1694-1994

trois siècles de patrimoine public. Bibliothèques et musées de Besançon

par Olivier Tacheau
Catalogue de l'exposition organisée au musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon, 15 octobre 1994-30 janvier 1995. Besançon : Bibliothèque municipale de Besançon. - 271 p. : ill. ; 30 cm. ISBN 2-905193-22-0.

Plus qu'un simple catalogue, cette publication collective réussit à dépasser le cadre de l'exposition consacrée par la ville de Besançon, fin 1994, au tricentenaire de ses institutions patrimoniales, en inscrivant l'événement dans la réflexion plus large engagée à la même époque au sein des séminaires réunis à la Bibliothèque publique d'information par Anne-Marie Bertrand, et dans les colonnes même du BBF 1, autour des destins croisés du musée et de la bibliothèque.

En effet, les mises en perspective historique et politique permettent à cet ouvrage d'éviter les écueils de la monographie, propre à n'intéresser que les spécialistes ou les seuls Bisontins, ainsi que les dérives d'une histoire locale idéalisée. Aussi, le choix judicieux d'un plan chronologique structuré par chacun des trois siècles permet-il la confrontation quasi simultanée du musée et de la bibliothèque, traduisant ainsi l'interdépendance de leurs développements conjoints.

Le XVIIIe siècle : de la fondation à la Révolution

Si la création de la bibliothèque municipale en 1694 participe du mouvement national des donations touchant à la fin du XVIIe siècle une cinquantaine de villes, la particularité bisontine réside surtout pour Édouard Pommier dans les prescriptions même du legs Boisot. Car, si le testament de ce dernier tait le mot de « musée », le fonds mobilier d'une vingtaine d'objets d'art et la série de médailles qui viennent s'ajouter au fonds bibliographique, composé pour l'essentiel de la bibliothèque du cardinal de Granvelle 2 constituent bien une véritable collection publique avant la lettre, reposant sur la notion de pérennité (conservation et inaliénabilité) et de publicité (communication et visibilité). Matthieu Pinette, l'actuel directeur du musée, parle alors d'une bibliothèque englobant un « proto-musée ».

Placée sous la double tutelle des Bénédictins de Saint-Vincent et de la municipalité, cette « bibliothèque-musée » reste inchangée jusqu'à ce que la Révolution confisque et réunisse d'un côté les livres des communautés bisontines, préalablement fort bien analysés par Paul-Marie Grinevald et de l'autre, un ensemble de cent trente tableaux, réduit à quatre-vingt-cinq en 1815, et de trente sculptures. Si le fonds bibliographique trouve place dans l'École centrale sous la direction de Louis Coste dès 1796, les collections muséographiques restent nomades (quatre déménagements en douze ans !), et toujours éparses, faute d'un monument attitré. Le statut ambigu de la bibliothèque-musée se voit d'ailleurs renforcé par le legs Pâris en 1819 (dessins, plans, gravures, etc.).

Le XIXe siècle : un développement difficile

La seconde partie s'ouvre sur la construction ex-nihilo du bâtiment de la bibliothèque municipale entre 1808 et 1818. Cette « première nationale », résultant en partie de la volonté municipale, semble desservir le musée, qui ne devient administrativement autonome qu'à la nomination d'un conservateur en 1834, et qui s'installe modestement au premier étage de la « Halle aux grains » en 1843 seulement, au terme de vingt ans de projets architecturaux remarquablement analysés et mis en images par Odile Foucaud, maître de conférences à l'université de Montpellier.

Aussi, comme le fait remarquer Chantal Georgel pour le musée, mais on le voit également pour la bibliothèque, Besançon rejoint au XIXe siècle l'histoire nationale marquée par la faiblesse des moyens tant financiers qu'humains. L'activité patrimoniale demeure soumise, d'une part, aux aléas des dons particuliers comme principal moyen d'accroissement des collections et, d'autre part, à la pugnacité et aux compétences des professionnels. La formation et l'action de ces derniers font l'objet d'un vif intérêt de la part des auteurs qui nous présentent, sans sombrer dans l'« anecdotisme », les Weiss, Castan, Poëte, Lancrenon, Demesmay, Giacomotti qui dirigèrent successivement ces deux établissements.

On notera aussi l'élargissement du tissu patrimonial municipal avec l'autonomisation progressive du musée d'Archéologie au sein du musée des Beaux-Arts et la création, en 1879, d'une bibliothèque populaire présentée, malgré la faiblesse des sources, par Annabelle Petter, étudiante à l'université de Besançon.

Le XXe siècle : le temps des mutations

Hélène Richard, actuelle directrice de la BM de Besançon et Germaine Mathieu, son adjointe, abordent l'évolution des bibliothèques du XXe siècle au travers de l'action de leurs directeurs successifs : MM. Gazier, Piquard et Mironneau.

Ces portraits, riches en informations biographiques, font clairement saisir la continuité dans les acquisitions, le travail sur les catalogues et l'aménagement des locaux qui, en dépit des apparences, marqua la bibliothèque jusqu'en 1985. Cette date correspond à la constitution du réseau des bibliothèques, reliant les premières annexes de quartier ouvertes dans les années 70 à la nouvelle médiathèque Pierre Bayle du centre ville. Cette réalisation est avant tout le fruit de l'implication des professionnels, alliée, malgré les difficultés financières, à une forte détermination politique de la municipalité.

Quant au musée, toujours à l'étroit dans la « Halle aux grains », qu'il occupe pourtant en totalité depuis 1895, il ne résout ses problèmes de place qu'à partir de la restructuration architecturale menée en 1965 par Louis Miquel, dont l'originalité et le modernisme sont analysés par Françoise Soulier-François, conservateur au musée.

Le point d'orgue indéniable de cet ouvrage est le témoignage de Marie-Lucie Cornillot, qui nous livre ses souvenirs de directrice du musée, qu'elle dirigea, de sa nationalisation en 1945 à son départ à la retraite en 1972. A plus d'un titre ce point de vue de l'acteur est remarquable.

On ne peut donc que saluer la richesse historique, iconographique et bibliographique de cette publication dont la généralisation à toutes les villes de France faciliterait à bien des égards les premiers pas du chercheur au sein d'institutions culturelles et de collections souvent inconnues de lui.