De la Fureur de lire au Temps des livres
La fête du livre et de la lecture, une identité multiple
Monique Michelin
La Fureur de Lire, devenue en 1994 le Temps des Livres, fêtera en 1996 sa huitième édition. Proposée et promue par le ministère de la Culture, cette manifestation a évolué au fil des ans. Le nombre d'animations s'est considérablement accru. Le nombre et la diversité des partenaires impliqués ne cessent d'augmenter. Loin d'être une manifestation ponctuelle et sans lendemain, elle est cohérente avec la politique globale du ministère, visant à l'extension des publics lecteurs.
Reading Fury, which has become now Time for Books, is going to celebrate its eighth edition. Proposed and promoted by the ministère de la Culture, this event has changed as the years went by. The number of cultural events has greatly increased. The number and the variety of partners is constantly growing. Far from being a selective and short-lived event, it is coherent with the ministery's global policy, which aims at the extension of the number of readers
Die sogenannte « Fureur de lire » (wörtlich « Lesenswut ») ist 1994 der „Temps des livres« (wörtlich « Zeit der Bücher ») geworden, und soll 1996 ihren achten Geburtstag feiern. Dieses vom Kulturministerium vorgeschlagene und beförderte Fest hat sich im Lauf der Jahre verändert. Die Veranstaltungen sind immer zahlreicher geworden, sowie die verschiedenen darauf eingegangenen Partner. Anstatt ein vereinzeltes Fest ohne Folge zu sein, entspricht es der gesamten Politik des Ministeriums, die eine Vergrößerung des lesenden Publikums zielt.
A sa naissance, la fête du livre et de la lecture repose sur un paradoxe. Alors que la simplement nommée Fête de la musique attire chaque année, le jour de l'été, les foules dans la rue, la provocatrice Fureur de Lire doit prouver qu'une activité aussi éminemment solitaire et silencieuse que la lecture peut également se partager et se prêter à une fête.
Au-delà des scores et des chiffres, fils d’Ariane ténus permettant de signaler une évolution, au-delà des analyses sémantiques du titre de la manifestation, très conjoncturellement significatives, il s'agira davantage ici de tenter de comprendre comment, alors que nous célébrerons en 1996 sa huitième édition, bibliothécaires, libraires, éditeurs, enseignants, personnels des réseaux associatifs et publics, en France et à l'étranger, choisissent, chaque année plus nombreux, de fêter avec le ministère de la Culture, le livre et la lecture.
Pourquoi une fête nationale du livre et de la lecture ?
Les thèmes de « crise de la lecture », de concurrence des nouvelles technologies et des médias audiovisuels, sur lesquels se penchent études et enquêtes 1, ont alimenté les débats depuis quinze ans. Pourtant, l'entrecroisement de volontés politiques d'origine diverse a permis l'émergence de nombreuses manifestations autour du livre, qu'il s'agisse de salons ou fêtes organisés par les professionnels, éditeurs et libraires, ou de campagnes de sensibilisation à la lecture lancées par le ministère de la Culture.
Ainsi, le Syndicat national de l’édition (SNE) organisait en 1981 le premier Salon du livre de Paris. Cette initiative était suivie de nombreux salons en région, dont certains s'implanteront durablement.
De son côté, le ministère de la Culture organise dès cette période des campagnes de promotion : « Un livre et tu vis plus fort » (campagne publicitaire à la télévision et affiches), en 1985, « Les livres, beaucoup, passionnément » et « Êtes-vous livre ce soir ? » (affiches) en 1987, « Toutes les réponses sont dans les livres. Toutes les questions aussi d'ailleurs » (télévision) en 1989.
Dans ce contexte, la synergie entre les acteurs du livre et les institutionnels va apparaître comme un élément essentiel de communication et surtout un des moyens privilégiés de mener la bataille de la lecture. Plutôt que de multiplier les campagnes, et dans l'esprit de la fête de la musique inaugurée dès le printemps 1981, le ministère de la Culture décide de lancer en 1989 une grande fête annuelle du livre, la Fureur de Lire. La période retenue, en octobre, correspond à la volonté de créer un deuxième temps fort dans l'année, après celui du salon du livre de Paris au printemps.
Une politique d'affichage
La synergie évoquée plus haut entre les institutionnels et leurs partenaires se développe dès la première édition de la Fureur de Lire.
Les premières années de la fête sont incontestablement bruyantes, et les budgets alloués à certaines opérations phare très conséquents. Dans le même temps, se confirme, au fil des ans, les choix sociopolitiques au fondement d'une telle initiative : la volonté du ministère de la Culture de développer la lecture, en partenariat avec tous ceux qui, institutionnels, professionnels et réseaux associatifs, œuvrent à élargir le territoire du livre et à conquérir de nouveaux publics.
Tout d’abord perçue comme une initiative parisienne et institutionnelle, fortement soutenue par les médias, la Fureur de Lire devient rapidement une fête du livre et de la lecture populaire, très enracinée en région et mobilisant chaque année davantage de partenaires. Loin d'être un rassemblement de manifestations ponctuelles, la fête du livre provoque et prolonge la collaboration entre les acteurs du développement de la lecture.
En 1994, la fête du livre et de la lecture est marquée par un changement majeur. Pendant cinq ans, la Fureur de Lire est organisée sur un week-end, celui de la troisième semaine d'octobre. Outre que ce choix excluait pratiquement la participation des établissements scolaires et des universités, la multiplication du nombre des manifestations et surtout le développement des partenariats vont conduire les uns et les autres à élargir spontanément la durée de leurs initiatives, en amont et en aval du week-end. Le ministre de la Culture, en 1994, décide alors d'étendre la durée de la fête du livre. Elle se déroulera désormais sur deux semaines et englobera trois week-ends, du 15 au 30 octobre. Le Temps des Livres remplace la Fureur de Lire.
Une volonté de séduction...
Il est incontestable que les premières années de la Fureur de Lire peuvent être appelées les années séduction, ponctuées d’événements spectaculaires, traduisant à l'instar de la fête de la musique, de celle du cinéma et des musées, la volonté que le piéton rencontre le livre sous toutes ses formes.
C'est, à l'échelle du pays, l'époque des grands concours d'écriture et de jeux littéraires multiples. Le ministère de la Culture propose ces opérations, en partenariat avec d'autres ministères et avec le soutien de la presse nationale, écrite et audiovisuelle. Le ministère s'assure également la collaboration des grands établissements dont il a la tutelle, la Bibliothèque nationale (BN) 2 et la Bibliothèque publique d'information du Centre Georges-Pompidou.
Dans la logique de partenariat définie plus haut, il favorise et soutient les initiatives des professionnels. En 1990 par exemple, le « train de la Fureur de Lire », à l'initiative du ministère, des éditions Gallimard et de la MAIF, sillonne la France et, en vingt étapes, propose un panorama de la littérature pour la jeunesse. Les bibliothèques, de leur côté, multiplient les inscriptions gratuites, tandis que les éditeurs et les libraires s'unissent pour offrir des petits livres 3 et attirer un nouveau public. La France vit « furieusement à la page ».
Communiquer le difficile plaisir de lire
On ne rendrait pas justice à la fête du livre et de la lecture si on la cantonnait à son seul aspect festif.
Dès 1989, le ministère de la Culture, à travers les trois opérations phare qu'il favorise 4, marque sa volonté que la fête soit également un temps fort, la vitrine de la politique qu'il entend mener, en concertation avec tous ceux qui œuvrent au développement de la lecture. Développement de la lecture, non pas tant dans son aspect singulier, mais comme fondement de la démocratie, accès à la lecture pour tous.
C'est dans cette perspective que sont mis en place des partenariats avec d'autres ministères 5. L'action commune se situe à un double niveau : les représentations régionales constituent des organes importants de diffusion de l'information ; les manifestations organisées au niveau national et relayées par elles, concours d'écriture, expositions, remises de prix littéraires... contribuent à élargir les publics : jeunes, prisonniers, appelés du contingent… Sous cette impulsion, le livre sort de ses espaces d'élection pour pénétrer dans des lieux qui ne sont pas ordinairement voués à la lecture : hôpitaux, entreprises, prisons, quartiers défavorisés des mégapoles. Chaque édition de la fête met en lumière les temps forts de cette politique 6.
La direction du Livre et de la Lecture et le Centre national du livre ont la responsabilité de la manifestation et les autres directions du ministère participent largement à la fête. En particulier, la direction du Théâtre et des Spectacles a mis en place et coordonne de nombreuses manifestations de promotion des textes de théâtre : un salon à Paris, des lectures et des débats dans les régions. Elle apporte par là une contribution importante à la promotion de l'édition théâtrale et à la découverte des auteurs et des textes dans le domaine. S'associent également étroitement la direction des Musées de France, la délégation aux Arts plastiques, le Centre national du cinéma, mettant ainsi en valeur les liens qui unissent le livre et les autres formes d'art.
La mobilisation de tous
L'une des caractéristiques majeures de cette fête du livre est sans doute l'ampleur et la diversité des partenariats qu’elle suscite.
Librairies et bibliothèques essaiment la fête
C'est un véritable phénomène de boule de neige qui va faire passer le nombre des bibliothèques partenaires de quelques centaines, en 1989, à près de 2 000 en 1995. Si, dans les premières années, l'initiative est plus forte du côté des bibliothèques des grandes villes, l'ensemble du réseau se mobilise au fil des ans, tandis que, mettant à profit l'allongement de la durée du Temps des Livres, les bibliothèques départementales de prêt implantent la fête du livre en milieu rural.
Si, du côté des libraires, le passage de la Fureur de Lire au Temps des Livres a pu semer une perturbation certaine – les portes ouvertes du week-end étaient, en terme de chiffre d'affaires, très fructueuses – une nouvelle voie aujourd'hui semble se dessiner : les libraires s'associent chaque année davantage aux bibliothèques et aux associations pour proposer, à l'échelon d'une ville, d'une région, des opérations communes.
Des partenaires de plus en plus divers
Au-delà des professionnels, la manifestation mobilise aujourd'hui tous les acteurs du développement de la lecture : les associations, en particulier celles qui œuvrent en direction des jeunes (La Joie par les livres, les Francas...) ou des publics en difficulté (ATD-Quart Monde, le Secours populaire...), les comités d'entreprise sont chaque année plus nombreux à y participer.
Tous les domaines de la création artistique sont aujourd'hui concernés : le théâtre, les musées, la presse et, plus récemment, le cinéma, la danse et la musique.
Fête hexagonale en 1989, la Fureur de Lire s'étend au-delà des frontières. La Belgique depuis 1991, l'Allemagne, la Suisse depuis 1992 organisent d'importantes manifestations et, par l'intermédiaire des instituts et centres culturels français, le nombre des villes partenaires dans le monde est passé d'une dizaine à plus de soixante.
Un écho médiatique sans précédent
Fureur de Lire et Temps des Livres ont été considérablement relayés par la presse, nationale et régionale.
La presse nationale, écrite et audiovisuelle, contribue largement au lancement de la Fureur de Lire. En 1989, la campagne de télévision « Toutes les réponses sont dans les livres, les questions aussi d'ailleurs » précède de quelques semaines la première édition. Pendant tout le week-end, à la télévision, des messages présentent l'ensemble des opérations en France.
C'est en 1990 que le relais médiatique est le plus spectaculaire. On recense trois fois plus d'articles dans la presse écrite et dix fois plus de passages radio et télévision que l'année précédente. Les éditions suivantes enregistreront une relative stabilité. Interviews du ministre, du directeur du Livre et de la Lecture, entretiens avec des écrivains et des sociologues, présentation des professions du livre par des bibliothécaires et des libraires, la presse nationale s'empare de la Fureur de Lire et, au-delà de la simple relation des événements, s'attache à illustrer la situation de la lecture en France.
Pourtant, au fil des ans, l'investissement de la presse nationale s'atténue. Si le nombre d'articles, ou de passages dans des émissions audiovisuelles, reste à peu près constant, à l'exception de quelques grands dossiers 7, ils jouent davantage un effet d'annonce plutôt que d'information de fond sur la lecture.
Au-delà d'une certaine lassitude, aggravée par une conjoncture économique peu favorable, pour la presse écrite notamment, la presse nationale éprouve un malaise évident devant le Temps des Livres. Les deux jours de la Fureur de Lire faisaient figure d'événement, alors que les 3 500 manifestations, réparties partout en France quinze jours durant, sont plus difficiles à cerner. En revanche, la presse quotidienne régionale et les stations locales des radios et télévision (France 3) vont occuper une place prédominante dans la communication de la Fureur de Lire puis du Temps des Livres et, d'une certaine manière, prendre le relais de la presse nationale. Aujourd'hui, si les articles et passages dans la presse nationale se comptent par centaines, en région ils se comptent par milliers.
Une action fédératrice et unitaire
On voit clairement comment cette mobilisation des médias, sans précédent dans l’histoire du livre et de la lecture, vient fédérer l’ensemble des actions entreprises et, par là même inscrire chacune d’elle dans le sens de l’initiative nationale. Si, pour les professionnels et les associations qui se consacrent au développement de la lecture, le temps des livres dure toute l’année, la fête d’octobre confère aux actions proposées un statut unitaire. Les initiatives locales deviennent partie prenante de la manifestation nationale et leurs instigateurs peuvent dire à juste titre, et en convaincre les élus, que le Temps des Livres, c'est eux. Ils peuvent alors prolonger leur succès et développer de nouvelles actions, point d’ancrage ou aboutissement de nouveaux partenariats.
On ne saurait mieux illustrer ce propos qu'en citant l’un d’entre eux : « Il faut profiter de la caisse de résonance de cette campagne médiatique de quinze jours afin de renouveler notre public... C'est vers le public le plus populaire qu'il faut nous tourner, le potentiel du livre est là, pas chez ceux qui lisent trois livres par semaine » 8.
Renouveler le public, faire sortir le livre des espaces d'élection, la même démarche justifie probablement l'inscription, pendant la Fureur de Lire puis durant le Temps des Livres, de nombreux salons, notamment thématiques 9, dont le rayonnement quasi immédiat est pour une grande part dû à la médiatisation de la fête.
On peut encore citer à l'appui de cette hypothèse l'exemple d'ATD-Quart Monde ou d'autres associations, qui ont pour mission le développement de la lecture ou la lutte contre l'illettrisme et qui choisissent d'inscrire un temps fort de leurs actions dans le cadre de la fête nationale. Des initiatives comme « Tel bouquin, tel copain » ou le concours national d'écriture pour les adultes apprentis lecteurs, dans le cadre fédérateur de la fête, permettent de décloisonner des manifestations plus ponctuelles ou locales et de leur donner une visibilité à l'échelle nationale. Ces actions permettent également de faire se rencontrer des publics d'origine géographique et sociale très diverse.
Loin d'être une simple manifestation ponctuelle sans lendemain, le Temps des Livres s'insère bien dans une politique réfléchie d'élargissement et de conquête des publics lecteurs. Elle est aujourd'hui « l'affaire de tous ».
Avril 1996