L'université, une évolution positive
Entretien avec Irène Sokologorsky présidente de l'Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Le nombre d'étudiants ne cesse de croître et la jeunesse est de plus en plus inquiète de son avenir. La démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur est une très bonne chose. Mais les moyens humains et financiers supplémentaires donnés aux universités n'ont pas suffisamment augmenté. L'université a su se renouveler pour accueillir ces nouveaux étudiants. pluridisciplinarité et maintien du couple enseignement et recherche sont ses deux atouts majeurs. Les relations accrues de l'université avec son environnement peuvent elles aussi être un enrichissement pour tous.
The number students is always increasing and young people are more and more worried about their future. A better access to higher education is a very good thing, but human and financial means given to the universities are not sufficient enough. The new students have been received in a renewed university. Multidisciplinarity and preservation of teaching and research are its two main advantages. Better relations between the university and its environment can also be an enrichment for everybody.
Die Zahl der Studenten nimmt immer zu, und die Jugend ist immer mehr unruhig über ihre Zukunft. Die Demokratisierung des Zugriffs zum Hochschulunterricht ist zwar sehr gut in sich, aber die menschlichen und finanziellen Mittel der Universitäten haben leider nicht genug zugenommen. Die Universität hat gewußt, sich für den Empfang dieser neuen Studenten zu erneuern. Die Interdisziplinarität und das dauernde Verhältnis zwischen Unterricht und Forschung sind dazu wesentliche Trümpfe. Aus ausgebreiteten Beziehungen der Universität mit ihrer Umwelt kann sich auch eine wechselseitige Bereicherung ergeben.
BBF : Quelle analyse faites-vous de la récente crise que vient de connaître l’université ?
Irène Sokologorsky : Tout d’abord, je ne suis pas certaine qu’il s’agisse d’une crise de l’université. Je crois qu’il s’agit avant tout d’une crise de la jeunesse. L’élément essentiel en est le désarroi devant l’avenir, devant le chômage, devant un monde auquel les jeunes se sentent mal préparés. Mais il y a aussi une insatisfaction, certes plus diffuse, face à la faillite de certaines valeurs, un rejet de la société qui se met en place ; et là, le mouvement étudiant rejoint le malaise général qui s’est exprimé dans les actions de décembre.
Une crise de l’université aurait vu les étudiants contester le système universitaire et les enseignants. Tel n’a pas été le cas. Les étudiants ne demandaient pas d’autres enseignements, d’autres professeurs, ils voulaient plus de professeurs, plus de locaux, plus de cours.
Cela dit, l’université française connaît en ce moment des difficultés graves. Dans les toutes dernières années, elle a vu croître d’une manière très rapide le nombre d’étudiants à accueillir. Cette démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur est une excellente chose. C’est une chance pour chacun des jeunes, et c’est aussi une chance pour l’avenir, une chance pour le pays. Malheureusement, les moyens n’ont pas suivi au même rythme. Les étudiants ont donc, d’une manière tout à fait justifiée, le sentiment d’une baisse de la qualité du service rendu : amphis surchargés, moyens technico-pédagogiques faisant défaut, enseignants et membres du personnel administratif de moins en moins disponibles pour chacun.
Or, avec 75 % de réussite au baccalauréat et une poursuite quasi totale des études, accèdent à l’université des jeunes qui auraient, au contraire, un besoin accru de soutien, d’accueil. De même, les rapides changements technologiques demanderaient un renouvellement beaucoup plus rapide du matériel. C’est vrai pour toutes les universités, mais plus vrai encore pour les établissements jeunes qui ont souvent vu le nombre de leurs étudiants augmenter jusqu’à 40 % d’une année sur l’autre.
Le malaise vient aussi d’une évolution mal coordonnée des différents moyens. C’est ainsi que, si le plan Université 2000 a eu un effet positif en élargissant d’une manière très conséquente le parc foncier, le budget d’équipement et de fonctionnement n’a pas évolué en conséquence. Si je peux prendre l’exemple de mon université, nous sommes contraints de fonctionner avec une dotation budgétaire identique à celle de 1992, alors que les surfaces gérées par l’université ont augmenté de 37 %, générant bien sûr de nouvelles charges en gardiennage et entretien, et que notre effectif d’étudiants s’est accru de 15 %.
Il est incontestable qu’enseignants, chercheurs, administratifs, étudiants travaillent dans les universités dans des conditions de plus en plus difficiles. pourtant, il se fait là un très grand travail, et les jeunes en ont conscience.
BBF : Vous pensez donc que les choses évoluent favorablement.
Irène Sokologorsky : Il est important en effet de souligner que l’université française a très bien pris le virage du changement de société.
Elle s’est adaptée à la démocratisation, en réussissant à accueillir des générations croissantes d’étudiants et en devenant plus inventive, plus novatrice. Elle a su se remettre en cause et redéfinir ses missions en prenant en compte la nouvelle attente des jeunes, soucieux avant tout de débouchés professionnels. Et ceci tout en restant fidèle à sa vocation première qui est d’élaborer et de diffuser des connaissances, et tout en ne perdant pas de vue l’objectif de conduire chaque jeune au maximum de son potentiel d’apprentissage et de développement.
Comparée à celle des autres pays d’Europe et du monde, l’université française est de celles qui ont le mieux réussi à maintenir un haut niveau de recherche, tout en prenant en charge la formation d’une jeunesse de plus en plus hétéroclite, dont une bonne partie est mal préparée à l’enseignement supérieur. Je crois qu’il faut insister sur cette capacité qu’a montrée l’université de se mettre à l’écoute de la demande sociale, tout en ne se limitant pas à la satisfaire, considérant que, s’il faut, certes, préparer un étudiant à l’emploi, il faut surtout le préparer à évoluer, à changer d’emploi plusieurs fois dans son existence. L’université travaille donc à développer chez l’étudiant des talents de communication et de créativité qui, en fait, lui seront plus nécessaires dans sa vie professionnelle que des connaissances directement ciblées.
Je considère pour ma part que l’université est ainsi en train de prendre de l’importance par rapport aux grandes écoles. On commence à s’apercevoir que la formation plus généraliste qu’elle donne a toutes les chances d’être plus utile que des formations extrêmement pointues qui présentent le risque de figer les jeunes dans une compétence à court terme.
Il est intéressant de noter que, dans ce processus, chacune des universités a pris appui sur les contraintes de son environnement. C’est ainsi que, d’un établissement à l’autre, les filières, les options proposées sont différentes, et cette diversité des établissements – on pourrait parler d’une personnalité de chacun d’entre eux – est l’une des richesses de l’université française en cette fin de siècle. Aujourd’hui, une tâche urgente s’impose : faire le bilan de ces avancées accomplies par l’ensemble des universités. Ce serait un préalable à la réflexion de fond qu’il convient de mener sur ce que doit être l’enseignement supérieur dans le monde en train de se construire.
BBF : On parle pourtant plus souvent du taux d’échec des universités.
Irène Sokologorsky : C’est vrai, on a dans la société une connaissance insuffisante et une appréciation fausse de l’université, que l’on accuse volontiers de tous les maux, alors qu’elle est peut-être l’institution qui, actuellement en France, se porte le moins mal.
En ce qui concerne les « échecs », il est exact que trop d’étudiants quittent l’université sans diplôme, même si, avec la rénovation pédagogique, un très gros effort a été fait pour en réduire le nombre. Mais je voudrais insister sur le fait que même la plupart de ceux-là repartent en ayant acquis une ouverture d’esprit qu’aucun autre parcours n’aurait pu leur donner. Aussi court soit-il, un passage à l’université a toutes les chances de permettre à un jeune de mieux se situer dans le monde extérieur et dans son univers professionnel, et, qui sait si, un jour, après d’autres expériences, il ne reviendra pas poursuivre sa formation. Il faudrait donc, selon moi, se garder de parler trop rapidement d’échec.
BBF : Comment analysez-vous certains des choix du programme Université 2000, tels, par exemple, la présence et la participation beaucoup plus forte des collectivités territoriales dans le fonctionnement des universités ?
Irène Sokologorsky : Le programme Université 2000 a aidé à l’instauration de relations plus étroites entre les établissements universitaires et les collectivités territoriales. L’université ressentait le besoin de s’ouvrir, et le plan Université 2000 a facilité et accéléré cette ouverture. Il ne s’est agi cependant, très exactement, que du financement conjoint de constructions et donc de l’équipement et non du fonctionnement des universités. C’est important.
En effet, si la concertation, les relations suivies entre une université, son environnement socio-économique et les collectivités territoriales sont de nature à soutenir l’effort de formation et de recherche, il faut se garder du danger que serait une intervention directe de ces dernières dans les choix pédagogiques, dans la mise en place des filières, dans la définition de la politique universitaire des établissements. Les liens entre un établissement d’enseignement supérieur et son environnement doivent encore se resserrer, mais ils doivent s’établir et se maintenir dans le respect des compétences et des missions réciproques.
C’est ainsi, en particulier, qu’il est fondamental de sauvegarder ce qui l’a été jusque-là en France : le caractère national des diplômes, une égalité de traitement entre les universités, une relation forte et déterminante à l’Etat. Dans cette perspective, il est, par exemple, extrêmement important de ne pas revenir sur l’égalité des droits d’inscription dans les universités : la possibilité, pour chacune, de fixer, même dans une fourchette, son chiffre propre conduirait à très court terme à l’effondrement du système actuel, et ce serait une grave erreur.
Les collectivités territoriales n’ont déjà que trop pesé sur la vie universitaire en conduisant à la création désordonnée d’antennes, à la mise en place de départements d’IUT (Instituts universitaires de technologie) dispersés, à ce qu’on appelle « l’essaimage ». On pourrait également parler de la création d’universités dites « thématiques ». Une université ne saurait être « thématique » ! L’université, c’est universel… Ces nombreuses antennes n’ont aucune chance de voir se mettre en place la moindre pluridisciplinarité et interdisent l’association entre recherche et enseignement.
BBF : pour vous, ces deux ensembles, pluridisciplinarité et association recherche-enseignement, sont vraiment les deux richesses de l’université ?
Irène Sokologorsky : Absolument. Dans l’enseignement supérieur, la recherche et l’enseignement sont indissolublement liés et s’enrichissent constamment l’un par l’autre. L’enseignement, parce que sa dynamique a besoin de s’appuyer sur les dernières avancées du savoir et sur les débats les plus actuels. La recherche, parce qu’immédiatement mise à l’épreuve de la diffusion de ses résultats auprès des jeunes, elle est, de ce fait, maintenue dans un questionnement constant. Dans le quotidien, ces deux facettes de la mission de l’université sont, bien entendu, quelquefois difficiles à concilier. Mais, globalement, l’université française y arrive.
La qualité des formations qu’elle dispense s’affirme d’année en année et elle est, en même temps et d’une manière incontestable, le lieu où travaillent les chercheurs les plus performants, le lieu où, dans les disciplines fondamentales en tout cas, dans celles que l’on peut appeler les « disciplines du sens », sont conduits les travaux les plus novateurs. Il y a là une réussite qui peut-être n’est pas assez connue et qu’il convient de défendre dans la confrontation des différents systèmes qu’impose la construction de l’Europe.
Pluridisciplinarité également. On en a de plus en plus conscience, c’est à la croisée des disciplines qu’avancent les connaissances, et il convient de ne pas enfermer les étudiants dans une branche du savoir. Etant donné l’immensité de ce que nous avons à leur faire découvrir, c’est là aussi une gageure. Il faut pourtant s’attacher à leur entrouvrir au moins un maximum de portes qu’ils pourront par la suite pousser eux-mêmes.
J’aimerais cependant insister également sur l’importance, dans l’université actuelle, des activités culturelles, qui sont d’ailleurs, elles aussi, un vecteur de pluridisciplinarité. L’université ne doit pas être uniquement un établissement où des jeunes viennent chercher des connaissances. Elle doit être un lieu de vie.
Ceci est particulièrement vrai à l’heure où accèdent à l’enseignement supérieur des jeunes dont les pratiques culturelles ont été jusque-là très limitées. L’université a pour mission non seulement de les faire accéder à la vie culturelle, mais de les amener à y prendre part. Les activités culturelles au sein d’un établissement d’enseignement supérieur ne sont pas aujourd’hui un luxe, un supplément d’âme, elles font partie de la formation des jeunes.
C’est là qu’est un peu artificielle la distinction souvent faite entre enseignements professionnalisants et enseignements généralistes. Ces derniers forment en effet, chez les jeunes, un certain nombre de qualités et de compétences, sans lesquelles aucun diplôme n’offrira longtemps la garantie de l’emploi : sens des responsabilités et de la discipline personnelle, goût de l’initiative, curiosité, capacité à travailler en groupe, esprit d’équipe, goût du risque… Ils sont donc, de fait, tout aussi professionnalisants que les premiers.
BBF : La construction d’une grande bibliothèque universitaire à paris 8 doit vous satisfaire…
Irène Sokologorsky : En effet, c’est pour moi une très grande joie d’avoir réussi, après de multiples difficultés, à lancer le chantier de notre bibliothèque universitaire, qui sera d’ailleurs la plus grande réalisation du programme Université 2000. Mais, vous savez, nous avons près de 28 000 étudiants dans un environnement culturellement assez déshérité et nous avons impérativement besoin de cet équipement. En tout cas, l’ouverture en 1997 de ces 15 000 m2 sera pour notre communauté un événement d’autant plus important qu’à paris 8 la bibliothèque est depuis toujours totalement intégrée à la vie de l’université.
C’est d’ailleurs autour de la bibliothèque que nous avons souhaité organiser notre implantation. Notre campus est traversé par une voie de grande circulation, et le bâtiment de la bibliothèque enjambera cette artère en offrant au regard une salle de lecture, symbole des valeurs intellectuelles, symbole de l’accession à la culture. Nous menons actuellement une réflexion avec le département de la Seine-Saint-Denis, qui, je me dois de le dire, a fortement contribué au financement de cet équipement, et avec la municipalité pour définir les modalités d’ouverture de cette bibliothèque à la population de la banlieue nord de paris. Ceci, bien sûr, tout en demeurant une bibliothèque universitaire.
Je voudrais également vous signaler que, depuis plusieurs années, une équipe de sociologues travaille avec les conservateurs à la mise en place d’un enseignement de méthodologie documentaire qui constitue un véritable apprentissage au « métier » d’étudiant. Et nous avons maintenant un recul suffisant pour mesurer les effets très positifs de ce travail sur le devenir des jeunes. Ceux qui ont suivi cette formation réussissent beaucoup mieux et plus vite, quelle que soit leur spécialité.
L’année 1997, qui verra à la fois l’arrivée du métro à la porte de l’université et l’ouverture de notre nouvelle bibliothèque, sera pour paris 8 Vincennes-Saint-Denis une grande année.
Janvier 1996