Ville, culture et développement
l'art de la manière
Jean-Michel Montfort
Hugues de Varine
Le point de départ de cet ouvrage est une mission d'évaluation des actions culturelles conduites entre 1989 et 1993 dans la région Nord-Pas-de-Calais, dans le cadre de la politique de la ville. Une telle mission ne permettait pas aux évaluateurs d'échapper à quelques redoutables questions de définition. Il n'y a pas là de coquetterie méthodologique. La politique de la ville a réactivé et renouvelé le débat sur la légitimité de l'action culturelle et réinterrogé la notion de culture à partir de laquelle s'était construite la politique culturelle en France.
Le débat est engagé, mais nous sommes encore loin d'avoir établi un corps de doctrine (des valeurs, des principes d'action, des références communes à un ensemble d'acteurs et partagées par une part significative du corps social) indispensable à l'action publique comme à son évaluation. Comment engager une évaluation s'il n'y a pas accord sur l'objet de l'évaluation ? Nous ne sommes donc pas en présence d'un rapport d'évaluation d'actions culturelles, mais d'une contribution à l'élaboration d'un cadre de pensée et d'action, contribution qui amène les auteurs à définir des termes, à cerner des notions pouvant rendre compte des actions et leur « attribuer de la valeur ».
La dimension culturelle du développement
Les auteurs ne cachent pas l'engagement que cela suppose. Ils souhaitent faire partager des « regards et des convictions », parce qu'il « est toujours possible de lire en positif des situations sociales qu'une certaine lecture a peu à peu construit en négatif ». Ce déplacement des points de vue, l'ouvrage l'effectue d'abord à propos du « concept d'action culturelle » pour lui préférer « celui de dimension culturelle, particulièrement en ce qui concerne le développement social urbain ».
Dimension culturelle qui « englobe l'ensemble des composantes psychosociologiques qui concourent (...) à l'amélioration des conditions de vie matérielle et morales des populations (...) », selon des termes empruntés à l'Unesco 1. Ce déplacement de sens, désormais classique mais conséquent, vers la dimension culturelle du développement, préside à l'ensemble de l'ouvrage jusqu'à sa conclusion, où « construction d'un sens commun et culture sont alors presque synonymes ».
Changement ou déplacement ?
Après une description un peu rapide du contexte du Nord-Pas-de-Calais, les auteurs s'attachent à définir une trentaine de mots clefs (acteurs, art, culture et développement, citoyenneté, expérimentation...) qui permettent au lecteur de bien situer les points de vue adoptés.
Sont ensuite passés en revue les multiples acteurs de la politique de la ville, des élus aux habitants en passant par les différents « médiateurs », qui ont chacun des représentations distinctes de la dimension culturelle du développement social urbain.
La synthèse de ces observations est articulée autour de la notion de changement (changement subi, refusé, maîtrisé, changement des institutions, dimension culturelle du changement, méthodes, moyens, procédures...), à laquelle les auteurs finissent par préférer celle du « déplacement, moins vague et moins galvaudé ». Le dernier chapitre livre la « boîte à outils » des acteurs de la politique de la ville (les étapes d'un processus et d'un projet, les critères de pertinence...). La formation est retenue comme le plus important de ces outils, et l'on sait son rôle déterminant dans l'élaboration et la diffusion de ces valeurs communes indispensables à l'action.
Dans ces formations souhaitées, le présent ouvrage aurait sa place pour la nécessité qui l'anime d'outils renouvelés de pensée et d'action.
Cette nécessité conduit à un foisonnement qui passe parfois trop vite sur des définitions et sur des analyses dont on attendrait, par ailleurs, des indications plus précises sur leur degré de légitimité : ont-elles été soumises aux acteurs locaux, comment ont-elles été discutées et partagées ? Les chercheurs retiendront peut-être la dimension symbolique de l'application à des territoires français de notions forgées pour des territoires « en voie de développement ».