Le service public ?

la voie moderne

par Bruno Carbone
Actes du colloque du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, 11-18 juin 1992. Sous la dir. d'Albert David, Agnès Denis, Armand Hatchuel... [et al. ]. Paris : L'Harmattan, 1995. - 314 p. ; 22 cm. - (Logiques sociales). ISBN 2-7384-2952-1

Cet ouvrage, issu d'une rencontre tenue du 11 au 18 juin 1992, au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, a pour thème le nouveau management public. Cette rencontre est le résultat de la mise en place, depuis une dizaine d'années, d'un réseau d'échange et de coopération entre des chercheurs en sciences sociales et certaines grandes entreprises publiques. Elle s'inscrit dans la politique de « renouveau du service public » lancée par le gouvernement de Michel Rocard, ainsi que dans le cadre des réflexions du groupe de travail du XIe Plan sur « État, administration et service public de l'an 2000 » piloté par Christian Blanc, alors président de la RATP.

Il s'agit de s'interroger, d'une part, sur le sens à donner au service public en France à la fin du XXe siècle en référence aux biens publics que la société française veut assurer à ses citoyens, et d'autre part, sur les modalités d'organisation de ce service public, en particulier la façon de satisfaire les exigences de qualité et d'efficacité que l'on est en droit d'attendre de toute organisation moderne. La première interrogation, de nature politique, se double donc d'une perspective managériale.

Le management public

La première partie de l'ouvrage pose la problématique générale du management public. Un premier paradoxe veut que cette question soit posée dans un contexte idéologique hostile de libéralisme économique défavorable à la notion même de service public. Un second paradoxe consiste à opposer management public et management privé, alors que le premier est l'une des sources du second. Les principes du management public qui se veulent une remise en cause de la bureaucratie - lourdeur et centralisation des procédures, structures figées et cloisonnées -, vont de pair avec le développement des responsabilités aux différents échelons. L'existence d'un secteur public à côté du secteur privé pose le problème du pouvoir discrétionnaire de l'État, et celui des mécanismes du marché. La frontière entre secteur public et privé a d'ailleurs elle-même subi bien des évolutions dans les doctrines gouvernementales, développées de 1981 à 1992, à propos des nationalisations et des privatisations.

En deuxième partie, sont présentés quelques récents chantiers de la modernisation du service public, éclairés par le regard directement impliqué de responsables ou par celui, plus distancié, de chercheurs, qu'il s'agisse d'EDF, de France Télécom, de la Poste ou de la RATP. La rareté des ressources exige du service public des efforts importants de productivité ; le développement du consumérisme engendre de la part des usagers une demande accrue de qualité. La complexité des tâches qui découlent de ce double environnement entraîne nécessairement de nouvelles formes d'organisation du travail : flexibilité accrue, responsabilisation des agents, compétitivité. La gestion du « potentiel humain », l'accent étant notamment mis sur la formation et l'apprentissage, acquiert ainsi une place tout aussi déterminante que celle prise naguère par les préoccupations technologiques ou la seule optimisation économique.

La relation avec l'usager

La troisième partie de l'ouvrage est consacrée à la relation avec l'usager. A partir d'une meilleure connaissance de l'usager-client, un effort d'accueil commercial et de qualité de service aboutit fréquemment à la définition de nouveaux produits (carte orange avec prélèvement automatique à la RATP, ou Colissimo à la Poste par exemple). La tarification des services publics, un des points essentiels de la relation avec l'usager, pose également le problème de l'égalité de traitement (tarification indépendante de la distance par exemple pour l'affranchissement postal ou les taxes de raccordement téléphonique).

Comme on peut le constater, il s'agit là d'un ouvrage très riche. On regrettera cependant le manque d'ouverture internationale qui permettrait de mieux percevoir la spécificité du service public français. La question de l'Europe et de la légitimité d'un service public national dans une Europe libérale est évoquée, mais de manière bien trop sommaire. Enfin, mise à part la brève intervention de Christian Blanc, suivie de réponses à des questions posées, les actes de ce colloque, tels qu'il sont publiés, donnent à penser que le colloque lui-même n'a été constitué que de la juxtaposition d'un certain nombre d'interventions, certes fort intéressantes, mais sans place consacrée à l'échange et au dialogue. S'agissait-il d'un colloque ou d'un soliloque ?