Acquisitions et restauration

Les aides de la Direction du livre et de la lecture

Laurence Bobis

Les collections des bibliothèques municipales conservent plus de cinq millions de livres anciens, mais aussi des manuscrits, des estampes, des cartes et plans, des monnaies... Leur enrichissement et leur restauration exigent la mise en oeuvre de moyens considérables. Quels doivent être à cet égard les rôles respectifs de l'Etat, propriétaire en titre d'une part importante de ces fonds, et des collectivités territoriales, dépositaires de ce patrimoine doté d'une dimension tout autant régionale que nationale ? Depuis le début des années 1980, la Direction du livre et de la lecture mène une politique active en accordant une aide technique et financière aux communes. Il importe qu'aux côtés de l'Etat, les collectivités territoriales prennent la place qui doit leur revenir dans l'enrichissement et la sauvegarde d'un patrimoine qui est le leur au premier chef.

The collections of the public libraries keep more than five millions of old books, but also manuscripts, engravings, maps and plans, coins... Their increase and restoration require the implementation of considerable resources. What must be the respective roles of the State, which owns an important part of these stocks, and of the local authorities, depository of this heritage which has a regional and national dimension ? Since the beginning of the 80', the active policy of the Direction du livre et de la lecture shows itself in the technical and financial aid given to the towns. Next to the State, the local authorities take their place in the increase and protection of an heritage which is greatly theirs.

Die erbschaftlichen Sammlungen der Stadtbibliotheken bestehen aus etwa fünf Millionen alten Büchern sowie zahlreichen Handschriften, Stampen, Plänen und Landkarten, Münzen usw. Ihrer Zuwachs und ihre Restaurierung verlangen den Einsatz beachtenswerter Mittel. Was für Rollen spielen hier der Staat als Eigentümer eines wesentlichen Teils dieser Bestände und beziehungsweise die örtlichen Behörden als Verwahrer dieser Erbschaft, deren Bedeutung auf regionaler sowie nationaler Ebene gilt? Seit dem Anfang der achtziger Jahre führt die Direction du livre et de la lecture eine wirksame Politik aus, indem sie den Gemeinden einen technischen und finanziellen Vorspann leistet. Es ist heute wichtig, daß die örtlichen Behörden ihren natürlichen Platz neben dem Staat ausfüllen für den Zuwachs und die Erhaltung einer Erbschaft, die in erster Linie ihre Erbschaft bildet.

Le 18 octobre 1995, le ministre de la Culture présentait au conseil des ministres un plan d’action en faveur du livre comportant quarante-huit mesures.

Parmi les principaux axes de ce plan figure la valorisation du patrimoine écrit et littéraire. Ce « patrimoine », à la définition bien peu juridique et au sens si imprécis qu’on juge parfois utile de le qualifier d’« écrit et graphique », concerne, si l’on considère les fonds des bibliothèques municipales, cinq à huit millions de livres anciens, 25 000 manuscrits, 30 000 cartes et plans. Il comprend aussi un nombre inappréciable d’estampes, photographies et objets divers, soit un volume de fait supérieur à celui des collections de la Bibliothèque nationale de France.

Ce patrimoine, dont la constitution se situe pour l’essentiel entre la fin du XVIIIe siècle et les premières années du XXe siècle, est en grande partie national et les fonds qui le composent ont été, de texte en texte, juridiquement définis comme étant propriété de l’État et placés sous la surveillance des villes qui doivent en assurer la conservation.

L’existence même de ce patrimoine national en région impose à l’État des responsabilités et des missions. Ainsi le décret du 9 novembre 1988 a-t-il précisé les conditions d’exercice du contrôle technique permanent de l’État sur ces collections dispersées sur l’ensemble du territoire. On peut considérer par ailleurs que la responsabilité théorique de l’État excède les fonds qui lui appartiennent et que son rôle est d’inciter les détenteurs de collections patrimoniales, au premier rang desquels figurent les collectivités territoriales, à les préserver et à les enrichir.

C’est dans cette optique que le plan en faveur du livre annonçait d’une part le renforcement des aides de l’État destinées à l’enrichissement des collections des bibliothèques municipales et, d’autre part, la création de deux nouveaux fonds régionaux d’acquisition pour les bibliothèques.

Ces deux mesures créent des conditions éminemment favorables à un accroissement significatif des capacités d’intervention de la Direction du livre et de la lecture dans un domaine où, depuis plus de dix ans, des actions menées avec persévérance ont permis de dégager des acquis considérables. Elles reconnaissent aussi l’existence de nouveaux besoins en matière d’enrichissement des collections à l’heure où la législation concernant les biens culturels fait devoir à l’État de se doter de moyens suffisants pour faire entrer dans les collections publiques les documents considérés comme des « trésors nationaux ».

Les aides de la Direction du livre et de la lecture continuent également d’être apportées dans un autre secteur d’activité, indissociable du précédent, celui de la restauration du patrimoine écrit et graphique des bibliothèques municipales.

L’enrichissement des collections

L’action de la Direction du livre et de la lecture en faveur de l’enrichissement des collections des bibliothèques municipales s’exprime pour une part non négligeable en terme de « service ».

Une aide technique

Ce service, qui mobilise un conservateur à plein temps, consiste en un dépouillement systématique des catalogues de vente et de librairies « régionaux » et « nationaux », accompagné d’un signalement de tous les documents pouvant intéresser les fonds des bibliothèques municipales.

Il ne peut à l’évidence être assuré qu’au niveau de l’administration centrale. A cela, il est plusieurs raisons. Il faut songer d’abord à la complexité des circuits de diffusion des documents anciens – livres, manuscrits, estampes, cartes et plans... – par l’intermédiaire d’un marché de l’antiquariat très diversifié, mais aussi par le canal des ventes publiques.

Qu’il s’agisse d’antiquariat ou de ventes aux enchères, une forte proportion des transactions s’opère en région parisienne. Dans ce contexte, très peu de bibliothèques municipales disposent de moyens suffisants, financiers mais aussi humains, pour pouvoir accéder à toutes les informations disponibles sur le marché du livre, qu’elles soient présentées dans des catalogues de libraires ou de ventes. Ainsi, une dizaine de bibliothèques municipales seulement souscrivent annuellement un abonnement aux catalogues de l’hôtel Drouot, sur quelque 350 bibliothèques patrimoniales recensées. De fait, cet abonnement, déjà relativement onéreux pour une bibliothèque dotée de fonds patrimoniaux importants, ne saurait être « rentable » pour la moyenne des établissements qui n’y trouvent au mieux l’occasion que d’une ou deux acquisitions par an.

Si l’information relative au marché parisien, dans un contexte fortement centralisé, circule déjà mal, les bibliothèques sont encore plus dépourvues dès lors que sont en jeu des échanges interrégionaux ou internationaux, fussent-ils marginaux par rapport au volume global des transactions.

Le service offert sur ce point par la Direction du livre et de la lecture prend en compte les spécificités des fonds en région et permet au ministère de disposer d’une vision claire sur ce qu’on pourrait appeler la carte nationale des fonds anciens. Il permet aussi de sentir les dynamismes ou, au contraire, les ralentissements d’activité dans la politique mise en œuvre par les municipalités pour enrichir les collections des bibliothèques, avec le soutien, depuis les années 1990, d’autres collectivités territoriales, tels les conseils généraux et régionaux. Cette vision globale est nécessaire pour élaborer des stratégies incitatives pertinentes.

La pérennisation de ce service a une autre raison d’être : parmi les missions explicitement reconnues, et de très longue date, à la Direction du livre et de la lecture figure l’exercice du droit de préemption en vente publique pour le compte des collectivités territoriales. La Direction du livre et de la lecture peut par ailleurs déléguer ce droit en région à un conservateur d’État expressément mandaté pour ce faire. Il est donc cohérent qu’un service centralisé suive de près un marché sur lequel il est destiné à intervenir de façon répétée. De 1991 à 1994, l’État est ainsi intervenu chaque année lors d’une quarantaine de ventes, ce qui correspond à une moyenne de 170 lots préemptés.

Cette première forme d’aide, difficile à appréhender dans son ensemble et dont la dimension véritable est peut-être méconnue, possède cependant une indéniable efficacité en terme d’incitation à l’enrichissement des collections publiques.

Une aide financière

Cette aide technique est par ailleurs confortée par l’octroi de subventions. Ce système, qui fonctionne depuis 1982, permet de soutenir les collectivités territoriales qui réalisent des acquisitions patrimoniales.

Entre 1982 et 1995, ces aides ont avoisiné les 17 millions de francs et ont bénéficié à 30 à 70 bibliothèques par an. Les subventions accordées par l’administration centrale représentent, en règle générale, 50 % du montant de l’acquisition. On peut ainsi estimer à 32 millions de francs les crédits investis pour l’enrichissement des collections des bibliothèques municipales françaises sur un peu plus de dix ans.

Parmi celles-ci figurent naturellement, et de façon récurrente, les « grandes » bibliothèques patrimoniales, au premier rang desquelles les bibliothèques classées, qui ont davantage de moyens pour promouvoir une politique active d’enrichissement de leur patrimoine et disposent même parfois pour ce faire de lignes budgétaires spécifiques. Elles sont aussi à vrai dire les plus sollicitées dans la mesure où leurs fonds, déjà fort riches et diversifiés, sont les plus susceptibles d’accueillir des pièces importantes, donc souvent d’un coût élevé. Mais ne sont cependant pas exclus des établissements relevant de communes de taille moyenne, voire de petites communes, sensibles à la nécessité d’acquérir ponctuellement un document fortement lié à l’histoire locale. Ce fut ainsi le cas de la bibliothèque de Falaise, qui a acquis en 1993 l’Herbier prairial d’A. de Brébisson, de la bibliothèque de Rezé, acquéreur de deux manuscrits de Benjamin Péret.

Les fonds régionaux d’acquisition

Donner le volume global des crédits consacrés par l’État depuis 1982 à l’enrichissement des collections permet à l’évidence de mesurer sa volonté de maintenir un engagement fort à l’égard de fonds dont le noyau originel est, de par sa provenance, sa propriété. Mais ces chiffres bruts ne font pas apparaître la mutation qui s’est opérée à partir de 1990, avec la création des premiers « FRAB » ou fonds régionaux d’acquisition pour les bibliothèques. Le récent colloque de Rennes a opportunément mis l’accent sur ces structures originales lancées à l’initiative de la Direction du livre et de la lecture sur le modèle des FRAM, fonds régionaux d’acquisition des musées, destinés à enrichir les collections des musées en région *

Les deux premières conventions furent signées en 1990 entre les préfectures et les conseils régionaux de Bretagne et des Pays-de-la-Loire. Les FRAB, dont les crédits proviennent à parité de l’État et de la région, examinent les dossiers d’acquisition soumis par les municipalités, auxquelles peuvent être octroyées des subventions couvrant 40 à 80 % du montant de l’acquisition. Ils offrent l’avantage de permettre la mise en œuvre, pour une région donnée, d’un triple financement des acquisitions patrimoniales par l’État, le conseil régional, et enfin les communes. Ce financement croisé montre surtout la sensibilité de plus en plus marquée des collectivités territoriales à l’égard du patrimoine écrit et graphique, patrimoine dont elles ne sont plus seulement les dépositaires, mais qu’elles contribuent activement à enrichir, voire à créer.

La compétence étendue aux FRAB du Conseil national scientifique du patrimoine (CNSP) traduit par ailleurs le souci d’une politique nationale cohérente qui fédère les politiques territoriales d’enrichissement des collections. Dans cet objectif, un comité examine deux fois par an tous les dossiers soumis aux différents comités régionaux des FRAB.

La mise en place des FRAB – les régions Bourgogne, Centre, Haute-Normandie, Rhône-Alpes, Aquitaine, Lorraine en sont à présent aussi pourvues – a impliqué une profonde redistribution des crédits de l’État sur le territoire national. En effet, sa mission fondamentale étant, dans le cadre de la décentralisation, de mener une politique réellement incitative, l’essentiel de ces crédits revient désormais aux régions dotées de FRAB. Le territoire national étant encore loin d’être couvert, 1996 et 1997 devraient voir la création de deux nouveaux FRAB, si de nouvelles régions acceptent de s’impliquer pleinement à l’égard de leur patrimoine écrit.

La restauration du patrimoine écrit et graphique

Le contrôle technique de l’État, suivant les termes du décret du 9 novembre 1988, accorde une large part à la restauration des documents patrimoniaux, quel que soit leur statut juridique. Tout projet de restauration, ou de désaffectation, concernant des collections patrimoniales doit ainsi être examiné par le Conseil national scientifique du patrimoine, dont les avis sont impératifs pour les fonds d’État, consultatifs pour ceux appartenant aux communes.

C’est donc en matière de restauration que les missions de la Direction du livre et de la lecture sont les plus explicites. Il est vrai aussi qu’en matière de conservation, en particulier de conservation préventive, des efforts financiers considérables ont été faits au cours de la dernière décennie. Ces efforts ont pris la forme d’une prise en charge par l’État de campagnes de microfilmage de la presse, des fonds iconographiques, enfin de dépôt d’instruments de mesure dans les bibliothèques municipales. On peut considérer qu’ils ont pleinement joué auprès des collectivités territoriales leur rôle d’incitation et qu’il est loisible à l’État de se recentrer à présent sur des objectifs prioritaires.

Les aides de la Direction du livre et de la lecture en matière de restauration sont accordées après avis du comité technique de restauration issu du Conseil national scientifique du patrimoine, comité qui se réunit environ une fois par mois. Ces aides consistent soit en une prise en charge intégrale des travaux réalisés, lorsque les documents concernés appartiennent aux fonds d’État des bibliothèques municipales, soit, lorsqu’il s’agit de fonds communaux, en une subvention, qui, de façon générale, représente 30 à 50 % du coût de l’opération.

Entre 1991 et 1994, une quarantaine de villes a pu chaque année bénéficier de ce soutien et soumettre au CNSP environ 150 dossiers. Ces dossiers représentent en fait un nombre de documents bien supérieur : certains projets de restauration portent en effet sur des ensembles de pièces, notamment pour ce qui concerne les fonds iconographiques. Des fonds iconographiques considérables ont été ainsi traités à Caen, Lille, Chaumont...

Les budgets consacrés par la Direction du livre et de la lecture à cette action de préservation du patrimoine sont importants : ils culminent en 1994, où 2,95 MF ont été engagés à cet effet. Il faut noter que ces budgets globaux sont pour une part consacrés à la fourniture, aux bibliothèques municipales qui en font la demande, de boîtes et de matériel de conservation.

A côté de l’action traditionnelle en faveur des fonds des bibliothèques municipales, une convention a été passée en 1995 entre la Direction du livre et de la lecture et la Cour de cassation pour la restauration de son fonds ancien, prévoyant un financement paritaire de cette opération par les deux institutions contractantes. La compétence du Conseil national scientifique du patrimoine a pu ainsi être étendue à une bibliothèque dépendant d’un autre ministère. Il faut mentionner, pour finir, la nécessité du développement de la recherche en matière de conservation et de restauration : l’administration centrale a, sur ce point, à assurer un rôle de premier plan.

Une coopération nécessaire

Cinq années de fonctionnement des FRAB ont montré tout l’intérêt pour les collectivités territoriales d’un mode de fonctionnement contractuel. Aussi est-ce dans ce sens que la Direction du livre et de la lecture entend poursuivre son action de sensibilisation à la nécessité de la coopération pour enrichir et restaurer les collections patrimoniales.

Le plan en faveur du livre prévoit, ainsi qu’il a été rappelé, la création de deux nouveaux FRAB au cours des deux prochaines années. A moyen terme, il semblerait pertinent d’étendre le système FRAB, qui a fait preuve de son efficacité et qui met en jeu de façon harmonieuse tous les échelons de décision, tant au niveau national qu’au niveau régional, à la restauration.

L’établissement de conventions entre les DRAC et les conseils régionaux, afin de créer des structures qui auraient pour vocation l’établissement de programmes régionaux de restauration du patrimoine, semble à cet égard une perspective prometteuse. Dotées d’un budget où financement d’État et financement régional seraient paritaires, ces structures permettraient seules une véritable prise en charge à l’échelon régional des besoins en matière de conservation et de restauration du patrimoine. La cohérence nationale de ces programmes serait garantie par l’activité du Conseil national scientifique du patrimoine. Les régions pourraient ainsi jouer un rôle de premier plan en ce qui concerne l’enrichissement et la conservation du patrimoine qui est le leur, tandis que l’État maintiendrait en ces domaines son engagement.

Mars 1996

Illustration
Tableau 1. Aides de la Direction du livre et de la lecture en matière d'acquisitions 1982-1995

Illustration
Tableau 2. Aides de la Direction du livre et de la lecture en matière de restauration - 1991-1994