Du nouveau à la bibliothèque municipale de Brest
Yannick Lucéa
La médiathèque de Lambézellec et la bibliothèque de Pontanézen, deux bibliothèques annexes brestoises, différentes tant par leur taille que par leur public, se sont réunies pour réfléchir à de nouvelles manières de classer, puis de présenter les documents.
La médiathèque de Lambézellec, dont la réalisation s'achève actuellement, disposera d'une superficie de 1 000 m2. Son fonds devrait atteindre au fil des ans 38 000 documents (livres, périodiques, cassettes vidéo et CD-Rom). Son public potentiel, évalué à 20 000 personnes, habite un faubourg de type villageois.La bibliothèque de Pontanézen, d'une superficie de 650 m2, se situe dans un quartier dit « défavorisé », dont une partie de la population est d'origine immigrée.
La création d'un fonds d'un côté et le désir de séduire le public le plus large possible de l'autre, furent l'occasion de faire le point sur l'utilisation de la classification décimale de Dewey, jugée de moins en moins adaptée à la lecture publique. Lors de nos réunions, il fut donc décidé de sauter le pas et d'abandonner la Dewey au profit d'une classification répondant le mieux possible à nos souhaits. Il n'est pas question ici de se livrer à une critique exclusive et gratuite de la classification Dewey, mais simplement d'en souligner l'obsolescence relative, en insistant sur le fait qu'elle convient surtout aux fonds spécialisés de grande taille (fonds d'étude ou universitaire). Ses défauts ont été maintes fois soulignés : américano-centrisme, faible place accordée aux religions autres que chrétiennes, partis pris moraux, séparation de l'histoire et de la géographie, éclatement de l'informatique et de l'écologie, indices trop longs, etc. De plus, le maniement même de la Dewey s'avère contraignant pour nombre de bibliothécaires, obligés souvent d'enfreindre certaines de ses règles. Pour ces raisons, il nous a paru nécessaire de faire table rase - ou presque - du passé pour se lancer dans une expérience novatrice.
La classification
La « classification » est la mise en ordre intellectuelle des documents. Dans la lignée de ce que la bibliothèque de Quimper a réalisé voici quelques années, nous nous sommes donc lancés dans la création de notre classification. Ce travail de réflexion, puis de mise au point, s'est étalé sur un an, et a abouti à la création de seize grands thèmes, dont certains peuvent s'apparenter à des centres d'intérêt (déclinaison de différents points de vue sur un même sujet). La définition de ces thèmes a été inspirée par le dépouillement systématique des grandes rubriques de la presse nationale. L'idée était de constituer une segmentation du fonds répondant aux préoccupations, désirs et besoins de nos contemporains. Ainsi ont été créés, entre autres, les thèmes Maison/vie pratique, Famille/enfance, Santé/bien-être, etc. Les originalités de cette classification peuvent être sommairement résumées ainsi : regroupement de l'histoire, de la géographie et de la sociologie par continent ou par pays au sein du thème Pays et peuples ; création d'un thème Médias rassemblant l'ensemble des documents relatifs à l'histoire du livre, de la radio, de la télévision, des télécommunications, de l'informatique et des réseaux ; création d'un thème Vécu regroupant la plupart des témoignages, tranches de vie et histoires véridiques ; classement des philosophes, dramaturges et poètes par ordre alphabétique d'auteur sans tenir compte du siècle ni de la nationalité ; création d'un thème Travail et formation destiné aux chômeurs, aux étudiants et à toute personne désireuse de remettre à jour ses acquis scolaires ou professionnels.
La structure figée de la Dewey s'avérait contraignante et parfois contradictoire avec nos idées. C'est en ce sens que nous nous démarquons des classifications par centres d'intérêt, expérimentées par exemple au Mans ou à Lyon, qui continuent d'avoir recours aux indices Dewey, restant donc tributaires de leur ordre.
Une fois cette décision prise, il ne restait plus qu'à mettre au point des indices numériques adaptés. Le principe de la cotation est simple : les trois premières lettres du thème, suivies de l'indice approprié. Concernant un fonds comme celui de Lambézellec, il n'a pas été jugé utile d'ajouter aux documentaires les trois premières lettres de l'auteur ou du sujet. Cela n'est fait qu'exceptionnellement, pour les monographies d'artistes ou les biographies notamment *
Les indices dont nous nous servons, souvent plus courts que ceux de la Dewey, s'avèrent plus lisibles, et d'une utilisation moins contraignante. Ils ne dépassent jamais trois chiffres après le point.
A Pontanézen, les opérations de modification sont achevées, le dynamisme de l'équipe ayant permis d'avancer rapidement, sans que le service public soit perturbé. La section adultes fonctionne depuis la rentrée avec la nouvelle classification. Une étude est actuellement menée pour en percevoir les conséquences auprès du public. Les bibliothécaires jugent son utilisation souple et satisfaisante. Bien entendu, des affinements seront nécessaires et feront l'objet de nouvelles séances de travail l'an prochain, car une classification figée est une classification morte.
Une version simplifiée et adaptée vient d'être mise au point pour les sections jeunesse. Cette classification reprend les grands principes de la version pour adultes avec le souci de faciliter les recherches du jeune lecteur, mais aussi de correspondre assez précisément à la production éditoriale.
Le classement
Le « classement » est la mise en ordre physique des documents. Lors de mes visites en bibliothèque, je remarque souvent que le classement contredit la classification utilisée. Ainsi, dans tel endroit, certains bibliothécaires ont-ils jugé bon de rapprocher la classe 400 de la 800, rompant de la sorte avec la continuité numérique de la Dewey. Ailleurs, d'autres ont isolé une partie du fonds d'art, créant ainsi un trou dans la classe des 700. Les exemples de ce type abondent. Je souhaite simplement signaler par là que le classement est au moins aussi important que la classification. Il peut la souligner comme la nier.
A la médiathèque de Lambézellec, nous nous sommes inspirés de l'exemple développé au Blanc-Mesnil. Le classement intégrera donc tous les types de documents. Livres, usuels, cassettes vidéo mais aussi périodiques, seront présents au sein des mêmes rayonnages. L'idée de base est la suivante : organiser dorénavant les collections autour des contenus et non plus des supports. Une personne s'intéressant aux voyages, par exemple, trouvera donc regroupés l'ensemble des documents traitant du thème, et ce, quelle que soit leur forme.
Bien évidemment, un mobilier adéquat, beaucoup d'espace, sont nécessaires pour mener à bien un tel projet. Le classement doit s'efforcer de ménager des coins où le lecteur puisse fureter tranquillement. Il me paraît important d'en finir avec ces alignements interminables de livres, mètres et mètres linéaires de rayonnages surchargés, qui sont encore trop souvent le lot des bibliothèques.
De même, signalisation et présentation des documents doivent logiquement s'inspirer du savoir-faire des grands libraires. Lambézellec se dotera donc de tables de nouveautés, sur lesquelles le lecteur trouvera posés à plat l'ensemble des ouvrages nouvellement acquis. Une majorité de documents sera présentée de face et les plus beaux livres systématiquement mis en valeur.
Cette réalisation s'avère pour le moins stimulante. Elle facilite les achats, précisément répartis en un certain nombre de thèmes - plus nombreux et développés que ceux de la Dewey - et permet de lier les différents supports entre eux.
Bien entendu, tous les problèmes que posait la Dewey ne sont pas résolus. Certains thèmes ont suscité des discussions et les solutions retenues ont parfois valeur de compromis. Comme la Dewey, notre classification répartit par exemple les ouvrages ayant trait à l'automobile entre les sports et les techniques, ce qui tend certainement à égarer les fanatiques des quatre roues...
Regrouper des connaissances consiste à en séparer d'autres, remarque banale, certes, mais fondamentalement vraie. Toute classification est un choix et il ne saurait être question d'ordonner parfaitement cette masse foisonnante, en perpétuelle évolution, des documents paraissant au fil des ans. La vie ne se réduira jamais à une grille, ce qui vaut certainement mieux.
Nous avons maintenant en notre possession un outil moderne et adapté que nous comptons affiner au fil du temps. L'équipe des bibliothécaires et moi-même attendons avec impatience l'ouverture de la médiathèque de Lambézellec, normalement prévue en avril 1996.