par l'arrêt des processus de décentralisation et l'effacement du rôle régulateur de l'État, segmenté, derrière celui des partis politiques empêchant la structuration du tissu culturel.

A l'instar de la Lombardie, la région Rhône-Alpes a dû s'intercaler entre État, définissant « les grandes orientations culturelles » et villes, « gérant les ressources matérielles, financières et humaines ». Les auteurs montrent comment la région a orienté sa politique culturelle vers la recherche de visibilité et de légitimité politiques en faisant de la culture un instrument de communication. Cela se traduit notamment dans le soutien des arts plastiques (le système des Fonds régionaux d'art contemporain et Fonds régionaux d'acquisition des musées est fort bien analysé), propices à l'inscription de la région Rhône-Alpes dans la modernité. Derrière cette logique du « faire-savoir », ils analysent également la mise en place et le contenu des contrats de plan État-région faisant une large place au « tourisme culturel » (sauvegarde patrimoniale) et à la promotion/diffusion de l'art contemporain au travers du spectacle vivant.

Ainsi, la clarté et la rigueur de cet ouvrage doté d'une solide documentation statistique introduisent, avec intelligence et succès, les jalons d'une plus ample réflexion sur l'harmonisation future des politiques culturelles des régions européennes, sans véritablement trancher la question : omnipotence des régions ou retour des États-Nations en matière culturelle ?

  1. (retour)↑  Cf. Jalons pour penser les politiques culturelles municipales / Philippe POIRRIER, Sylvie RAB, Serge RENEAU et Loïc VADELORGE, Paris, La Documentation française, 1995 (Travaux et documents ; 1).
  2. (retour)↑  Les villes représentent 55 % des dépenses culturelles contre 40 % pour le Land
  3. (retour)↑  On note que Lyon comme Milan ont des budgets culturels supérieurs à ceux de leur région.