La formation des cadres A des bibliothèques

Christophe Pavlidès

Pour la première fois dans l’histoire de la profession, l’ACB (Association des conservateurs de bibliothèques) et son président Philippe Dupont ont réussi l’exploit de réunir sur une même estrade, le 26 janvier 1996, les responsables de cinq établissements ou centres assurant la formation des cadres des bibliothèques, sous la présidence très œcuménique de Michel Melot.

L’Institut de formation des bibliothécaires

La double réforme statutaire de septembre 1991 pour la fonction publique territoriale et de 1992 pour la fonction publique d’Etat a, on le sait, profondément remanié la pyramide des corps et des cadres d’emplois des bibliothèques. C’est dans ce cadre que l’Institut de formation des bibliothécaires (IFB) a été créé, avec toutes les exigences qu’entraîne la formation post-recrutement des bibliothécaires d’Etat et territoriaux : il faut tenir compte des directeurs des établissements d’affectation ; de plus, l’absence de diplôme en fin de formation appelle une réflexion sur l’articulation entre formation initiale et continue. Selon son directeur Bertrand Calenge, les défis et problèmes de la formation des bibliothécaires tiennent à la quasi-absence de gestion prévisionnelle des emplois d’Etat, aux profils au contraire très spécialisés que réclament les collectivités, et aux évolutions des fonctions et des métiers dans les bibliothèques, pour les bibliothécaires et pour les autres catégories.

Ecole du patrimoine et ENSSIB

Evolution serait un terme un peu faible, auquel on a envie de préférer celui d’aggiornamento, pour caractériser les changements annoncés par Jean-Pierre Bady, directeur de l’Ecole nationale du patrimoine, qui se définit, avec humour et bon sens, « comme une brebis galeuse ou comme un loup dans la bergerie ».

Rappelons en effet que le statut des conservateurs du patrimoine avait prévu une spécialité « bibliothèques du patrimoine », et que les conservateurs de ladite spécialité étaient appelés à servir dans une poignée de bibliothèques, dont la liste, après avoir préventivement défrayé la chronique quelques années, fit naguère l’objet d’un arrêté ministériel Culture-Enseignement supérieur. Quatre conservateurs stagiaires ont ainsi été recrutés en 1994, qui termineront leur scolarité dans les mois à venir pour trois d’entre eux et l’année prochaine pour le quatrième.

Entre-temps, le ministère de la Culture tentait, sans succès, de convaincre l’Enseignement supérieur de remplacer la liste de bibliothèques par une liste de postes, qui seraient implantés dans un nombre évidemment sensiblement plus élevé d’établissements… A en croire Jean-Pierre Bady, ce schéma semble abandonné, et le ministère de la Culture se demande désormais s’il y a lieu de maintenir la spécialité bibliothèques du patrimoine en l’état !

Un revirement aussi providentiel (en tout cas à en juger par les réactions de l’assistance) tient à plusieurs facteurs : le coût exorbitant du maintien éventuel de cette mini-filière, mais aussi l’évolution du diplôme de l’ENSSIB dans un sens plus « patrimonial » : rassurés sur la formation des « autres » conservateurs des bibliothèques, le ministère de la Culture et l’Ecole du patrimoine pencheraient désormais pour un accès facilité aux détachements réciproques et pour des actions renforcées de formation permanente inter-écoles.

A l’ENSSIB, le changement a en quelque sorte un double visage : fondé sur le rapport Botineau *, il s’incarne dans la nomination de François Dupuigrenet Desroussilles. Tirant les leçons de l’évaluation du diplôme de conservateur des bibliothèques (DCB), le nouveau directeur peut d’ores et déjà annoncer les grandes options prises par la commission ad hoc du conseil scientifique de l’Ecole : outre le recentrage évoqué sur le patrimoine et la conservation, l’accent sera mis sur les missions proprement professionnelles de l’Ecole, parfois négligées dans l’actuelle filière recherche, et l’enseignement des nouvelles technologies sera axé sur l’informatique documentaire vue sous un angle pratique, et non plus sur l’informatique générale « magistrale ». Point essentiel, la valorisation des acquis à l’entrée à l’ENSSIB permettra d’alléger quantitativement les cursus, sans que la qualité de la formation en pâtisse. La formation continue sera développée : la proximité de l’IFB est à cet égard une chance ; la diversification des moyens de formation s’accompagne de la création d’un département des ressources documentaires, regroupant bibliothèque, service d’édition et service de documentation.

Le Centre national de la fonction publique territoriale

C’est François Dupuigrenet Desroussilles qui le souligne, la fonction publique territoriale « est en train de prendre une place essentielle dans ce pays ». Il était donc normal que le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) fût représenté à la tribune, et il l’était en la personne de Michel Bourumeau, directeur des stages à l’Institut d’études supérieures de la fonction publique territoriale (IESFPT).

Des quatre écoles du CNFPT, l’IESFPT est en effet, depuis onze ans, le centre de formation des cadres supérieurs territoriaux, administrateurs territoriaux, ingénieurs en chef première catégorie, etc., pour lesquels il assure formation initiale et continue. On sait que le CNFPT a délégué la formation de conservateurs des bibliothèques à l’ENSSIB par convention : ce choix politique de partenariat, qui est aussi une sage mesure d’économie, existe déjà avec l’Ecole nationale du patrimoine, et il est tout à fait imaginable de l’étendre à l’ENA (Ecole nationale d’administration) et à d’autres écoles de l’Etat, écoles d’ingénieurs notamment.

Le CNFPT, après avoir porté un regard assez lointain sur la formation des conservateurs territoriaux, souhaiterait maintenant transférer une partie des apports de l’IESFPT dans cette formation : en particulier, leurs missions d’encadrement ont été insuffisamment prises en compte jusqu’à présent. D’autre part, la sortie des décrets d’application de la loi Hœffel devrait instaurer un statut d’élèves-conservateurs clarifiant leur position par rapport à la collectivité qui les recrute.L’Ecole des chartes

Inviter à la même tribune, le directeur de l’Ecole nationale des chartes, Yves-Marie Bercé, c’était rappeler la « concurrence structurelle », selon ses propres termes, que se livrent enseignements fondamentaux généralistes et enseignements préprofessionnels au sein du cursus chartiste. Fondée en 1821, l’Ecole s’est tournée dès 1846 vers les métiers des bibliothèques. Aujourd’hui, ses conservateurs terminent leur scolarité par une scolarité d’application à l’ENSSIB ; auparavant ils auront suivi un cursus où l’étude des systèmes de communication et la critique de l’image documentaire accompagnent désormais la bibliographie et l’histoire du livre. Mais la modernisation de l’Ecole ne date pas d’hier, puisque l’URFIST (Unité régionale de formation en information scientifique et technique) de Paris lui a été rattachée dès sa création en 1987.

Après les débats où les annonces prometteuses remplaçaient avantageusement les discours convenus redoutés, Michel Melot, en sa qualité de président du Conseil supérieur des bibliothèques, ne pouvait pas ne pas conclure sur un certain nombre de souhaits. A l’étranger, les écoles, foyers d’expertise, jouent un rôle structurant dans les professions. Les enseignants des écoles françaises sont encore insuffisamment présents dans les congrès et au sommaire des revues ; les écoles doivent être un lieu d’édition et de diffusion ; enfin, pourquoi ne pas imaginer, sur le modèle de la conférence des présidents d’université, une mini-conférence des présidents et directeurs d’école des bibliothèques ?...

Au demeurant la réussite évidente de cette table ronde improbable autorise tous les espoirs de coopération, pour peu que la bonne volonté soit suivie d’effets.

  1. (retour)↑  Diplôme de conservateur de bibliothèque : évaluation de son programme / rapport élaboré sous la responsabilité de Pierre Botineau, Villeurbanne, ENSSIB, 1995. A paraître aux Presses de l’ENSSIB.