Le multimédia

Enjeux culturels et éducatifs

Annie Le Saux

La présence du multimédia devient de plus en plus tangible dans le monde des bibliothèques et de l'école. Sensible à cette évolution, l'association Lecture-Jeunesse 1 a organisé, le lundi 13 novembre 1995 à Paris, avec l'aide de la Direction du livre et de la lecture et de la Direction régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France, une rencontre, où enjeux culturels et éducatifs des nouveaux supports ont été débattus, au travers notamment des expériences des bibliothèques publiques.

LES BIBLIOTHEQUES PUBLIQUES ET LE MULTIMEDIA

En introduction, Gaëlle Béquet a présenté le panorama de ce que l'on continue à appeler les nouvelles technologies, dans les bibliothèques publiques françaises, à partir des premiers éléments d'une enquête menée par la Direction du livre et de la lecture auprès de 1 150 bibliothèques informatisées ou en cours d'informatisation, réactualisant la précédente enquête menée en 1992 2.

Le questionnaire portait sur les différents supports possédés par les bibliothèques.

- Les CD-Rom : quatre-vingts des bibliothèques interrogées ont mis un ou plusieurs lecteurs de CD-Rom à la disposition du public. Les titres, variables en nombre selon les établissements, concernent essentiellement des contenus bibliographiques (Le Robert, Myriade, Electre, Francis...), les titres multimédias étant encore peu répandus.

- les banques de données en ligne : seules dix bibliothèques font de l'interrogation de banques de données en ligne et, dans ce cas, il s'agit également de services professionnels : CCN et Electre.

- Internet : la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque publique d'information ont créé leur propre serveur sur le Web et les catalogues de Lyon et de Saint-Étienne peuvent être consultés via Telnet.

Gaëlle Béquet a ensuite rappelé les actions dans lesquelles s'est investi le ministère de la Culture, tant au niveau européen qu'aux niveaux national et régional.Parmi ces actions, citons le programme d'application télématique « Info 2000 », qui débutera en 1996, et pour lequel 60 millions d'écus financeront des produits multimédias et multilingues. Le ministère participe également aux projets sur les autoroutes de l'information. Il prend aussi part aux plans régionaux de numérisation des manuscrits médiévaux et des périodiques, dans une optique de conservation. Enfin, le ministère de la Culture encourage les librairies à diffuser des documents multimédias.

L'exemple des CD-Rom multimédias fut illustré par Claudie Guérin, de la Bibliothèque d'art moderne de la ville de Paris, qui projeta un certain nombre d'extraits de CD-Rom multimédias grand public.

Dans l'analyse qu'elle fit de ce produit, Claudie Guérin mit en évidence trois exigences pour la réussite de ce média : l'importance de sa conception intellectuelle, de l'ergonomie de l'interface et de la ligne graphique du document - la qualité de la vidéo est encore moyenne et le son médiocre.

Un des grands handicaps à l'acquisition de CD-Rom, qu'avait également mentionné Gaëlle Béquet, tient à ce qu'il n'est pas possible d'en prendre connaissance avant de les acheter, ni de savoir s'ils permettent ou non l'impression et, comme peu de revues font des critiques des titres parus, il s'avère difficile de les sélectionner sans risque d'être déçu.

ISSY-LES-MOULINEAUX

Trois représentants de bibliothèques municipales ont présenté les services de CD-Rom et de réseaux de leurs bibliothèques, ainsi que les utilisations qui en étaient faites. Ces exemples ont montré à quel point la politique de la ville pouvait influer positivement ou non sur le développement de ces médias dans les bibliothèques.

Heureux bénéficiaire de l'aide forte apportée par la ville d'Issy-Les-Moulineaux, Jean-François Jacques a souligné l'importance de pouvoir prévoir, dès la programmation de la construction, l'accès au multimédia. Destiné à deux publics cibles - les entreprises et les jeunes - la logithèque de la médiathèque, espace non spécifique, éclaté au milieu des livres, offre au public onze micro-ordinateurs accessibles gratuitement après réservation (si l'on a cependant acquitté des droits d'entrée à la bibliothèque), un scanner, une imprimante Laser et sept lecteurs de CD-Rom. Le fonds de CD-Rom est particulièrement riche : 436 pour le prêt et 30 pour la consultation sur place, ce deuxième chiffre s'expliquant par la lourdeur de l'installation des CD-Rom.

Trois usages de ces supports ont été observés : le premier et le plus important est lié à la bureautique (rédaction de curriculum vitae, devoirs...) ; le deuxième est un usage documentaire, que le personnel de la bibliothèque aimerait développer ; le troisième, qui est la première demande des jeunes, est un usage ludo-éducatif. Ces différentes consultations représentent plus de trois cents heures d'utilisation par semaine.

La médiathèque a également créé, en partenariat avec les entreprises locales, un atelier de micro-informatique. Depuis le 1er juin 1995, à la demande de la ville, elle est connectée à Internet. L'accès, qui coûte à l'utilisateur le prix de la communication avec France-Net, soit 24 F de l'heure, est possible pour tous les services sauf pour la messagerie. Trois usagers sur quatre viennent avec leurs disquettes afin de récupérer les informations.

La médiathèque a entrepris de participer à un schéma local de l'information et de prendre part au comité de pilotage de l'informatisation des écoles, au travers des BCD.

SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES

Situation différente à Saint-Quentin-en-Yvelines, où la ville n'a pas apporté un soutien spécifique au projet de formathèque, qui devait, dans un espace et avec un personnel particuliers, être axée sur l'autoformation.

La nouvelle médiathèque a pu cependant installer cinq postes de consultation de CD-Rom, dont trois consacrés à des produits de référence ou culturels et deux à des produits de formation. La consultation des CD-Rom présente un certain nombre de difficultés, comme de les faire fonctionner en réseau, de les utiliser, du moins pour certains titres, sans aide ni formation, et de faire cohabiter des publics différents ayant des besoins différents.

Là aussi trois types d'utilisateurs se dessinent : ceux qui recherchent un emploi, ainsi que les étudiants, qui consultent les CD-Rom Kompass et Le Monde. Ces consultations, habituellement longues et régulières, débouchent sur des demandes d'impression de l'information, ce qui montre que l'usage du CD ne signifie pas l'abandon du papier, bien au contraire. Il y a aussi les utilisateurs de produits de formation, de jeunes adultes, fidèles eux aussi et très autonomes. Et, enfin, les curieux, plus intéressés par le support que par le contenu, tendance qu'aimerait inverser le personnel de la médiathèque.

La médiathèque souhaite toujours développer le projet initial de formathèque, en le faisant évoluer vers un usage de groupe, de partenariat avec les entreprises locales. S'il y a une certaine méfiance vis-à-vis d'Internet, auquel ils ne sont pas connectés, on note une ouverture vers le câble et la ville, elle-même câblée, a un projet de téléformation via ce mode de distribution.

LYON

La mise à disposition du public, dans les bibliothèques, de terminaux, de lecteurs de CD-Rom et d'Internet, est en train de faire évoluer la philosophie de l'utilisation de la bibliothèque. Ainsi en va-t-il à Lyon, où l'on assiste à un redéploiement de la bibliothèque, non plus par supports, mais par contenus, par thèmes, chaque département devenant multimédia, multiservice (prêt, consultation sur place), multi-usage et multipublic. Les problèmes techniques que ces nouveaux médias occasionnent nécessiteront de plus en plus la présence d'informaticiens aux côtés des bibliothécaires.

Y a-t-il un avenir pour les bibliothèques dans cet environnement technologique et économique, s'est demandé François Reiner ? L'analyse du contenu des ouvrages, leur indexation, leur classement dans le but de pouvoir les retrouver vont se reporter sur l'information, dont la diffusion en continu, la création et le renouvellement constants complexifient l'accès. Le bibliothécaire peut voir dans cette spécificité de sa profession un atout pour l'avenir, même si la bibliothèque sera moins un lieu, une architecture où est emmagasiné le savoir, qu'un lieu de dialogue, de débat, où sa fonction sociale de communication est amenée à se développer.

LES MUTATIONS CULTURELLES

Pierre Lévy, de l'Université de Paris VIII, a conclu cette journée en retraçant l'évolution des mutations culturelles jusqu'à celles provoquées par les technologies numériques.

Actuellement, on assiste à la construction d'un espace de communication complètement nouveau, si on le compare aux dispositifs de communication que nous connaissions jusqu'à présent : qu'il s'agisse de la communication médiatique - la presse, la radio, la télévision -, qui consiste en un centre émetteur et en de nombreux récepteurs isolés les uns des autres, ou de la poste et du téléphone, qui offrent une communication point à point, avec réciprocité mais sans vision d'ensemble.

Si l'on remonte dans le temps, on est passé, avec l'invention de l'écriture, de la communication dans un même contexte spatio-temporel, à une rupture aussi bien spatiale que temporelle entre l'auteur du message et le ou les récepteurs. L'écriture a donné naissance à l'idée d'universalité, en même temps qu'au désir de véhiculer un même sens partout.

Aujourd'hui, il y a dissociation des concepts d'universalité et de ce que Pierre Lévy appelle « totalisation ou clôture sémantique ». On a accès à un énorme hypertexte, hétérogène, impossible à saisir, qui se fait et se défait et qui tend vers une « intelligence collective », diverse et singulière, partout partagée, valorisée par tous.

L'utopiste peut croire que cela conduit à un accès universel au savoir, alors que le réaliste constate qu'à chaque fois qu'on fabrique un nouveau système de communication, on fabrique des exclus.

  1. (retour)↑  L'association, créée en 1974, a pour but de promouvoir la lecture auprès des 13-19 ans, avec l'aide des bibliothécaires, des documentalistes et des éducateurs.36, rue Emeriau, 75015 ParisTél. 45 78 13 89, Télécopie 45 78 27 96.
  2. (retour)↑  Les résultats de cette enquête en cours de dépouillement seront connus au début de 1996.