Le point sur la conservation des documents
Nicole Pierre
Le 5 octobre, presque un an jour pour jour après sa création dans le sillage du Colloque international de Nancy, l'Institut français pour la reliure de bibliothèque (IFRB) * avait convié tous les professionnels intéressés à une première journée d'étude axée sur la question du papier permanent et des dernières possibilités en matière de conservation des documents imprimés.
Dans un tel contexte, le choix d'Annonay, siège de la papeterie Canson, comme cadre de la réunion, paraissait tout indiqué, la perspective d'une journée ardéchoise n'étant pas par elle-même sans attrait... Si professionnellement cette journée s'annonçait sous les meilleurs auspices, le ciel ne fut pas de la partie, qui se montra irrémédiablement hostile dès l'arrivée à Lyon et persista jusqu'en vallée de la Cance à voiler le relief pittoresque et verdoyant du Vivarais sous des rideaux de pluie continue.
La papeterie canson
La matinée fut consacrée à la visite de la papeterie. Sous la houlette affable de Bertrand de Montgolfier et de quelques-uns de ses collaborateurs, la cinquantaine de participants, répartis en petits groupes, se plongea dans les détails techniques de la fabrication du papier, des papiers, faudrait-il dire, si l'on se réfère à la diversité de la production : papiers fins pour l'impression ou l'écriture, papiers à dessin, papier calque dont Canson est le seul fabricant français, fournitures de reliure, papiers spéciaux à usage industriel, etc. - en tout 300 types différents.
Des entrepôts de stockage des matières premières (éléments cellulosiques mais aussi minéraux... ) aux machines à papier, les visiteurs ont pu suivre dans l'une des quatre usines d'Annonay le cycle complet de « naissance » du papier : mélange des matières premières et d'une eau - qui, si elle est généreusement fournie par la nature locale (c'était particulièrement le cas ce jour-là...), n'en nécessite pas moins d'être purifiée -, brassage de la pâte obtenue, étirement sur les presses coucheuses, assèchement progressif sur cylindres jusqu'au résultat désiré, les opérations étant gérées à partir des écrans de contrôle. Le deuxième pôle de la visite fut la plus récente des usines Canson, tout entière consacrée au conditionnement et aux expéditions. Canson affirme là sa vocation de distribution : un choix très net puisque ses envois, très rarement destinés aux grossistes, vont directement sur les points de vente de détail. Avec ses douze filiales à l'étranger, la société fait en outre la moitié de ses expéditions hors de France, en direction de plus de 130 pays.
Le papier permanent en France
Bertrand de Montgolfier ouvrit le feu en évoquant la fabrication et l'usage actuel du papier permanent en France. Il fit à juste titre remarquer que, pas plus que le terme « neutre », le terme « permanent », désignant un papier à PH supérieur à six et doté d'une réserve alcaline, n'était approprié. Il ne peut en effet être question de « permanence » absolue du papier, tout au plus de « longue durée », cette durée dépendant toujours des conditions de conservation. Le papier permanent, aujourd'hui défini par la norme ISO 9706, est déjà répandu au sein de certaines fabrications, comme en témoignent les grandes quantités produites par la société Canson elle-même. Mais il demeure toujours singulièrement rare dans la production éditoriale courante. Dans la situation significative que nous connaissons (45 millions de volumes acides en Europe - 15 millions en France), on ne peut que regretter vivement, comme Bertrand de Montgolfier le souligna, le manque d'intérêt du monde français de l'édition pour le papier permanent, manque d'intérêt que ne justifient même pas des différences de coût assez négligeables. Une prise de conscience des pouvoirs publics à ce sujet serait plus que nécessaire et vitales des décisions législatives.
La reproduction « à la carte »
Dans la seconde intervention, Nicolas Ruppli (Bibliothèque municipale de Dijon), fit le point sur les dernières perspectives en matière de reproduction « à la carte » d'ouvrages épuisés. Grâce au système Docutech de Rank Xerox, les volumes originaux, une fois numérisés, peuvent être reproduits à l'unité ou par petits tirages : dotés d'une définition satisfaisante (600 DPI), les volumes obtenus sont soit brochés, soit « reliés » en dos carré-collé lorsque à l'unité de reproduction s'adjoint une unité « reliure » (Coloradoc). De prestataires de service comme Coloradoc à la Société du livre à la carte, qui regroupe des éditeurs et prend en compte les problèmes de droits, il existe à l'heure actuelle diverses offres pour un procédé d'avenir, même si des points d'interrogation demeurent (question juridique, durée de vie de l'impression numérique, etc.).
Jean-Paul Oddos clôtura l'après-midi en présentant le bilan des activités de l'IFRB depuis un an : contribution active à l'établissement de normes spécifiques pour la reliure (celles qui concernent la reliure de bibliothèque sont bien avancées), préparation d'une enquête sur la reliure dans les bibliothèques, réflexion sur un système de gestion informatisée qui, applicable aux ateliers des professionnels, serait également compatible avec les systèmes des bibliothèques.
Ainsi s'acheva une journée placée sous le signe de l'eau et du papier dont le moindre intérêt n'était pas, outre la gentillesse de l'accueil ardéchois, les fructueux échanges entre professionnels venus d'horizons divers, mais réunis par de communes préoccupations.