Accéder ou acquérir
Une véritable alternative pour les bibliothèques ?
Maurice B. Line
Le postulat selon lequel la politique actuelle est de préférer l'accès à l'information à la possession des documents nécessite un examen approfondi. L'accès à la documentation ne permet ni le butinage ni les découvertes inattendues. Il se conçoit mieux pour les périodiques que pour les monographies, pour la plus grande rapidité, la fiabilité et la facilité d'utilisation qu'il offre ; mais, la communication sur place est de toute façon préférable. Si l’on considère le seul critère financier, les coûts actuels sont en faveur de l'accès, mais ils pourront changer considérablement au fur et à mesure que l'accès deviendra numérique. Les nouvelles formes de contr™le et de publication des documents de recherche ont leurs avantages et leurs inconvénients. La possession des ouvrages a ses limites : elle ne peut jamais atteindre l'exhaustivité. On devrait pouvoir associer la possession d'un large éventail de documents récents en libre accès à l'accès à des documents plus anciens. L'importance croissante de l'auto-apprentissage pourrait aider à défendre un budget d'acquisitions plus développé.
The assumption that access is to be preferred to ownership as a matter of policy needs to be questioned. Browsing and serendipity are lost in the access model. Access is better for periodicals than for monographs on the criteria of speed of supply, reliability and ease of use, but for both it is generally inferior to on-the-spot access. If costs were the only criterion, the current relative costs of access and ownership, which favour access, may change substantially as and when access becomes electronic. Alternative forms of control and publication of research material have advantages and disadvantages. Ownership has limits : it can never approach comprehensiveness. Ownership of and exposure to a wide range of current material should be combined with access to older material. A strong case could be made for larger acquisition funds in view of the coming emphasis on self- directed learning.
Das Postulat, daB die aktuelle Politk dem Besitz der Dokumente den Zugriff zur Information vorzieht, mu§ genau untersucht werden. Der Zugriff zur Dokumentation hat das Büchernachschlagen sowie jede unerwartete Entdeckung beiseite geschoben. Wegen seiner grö§eren Geschwindigkeit, seiner Zuverlässigkeit und Benutzerfreundlichkeit ent-spricht er den Zeitschriften mehr als den Monographien; die Arbeit in der Bibliothek selbst genie§t allerdings eine Bevorzugung. Betrachtet man nur die Kostenfrage, beförden heute die Kosten den Zugriff; sie können aber wesentlich zunehmen, sobald der Zugriff digital wird. Die neuen Kontroll- und Veröffentlichungsweisen der Forschungsdokumente bieten gleichzeitig Vor- und Nachteile. Der Besitz dieser Werke kennt auch seine Grenzen, da er eine erschöpfende Sammlung nie besorgen kann. Man sollte den Besitz einer breiten Auswahl von frischen, ohne Zugriffsbedingungen vorhandenen Dokumenten mit dem Fernzugriff zu frühreren Dokumenten verbinden können. Die wachsende Wichtigkeit der Selbstausbildung könnte dazu beitragen, einen bedeutenderen Erwerbshaushalt zu verteidigen.
Il semble presque banal de dire que l’avenir des bibliothèques réside dans une politique d’accès à la documentation plutôt que dans la possession des documents. Les bibliothécaires ont soit abandonné la défense d’une politique d’acquisitions massives, soit carrément lutté contre (7, 25), à quelques exceptions près (23).
Plusieurs arguments sont avancés en faveur de l’accès, dont celui qui considère qu’une telle politique est inévitable, parce que beaucoup, voire la quasi-totalité des documents seront disponibles à l’avenir sous forme électronique. D’ici là, l’accès à distance sera de plus en plus facilité, dans la mesure où de plus en plus de documents sont produits sous forme électronique autant que sous forme imprimée, ou sont numérisés et permettent leur fourniture électronique. Désormais, il n’est plus important qu’un document ne figure pas dans la bibliothèque, étant donné qu’on peut l’obtenir aisément. L’accès doit être aussi préféré d’un point de vue économique, argument non négligeable car les ressources budgétaires ne sont pas près d’augmenter.
Le butinage
Si l’on peut accepter d’avoir recours à l’accès à distance quand les ressources budgétaires ne permettent pas de maintenir le niveau antérieur des acquisitions, c’est une autre chose que d’en faire un principe. La possibilité de butiner est excessivement limitée dans l’accès à distance et joue contre lui. De nombreuses études ont, d’ailleurs, montré que, même dans le cas des sciences dures, les utilisateurs trouvent de nombreux documents pertinents en butinant ou encore tout à fait par hasard.
Les estimations du pourcentage de lectures effectuées par des chercheurs et résultant du butinage vont de 24 à 60 % (1). Il faut, en outre, faire la distinction entre le butinage et la découverte aléatoire. Le butinage implique une recherche de documents ayant un rapport avec son propre centre d’intérêt, souvent sans faire la recherche sous un terme précis, alors que les découvertes aléatoires consistent à trouver fortuitement des documents intéressants. On pourrait comparer le butinage à « la recherche d’une aiguille dans une botte de foin », alors que la découverte aléatoire consiste à rechercher une aiguille dans une botte de foin et à y trouver la fille du fermier ! Dans ces deux cas, le contact avec le document lui-même est nécessaire.
En sciences humaines, la nécessité d’avoir le document en mains est encore plus évidente, car, même quand l’utilisateur sait précisément ce qu’il veut, les notices catalographiques révèlent si peu du contenu des ouvrages qu’il peut être nécessaire d’en feuilleter plusieurs avant de trouver ce que l’on recherche. Il est vrai que certaines bibliothèques, dont les fonds sont en accès indirect, n’offrent pas cette possibilité à leurs utilisateurs, mais, dans les systèmes en libre accès, le butinage est presque toujours pratiqué et est très apprécié des utilisateurs.
Les articles, dont on ne découvre l’intérêt et la pertinence que lorsqu’on les voit véritablement, aident les chercheurs à étendre leur champ de connaissance, à établir des liens entre plusieurs disciplines et à trouver des idées nouvelles. Le contact avec des documents récents est particulièrement important, puisque celui-ci permet aux chercheurs et aux professeurs de se tenir au courant des nouveaux développements en marge ou même au-delà de leur propre discipline. C’est, après tout, un contact permanent avec un tel choix de documents pendant de nombreuses années qui a fourni aux chercheurs actuels concepts et mots-clés pour accéder aux bases de données.
Bien sûr, le texte peut être aussi feuilleté sur un écran d’ordinateur et l’accès électronique aux articles de périodiques offre le butinage en ligne. Cependant, à ce jour, il est difficile d’affirmer que le balayage sur écran peut être un substitut adéquat à celui de la page imprimée. La page écran est encore trop petite, le processus beaucoup trop lent ; un balayage pendant un temps trop long fait mal aux yeux, et les ordinateurs, même portables, ne le sont pas autant que des documents imprimés – la vie des piles n’étant en plus pas très longue, on doit se trouver près d’une prise de courant si on veut les utiliser longtemps. Il est donc difficile de dire s’il peut y avoir une solution de remplacement au contact direct avec un bon choix de documents imprimés.
Il existe maintenant plusieurs systèmes CAS-IAS (système d’accès au contenu-fourniture personnalisée d’articles), qui fournissent l’accès aux tables des matières de nombreux périodiques et offrent également la fourniture des articles référencés : par exemple OCLC’s Contents First, CARL (Colorado Academic and Research Libraries) UnCover et les BLDSC Inside Information and Inside Conferences (12, 3). Mais ceux-ci comprennent peu de périodiques à faible utilisation et les titres des articles n’apportent que peu de renseignements sur le contenu.
Pour les monographies, le jour où l’accès au texte en ligne sera banalisé ne semble pas proche et, de toute façon, il faudrait un contrôle bibliographique considérablement amélioré pour atténuer la perte du butinage direct. Les tables des matières des monographies commencent à être disponibles sur écran, mais elles ne révèlent souvent pas grand chose. Il vaudrait mieux disposer de résumés bien étoffés.
Il semble donc difficile d’envisager la généralisation de ce type de service, bien que les notices de nombreux ouvrages de langue anglaise, produites par Book Data Ltd, représentent un progrès. Mais même ceci ne peut remplacer la possibilité de regarder la monographie elle-même. Combien sommes-nous à acheter des livres en librairie pour un usage personnel, rien qu’après avoir regardé le titre et le sommaire ? En fait, ceux qui prônent l’accès à l’information de préférence à la possession du document admettent, quand on insiste, qu’ils pensent seulement aux périodiques, et, de plus, surtout aux périodiques scientifiques et techniques.
L’efficacité
Est-ce que la décision d’acquérir des documents ou d’accéder à l’information doit être prise en tenant compte de la relative rentabilité de l’accès ou de l’efficacité en général ? Les principaux critères d’efficacité sont la rapidité de la fourniture du document, la fiabilité (la probabilité d’obtenir un document à partir de la ou des sources approchantes) et la facilité d’utilisation (14). Le critère des coûts est bien sûr sont importants, mais à des degrés variables et je reviendrai sur ce point.
Actuellement, l’accès aux documents « copiables » comme les articles de périodiques répond bien mieux à tous les critères évoqués ci-dessus que l’accès aux documents « non copiables » tels que les monographies. Cela vaut aussi davantage pour les périodiques scientifiques que pour les périodiques de sciences humaines. Non pas parce qu’il est bien plus facile de localiser des périodiques que des monographies – l’accès en ligne aux catalogues collectifs est en train de changer cela –, mais la probabilité qu’un livre recherché soit disponible immédiatement est plus faible. Ceci aussi commence à s’améliorer grâce à des systèmes qui permettent d’aiguiller rapidement vers d’autres bibliothèques les demandes qui ne peuvent pas être satisfaites dans une bibliothèque.
Mais cela ne règle pas le fait que les monographies les plus à même d’être demandées sont celles qui tendent à être les plus utilisées dans les bibliothèques où sont envoyées les demandes. Ce problème est rarement soulevé dans le cas des périodiques, puisque peu de bibliothèques les prêtent et que le fait de faire une photocopie d’un article ne prive pas les utilisateurs sur place de l’exemplaire en question.
Ainsi, l’accès à distance aux monographies manque à la fois de fiabilité et de rapidité. Une autre raison pour laquelle la fourniture des ouvrages est moins rapide que la fourniture d’articles est que, pour ces derniers, les photocopies peuvent être transmises par fax et que, même si elles sont envoyées par courrier, elles partent par lettres, moins lentes que les colis ou les paquets poste. Il n’est pas conseillé à une bibliothèque de proposer à ses utilisateurs ayant besoin d’une monographie très rapidement l’emprunt de ce document à une autre bibliothèque plutôt que de le posséder elle-même.
L’accès est donc bien plus satisfaisant pour les périodiques que pour les monographies. Etant donné ces différences, qui s’accentueront encore avec l’accès électronique, il est surprenant que la plupart des bibliothécaires de bibliothèques universitaires continuent à maintenir leurs abonnements aux périodiques le plus longtemps possible, aux dépens de l’achat de monographies. Soit ils ne croient pas vraiment ce qu’ils disent sur l’accès comme véritable alternative, soit ils sont obligés (par leurs autorités de tutelle) d’agir de manière irrationnelle, la troisième possibilité étant qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’ils font.
Quels que soient les mérites respectifs de l’accès aux périodiques et aux monographies, l’accès à distance est, dans les deux cas, moins bon que l’accès sur place. Cela ne veut pas dire que la disponibilité sur place ne laisse pas grandement à désirer. Des études faites à ce sujet au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ont montré non seulement qu’environ 70 % seulement des documents demandés par les chercheurs se trouvent dans leurs bibliothèques, mais aussi que seulement 60 % des documents réellement possédés par les bibliothèques universitaires sont disponibles quand on les demande (17, 4).
La principale cause de la non-disponibilité de ces documents est qu’ils sont empruntés, ce qui fait que les 40 % qui ne sont pas disponibles quand on les demande sont généralement les documents les plus courants, et non pas ceux qui servent à la recherche. Le prêt entre bibliothèques est de peu de secours dans ce cas-là, puisqu’il s’agit principalement de livres dont les étudiants ont besoin rapidement. La seule solution consisterait à acquérir un plus grand nombre d’exemplaires, mais, puisque le budget global de la bibliothèque est limité, ceci amènerait à réduire le nombre des autres documents et priverait de ce fait les chercheurs.
Les coûts
Le seul critère des coûts n’est pas suffisant pour qu’une bibliothèque puisse choisir entre acheter et emprunter, car c’est ne pas tenir compte de l’importance du contact avec l’ouvrage et du butinage et aussi parce que les documents potentiellement utiles que l’on ne voit pas ne sont souvent ni identifiés ni utilisés. Je pense également que, sur des critères essentiels, posséder l’ouvrage donne de meilleurs résultats que d’y avoir accès. Cependant on ne peut bien sûr pas ignorer les coûts.
L’instabilité des coûts d’accès pose problème. Il n’y a en effet pas de coût standard à l’échelon national – pour ne pas compliquer les choses, je ne parlerai pas de l’accès international où les incertitudes sont bien plus grandes encore. De plus en plus de pays acceptent que les coûts marginaux (directs) du prêt entre bibliothèques soient payés par la bibliothèque demandeuse. Dans un très petit nombre de bibliothèques, l’offre et la demande sont équilibrées, et les fournisseurs sont de moins en moins prêts à assumer le coût d’un volume toujours plus important de demandes. Dans certains pays, l’activité de fournisseur est partiellement subventionnée – sauf le coût en personnel –, mais c’est une étape sur la voie du paiement intégral des coûts directs.
La plupart des bibliothèques taxent différemment les prêts et les photocopies, en partie parce que les dispositions légales peuvent les obliger à faire payer un prix minimum pour les photocopies. Si le prix demandé pour les prêts d’ouvrages est inférieur, ceci ne signifie évidemment pas que le coût pour la bibliothèque demandeuse l’est aussi, puisque ces prêts, contrairement aux photocopies, doivent être retournés aux fournisseurs.
Les fournisseurs font souvent payer les photocopies au nombre de pages. Une pratique qui n’est pas très rationnelle par ailleurs, puisque le coût de photocopie d’une page est très faible comparé au coût de recherche du document, aux frais d’envoi, etc. La différence entre la fourniture d’une photocopie de deux pages et d’une de vingt pages est bien inférieure au dixième du coût total. Le prix des articles de périodiques varie également si l’on utilise la poste ou le fax, ce dernier pouvant s’avérer deux fois plus cher. Les fournisseurs commerciaux font payer le prix coûtant, plus un – généralement petit – bénéfice 1.
Quelle que soit la situation aujourd’hui, on peut, sans risque de se tromper, prédire que faire payer le prix coûtant deviendra à terme la norme du prêt entre bibliothèques. Mais, tant qu’il reste un doute, il est très difficile de bien comparer les coûts. Il est certain qu’une telle comparaison est actuellement impossible pour les prêts. Là où l’on a recours à des fournisseurs commerciaux pour les articles de périodiques, le coût peut doubler par rapport au même service fourni par une bibliothèque, mais, si les bibliothèques faisaient payer le prix réel, ceux-ci pourraient s’avérer plus élevés que ceux pratiqués par les fournisseurs commerciaux. Si les articles sont transmis à partir de versions électroniques par des éditeurs ou des serveurs, le coût peut être plus important, pour les raisons indiquées ci-dessus.
Plusieurs tentatives ont été faites à l’échelon local pour comparer les coûts des périodiques dans les bibliothèques. Des estimations du nombre de fois où un périodique doit être utilisé avant qu’il soit plus économique de l’acheter varie de 5 à 10. Ces estimations générales ont très peu de valeur, puisque le nombre dépend évidemment du prix du périodique. Les prix moyens au Royaume-Uni, pour 1995, varient de 94 £ pour un périodique de sciences humaines à 445 £ pour un périodique scientifique (2). Ces moyennes occultent les énormes différences de prix entre les titres pris individuellement.
Pour ce qui est des monographies, le prix moyen au Royaume-Uni (de janvier à juin 1995) d’un livre universitaire était de 35.24 £, allant de 78.40 £ pour des documents en science des matériaux à 15.94 £ pour des textes littéraires (sauf la fiction).
Ce prix moyen, aux Etats-Unis, était de 44.91 $, allant de 107.64 $ pour un ouvrage de chirurgie à 23.37 $ pour un ouvrage de sports et loisirs (22). Il faut ajouter à ces coûts ceux de la sélection, de l’acquisition, du traitement (y compris et particulièrement le catalogage), et de la mise en rayons.
Acquisitions et emprunts
Comparer le coût de l’acquisition et de l’obtention d’un prêt ou d’une photocopie amène à estimer l’usage qui en sera fait. Comme je le signalerai plus tard, les bibliothécaires ont souvent des difficultés à décider avec certitude l’acquisition de telle ou telle monographie, même si ces décisions leur semblent évidentes. Ils en ont d’autant plus quand ils hésitent dans leurs choix. Pour les périodiques c’est un peu plus facile, puisque des études sur l’utilisation peuvent fournir des données sur ceux qui ont déjà été acquis, et les statistiques de prêt entre bibliothèques sur ceux qui ne le sont pas. Cependant, des études sérieuses ne sont pas faciles à mener et les statistiques de prêt entre bibliothèques ne peuvent indiquer quel usage serait fait si les périodiques étaient présents à la bibliothèque.
Disons, en prenant un ou deux exemples, que l’achat d’une monographie coûte 35 £ et son traitement 15 £ ; sans tenir compte des coûts de stockage, le coût total d’acquisition se monte à 50 £. Supposons également que le prêt soit payant et qu’un prêt entre bibliothèques coûte au total 10 £ 2. Il devient alors plus économique pour une bibliothèque d’acheter l’ouvrage si le nombre d’utilisations est supérieur à 5. Si le prêt est gratuit, le coût concernera les frais d’expédition et les dépenses internes – environ 5 £.
Prenons comme autre exemple un périodique scientifique qui coûte 300 £, auxquelles on peut ajouter 40 £ pour le traitement et la reliure (pour 12 numéros par an et 2 volumes reliés), soit 340 £ au total. Supposons également que le coût total d’obtention d’une photocopie d’article se monte à 10 £. Il est économique pour la bibliothèque d’acquérir le périodique si son utilisation est égale ou supérieure à 35 consultations. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux auteurs, qui ont écrit sur ce sujet, aient conclu qu’il n’est pas rentable de continuer à acquérir des périodiques de faible utilisation (9).
L’exemple du périodique illustre l’ambiguïté de telles comparaisons de coût. Si celles-ci étaient réellement appliquées à la lettre, il resterait peu de périodiques scientifiques dans les bibliothèques (et, en conséquence, il y en aurait encore moins d’édités). La communauté universitaire aurait raison de s’opposer à une telle politique qui affecterait profondément son activité.
Quoi qu’il en soit, de trop nombreuses incertitudes demeurent pour pouvoir prendre des décisions en s’appuyant uniquement sur la comparaison du coût et de l’utilisation. Les grandes différences dans le prix des titres de périodiques et des monographies, la situation variable et évolutive du prix de la fourniture du document et l’impossibilité de prévoir l’usage qui en sera fait signifient que tout calcul serait non seulement très complexe (il faut calculer séparément pour chaque titre de périodique et chaque monographie), mais ne vaudrait que pour un temps très bref. L’approche intéressante menée par Wessel (24), qui présente un modèle pour optimiser la taille d’une collection de périodiques, est similaire. Bien sûr, les bibliothèques doivent s’efforcer d’optimiser l’utilisation de leurs fonds, mais à condition que ces efforts soient répétés.
La question des coûts relatifs pourrait être contournée par la bibliothèque – et cela résoudrait son problème –, si elle faisait payer les coûts de l’accès aux documents aux utilisateurs. Si tous les coûts directs de cet accès étaient payés par les utilisateurs, il serait logique, du point de vue économique, d’acheter aussi peu que possible et d’utiliser au maximum l’accès électronique.
Si l’on menait ce raisonnement à sa conclusion logique, la bibliothèque n’achèterait rien et emprunterait tout. Même les plus ardents défenseurs de l’accès ne vont pas jusque-là. Pour une bibliothèque, faire payer les utilisateurs – sauf, peut-être une somme minimale pour les dissuader d’un usage superficiel –, c’est les pénaliser pour une mauvaise sélection et des acquisitions mal appropriées. Ce n’est, en effet, pas plus logique que de les faire payer pour utiliser le fonds de la bibliothèque. De toute façon, si on fait payer aux utilisateurs une somme réaliste, pourquoi continueraient-ils à aller à la bibliothèque ?
Finalement, une telle solution ne peut qu’aller à l’encontre des objectifs de la bibliothèque.
L’économie de l’accès à distance
Alors qu’il pourrait paraître plus économique, à proprement parler, d’accéder à distance plutôt que d’acquérir une monographie ou un périodique qui n’est demandé qu’un petit nombre de fois, ceci ne vaut que dans la situation présente. Quand de nombreuses bibliothèques résilient leur abonnement à un périodique, le prix de celui-ci monte, réduisant encore plus les achats et favorisant une politique d’emprunt. Mais, à un certain moment, le périodique cesse d’être viable en tant que publication et n’est ainsi plus du tout disponible sous sa forme classique. De même, si l’estimation des ventes de livres d’un certain genre (des monographies sur l’archéologie par exemple) descend au dessous d’un certain seuil, les livres ne sont pas publiés. Or, l’emprunt dépend de l’acquisition, et si beaucoup de bibliothèques annulent leurs abonnements de périodiques ou n’achètent plus de monographies, il existera de moins en moins de documents auxquels on pourra avoir accès.
Certains, comme Widdicombe (25), se réjouissent de ces résiliations ; selon lui, les cadres universitaires de son institution, lorsqu’ils n’ont plus eu leur propre collection de documents, ont dû trouver leurs références dans des sources secondaires et en sont ainsi venus à utiliser un plus large éventail de documents qu’auparavant. Mais, aussi intéressant que soit indubitablement cet effet, il ne compense pas la perte du butinage et n’est qu’une mesure à court terme. C’est en fait un acte égoïste et cela s’effectuera, à long terme, à son propre détriment comme à celui des autres.
Certains prétendent que l’accès électronique réglera ces problèmes, du moins pour les périodiques. On a aussi pensé aux « livres à la demande » : des ouvrages à marché réduit pourraient être stockés électroniquement et imprimés rapidement à la demande. Cependant, les éditeurs (et les serveurs) doivent rentrer dans leurs frais. Or, les coûts d’accès à distance des périodiques peu utilisés ne seront pas bas, même si les coûts d’édition se trouvent grandement réduits dans un système tout électronique, où les coûts du papier, de l’impression et de la reliure sont supprimés. Les éditeurs ne renonceront pas facilement aux bénéfices que leur procurent les imprimés – périodiques et monographies. Même s’ils acceptent avec plaisir une source supplémentaire de revenu provenant de la vente d’articles séparés – ils commencent déjà à en profiter –, il est peu probable qu’ils abandonnent l’édition papier, à moins qu’ils ne puissent tirer un plus grand profit de la fourniture à la demande. Un éditeur peut bien sûr offrir des documents à la demande à un prix inférieur au prix réel pendant une courte période, afin de s’emparer du marché, mais seuls les éditeurs les plus prospères pourraient le faire pendant plus de quelques mois.
Selon Steele (21), les éditions Elsevier Science ont déclaré que les abonnements à des périodiques électroniques ne seraient pas moins chers que les produits sur papier, du moins dans un premier temps. L’une des raisons pour lesquelles les éditeurs s’intéressent à l’accès électronique est que celui-ci leur donne un plus grand contrôle de l’utilisation qui est faite des documents. En fait, ils peuvent fixer les prix qu’ils veulent dans les limites définies par le marché.
Il est à craindre que les bibliothèques tombent dans le piège suivant – qui n’est pas, à mon avis, délibérément tendu par les éditeurs : si les bibliothèques annulent leurs abonnements aux périodiques, l’accès électronique deviendra l’unique moyen d’accès possible et les bibliothécaires seront alors entièrement livrés aux mains des éditeurs. On ne connaît pas le coût d’un système « livres à la demande », mais il ne sera certainement pas bas.
On peut espérer que des considérations commerciales rendront ce scénario peu probable ; car si les prix d’accès sont trop élevés, les articles ne seront pas consultés. Cependant, s’il y a une certaine vérité dans cette dernière assertion, on a pu constater, à de nombreuses reprises, que lorsqu’on a vraiment besoin d’un document, on accepte de payer pour l’obtenir ; et si la bibliothèque ne peut pas le payer, ce seront l’utilisateur ou le département de l’université concernée qui le feront – ces mêmes départements qui défendent leur propre budget et plaident peu pour un financement décent de la bibliothèque.
C’est déjà ce qui se produit. Les utilisateurs commencent à se passer de la bibliothèque, quand celle-ci ne peut ou ne veut pas leur fournir ce qu’ils demandent. Un marché parallèle s’est créé.
Les systèmes alternatifs
La thèse selon laquelle le stockage et la fourniture d’articles devraient être retirés des mains des éditeurs – ou jamais mis entre leurs mains – et placés sous la responsabilité des institutions qui en offrent le financement, a reçu un certain soutien aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Ce serait probablement une sorte de consortium d’universités – ou plutôt de consortiums nationaux, puisqu’il est difficile d’imaginer, pour un tel système, une échelle plus grande que l’échelle nationale. Le contrôle et le management d’un tel système – ou de plusieurs systèmes – seraient impressionnants, en dehors du contrôle de qualité que le système actuel permet dans ces ensembles d’articles référencés que l’on nomme périodiques. En fait, ayant à l’esprit les fortes pressions qui existent dans de nombreux pays pour confier au secteur privé tout ce qui peut être sous-traité, si les universités mettaient en place un tel système, cela signifierait qu’elles seraient candidates à la privatisation.
Une forme de possession – sorte de possibilité intermédiaire entre l’accès électronique aux sources éloignées et l’acquisition conventionnelle de périodiques papier –, consisterait à acquérir ou à s’abonner à des CD-Rom plein texte. ADONIS, qui propose 600 périodiques biomédicaux sur CD-Rom (5), en est un exemple notoire. C’est bien moins cher que l’achat des versions papier, mais la rentabilité du système dépend du nombre de titres réellement demandés ; dans ce cas-là aussi, la possibilité de contact et de butinage est fortement réduite. Un bien meilleur système consisterait à acquérir des CD-Rom sur mesure, avec des titres sélectionnés pour répondre aux demandes de chaque bibliothèque, mais ce serait bien plus onéreux.
Une autre solution serait de se construire sa propre collection à partir d’une copie numérisée de chaque article emprunté à la demande d’un utilisateur. Mais sans parler des problèmes de droits d’auteur, la probabilité qu’un même article soit demandé plus d’une fois est très faible. Ceci est vrai non seulement au niveau local comme l’ont montré des études effectuées il y a quelques années à Loughborough, mais également, aussi étonnant que cela puisse paraître, à l’échelon national, et on peut donc douter de l’intérêt de scanner des articles et de constituer un fichier en vue d’un usage hypothétique.
Il existe diverses façons de baisser le prix des publications, qui, toutes, joueraient en faveur d’une politique d’acquisition. Parmi ces solutions, citons des revues de résumés – lancées il y a vingt ans, elles ont échoué parce que cela ne plaisait pas aux auteurs –, des mini-impressions, dont la réduction permet quand même une lecture à l’œil nu, et des périodiques tabloïds, imprimés sur papier bon marché au format des journaux tabloïds – système qui pourrait susciter des abonnements individuels – et qui seraient également édités sous forme électronique pour un stockage permanent (15).
Les limites des acquisitions
Quelque généreux que soit le financement local, il n’est cependant jamais suffisant pour satisfaire les besoins des utilisateurs. Comme il a été dit précédemment, la disponibilité des documents dans une bibliothèque est souvent insuffisante, du fait du pourcentage des documents demandés qui figurent dans le fonds de la bibliothèque et de l’accès à ceux-ci. Cependant, une amélioration de 10 % de l’efficacité du fonds – par opposition à la disponibilité des documents possédés – nécessiterait probablement une augmentation des acquisitions de 30 % ou plus. En d’autres termes, l’accroissement des acquisitions a un effet décroissant.
On a montré aussi que, quel que soit le soin apporté par les bibliothèques à la sélection des acquisitions, une forte proportion des livres et périodiques acquis sont rarement ou jamais utilisés. On peut en dire autant des livres achetés pour les étudiants. Des études menées dans trois bibliothèques universitaires de Grande-Bretagne sans gros moyens financiers ont indiqué qu’environ 30 % de ces ouvrages n’étaient pas empruntés dans les années suivant l’acquisition – la consultation sur place n’a cependant pas été prise en compte (13).
C’est encore plus vrai pour les documents acquis pour les chercheurs. L’étude bien connue de Pittsburgh (10) n’est pas la seule à montrer qu’une grande partie des fonds des bibliothèques de recherche ne sont jamais utilisés. Le problème posé par une sélection mal adaptée concerne moins les périodiques que les monographies, puisqu’on peut estimer avec précision l’utilisation future des périodiques, en s’appuyant sur leur utilisation antérieure.
La sélection des monographies est en partie un acte de foi ; et on gaspille beaucoup d’argent pour l’achat, le traitement et le stockage de livres qui resteront inutilisés. Les partisans de l’accès à distance pourraient utiliser ces arguments pour défendre leur cause : puisqu’il est impossible de sélectionner avec exactitude, on rendrait un meilleur service aux usagers si les documents étaient obtenus à la demande et si l’argent « gaspillé » était utilisé pour des documents réellement nécessaires.
On pourrait aussi, à l’inverse, conclure que, puisque la sélection est imparfaite, puisque de nombreux documents sont trouvés en butinant, il est d’autant plus important qu’il y ait un large éventail d’ouvrages pour permettre aux utilisateurs de choisir, ces arguments plaidant en faveur d’un budget d’acquisition suffisamment important. De toute façon, comme l’indique Gorman (8) en défendant son point de vue contre la bibliothèque virtuelle, les statistiques d’utilisation par document, dans certains fonds très importants, sont souvent très élevées. Gorman estime aussi que le nombre des utilisations par an équivaut à plus de 50 % des volumes des collections des bibliothèques de l’Université de Californie – ceci ne signifie pas bien sûr que 50 % des collections courantes soient utilisés.
Accès aux documents courants et anciens
Il s’agit de bien distinguer, ce que l’on a peu fait jusqu’à présent, l’accès et l’utilisation des documents récents et ceux des documents plus anciens. Cette distinction est beaucoup plus importante en sciences exactes qu’en sciences humaines, les sciences sociales se situant entre les deux. Même si la littérature scientifique ayant une certaine ancienneté est encore de quelque utilité, c’est rarement le cas et, si cela arrive, c’est, la plupart du temps, tout à fait par hasard. La majorité des documents est périmée – bien que ce soit moins vrai des sciences descriptives de la vie, comme la botanique – et leur volume est si vaste que le butinage devient quasiment impossible.
Ce dont on a besoin dans l’idéal, c’est de combiner une mise en libre accès d’une grande quantité de documents récents avec un accès rapide et efficace aux documents plus anciens. La plupart des bibliothèques offrent aujourd’hui une sélection de documents à la fois récents et anciens, tout en proposant aussi un accès à des bases de données et à des systèmes de fourniture de documents. La sélection baisse au fur et à mesure que se réduisent les budgets d’acquisition, confrontés à l’inflation et à la croissance documentaire.
Une politique intelligente consisterait pour les bibliothèques à se débarrasser du stock de leurs documents datant de plus de trois ou quatre ans, libérant ainsi de vastes espaces, et à offrir dans la bibliothèque des documents bien plus récents. Pour que ce soit possible, il serait nécessaire qu’une collection importante de documents anciens soit accessible au public dans une institution capable de les fournir efficacement et rapidement. Cette collection ne devrait pas forcément se trouver dans le pays du demandeur, bien qu’il soit plus rapide et moins cher d’obtenir des monographies en prêt – contrairement aux périodiques – à l’intérieur de son propre pays. Le centre de fourniture de documents de la British Library, dont les services sont présents à l’échelle mondiale, représente l’institution qui se rapproche le plus d’une telle collection. Le BLDSC doit, bien sûr, acquérir constamment des documents, à la fois parce qu’il existe une forte demande et afin d’être sûr que ceux-ci seront disponibles quand ils ne seront plus d’actualité.
Ce dernier point – la nécessité que des documents soient disponibles quand ils ne sont plus d’actualité – est important. Il est à craindre qu’une fois que les documents publiés ne seront plus entre les mains du public, ils cesseront un jour d’être disponibles, soit parce que l’éditeur cesse son activité – cela arrive –, soit parce qu’il ne veut plus les garder disponibles – ce à quoi il n’est pas obligé –, sans véritable raison, puisque le stockage électronique est assez bon marché. De nombreuses discussions sur l’archivage des documents uniquement sous forme électronique ont eu lieu, mais jusqu’à présent aucune solution n’a reçu l’agrément général.
Comment pourrait fonctionner économiquement un système comprenant l’acquisition de documents récents et l’accès à des documents plus anciens ? Les gains de place très substantiels feraient faire des économies et sans aucun doute très appréciés des autorités de tutelles, mais ils ne résoudraient pas le problème des dépenses courantes. On pourrait aussi économiser de l’argent en évitant de relier la plupart des périodiques, puisqu’on s’en débarrasserait après quelques années. Les coûts de maintenance du stock seraient également réduits. Ces économies libéreraient de l’argent mais pas énormément. On aurait sans doute besoin de plus d’argent pour acheter un plus grand nombre de documents et aussi – mais il s’agirait d’une somme moins importante – pour payer le personnel spécialiste du traitement des documents.
Quels sont les choix possibles ? Seulement deux solutions se présentent : l’une consiste pour les utilisateurs à s’appuyer davantage sur la fourniture à distance, soit en ligne, soit sous forme de photocopies ou de prêts. Mais, comme on l’a déjà expliqué, ceci est non seulement moins satisfaisant, mais peut s’avérer plus onéreux, non parce que les coûts peuvent ne pas être supportés par la bibliothèque, mais parce qu’ils le seraient par l’utilisateur ou le département de l’université. Comme les coûts deviendraient visibles, la demande diminuerait certainement. Une partie de la réduction viendrait alors des demandes « inutiles », mais il n’est pas facile de savoir à l’avance ce qui est inutile. L’autre solution s’avère encore pire, en exposant les utilisateurs au risque de ne pas recevoir un service approprié et que leurs recherches ou études en soient sérieusement limitées, voire faussées.
En fait, il devrait y avoir une combinaison de ces deux solutions. Car, dépendre uniquement de la fourniture à distance se révélerait plus coûteux si les utilisateurs demandaient autant de documents qu’ils le feraient si les documents étaient disponibles sur place. Cette supposition est peu probable, parce que les documents ne seraient pas disponibles, et soit les utilisateurs en ignoreraient totalement l’existence, soit ils ne feraient pas l’effort de les demander. On pourrait arguer du fait que s’ils n’étaient pas prêts à faire cet effort, c’est qu’ils n’étaient pas véritablement intéressés. Mais l’expérience ne prouve pas que la réticence à faire un effort soit toujours un bon indicateur de l’absence de besoins. L’usage s’en trouverait ainsi réduit, compte non tenu des restrictions imposées sur les dépenses liées à l’accès à distance. Il en résulterait une détérioration de la recherche et de l’enseignement. Si des restrictions étaient imposées, les effets en seraient bien sûr encore plus importants.
En conclusion
Bien sûr, les bibliothèques ont besoin de pouvoir à la fois avoir accès à l’information et acquérir des documents. Personne ne veut revenir à une époque où le fait de demander un document à une autre bibliothèque était une constatation d’échec. Il s’agit de trouver l’équilibre entre ces deux tendances et la politique générale à poursuivre.
L’accès peut remplacer de façon acceptable la possession de documents anciens, mais pas la majorité des documents récents. Les bibliothécaires se sont trop facilement laissés séduire par la rhétorique des prophètes de la technologie ou ont trop passivement succombé aux pressions qui leur étaient imposées 3. Les prophètes n’ont pas toujours raison – et ceux qui ont raison ne sont généralement pas crus –, et je crois que beaucoup se trompent dans leurs estimations des prix de revient, et font preuve de naïveté ou d’hypocrisie en ignorant les besoins des utilisateurs et les effets que causeraient probablement leurs visions, si elles devenaient réelles. Non seulement l’empereur portera des vêtements virtuels, mais il sera lui-même un empereur virtuel.
L’accès ne sera pas nécessairement moins cher dans l’avenir, et il serait peu sage de tabler sur cette supposition ; et je crois que, pour certaines fonctions importantes, celui-ci ne pourra pas remplacer la page imprimée. Je peux comprendre et éprouver de la sympathie pour les bibliothécaires qui n’ont pas d’autres choix que d’effectuer des coupes sombres dans leurs acquisitions, mais j’en éprouve peu pour ceux qui, non seulement sont de connivence avec ceux qui sabrent les budgets, mais vont même jusqu’à les devancer en opérant eux-mêmes des coupes sombres, considérant apparemment le retrait de leurs parties vitales comme preuve de leur virilité. C’est une chose que d’être poussé dans un marécage, c’en est une autre que de s’y précipiter de son propre chef.
Le principe même des universités est notamment de promouvoir les études et la recherche et si elles ne peuvent pas accomplir leur tâche efficacement, cela signifie qu’elles ont échoué dans leurs missions. Ce n’est pas comme si de gigantesques sommes d’argent étaient en jeu. Au Royaume-Uni, la dépense consacrée aux bibliothèques représente en moyenne moins de 3 % des dépenses des universités, et les acquisitions moins de 1 %, alors que les salaires des enseignants constituent 70 % du budget. Si la part du budget consacrée aux bibliothèques s’élevait à 5 %, celles-ci s’en trouveraient transformées sans que l’enseignement ou d’autres secteurs de dépenses ne soient touchés. Le coût d’une bibliothèque bien achalandée peut certes monter plus vite que l’inflation, mais ce coût n’est pas si élevé. Un pays qui déclare qu’il ne peut s’offrir des bibliothèques dignes de ce nom devrait avoir honte de s’appeler pays développé.
En fait, les bibliothécaires pourraient facilement défendre leur cause pour obtenir des budgets plus importants, en s’appuyant à la fois sur des arguments économiques et sur des questions de principes. Je ne doute pas que l’avenir de l’enseignement supérieur (et peut-être aussi de l’enseignement secondaire) tende en général vers l’autogestion du savoir, qui sera imposé par les contraintes financières. Les technologies de l’information le permettent déjà, et sa qualité le rend souhaitable. Au lieu d’avoir des bibliothèques qui soutiennent l’enseignement, nous aurons des enseignants qui soutiendront les ressources en documentation et en information – ce qui inclut bien sûr les bibliothèques (16). Ce phénomène commence déjà à apparaître. L’apprentissage tout au long de sa vie plaide également en faveur de l’accroissement des dépenses documentaires. On peut se demander pourquoi les bibliothécaires ne défendent pas cette cause.
Dans le passé, j’ai défendu celle des « bibliothèques plus minces, bibliothèques en meilleure forme ». Il n’y a pas de contradiction entre ce point de vue, dont je suis toujours convaincu, et le contenu du présent article. La minceur ne signifie pas l’amaigrissement et la bonne forme implique d’être en mesure d’effectuer ce qui est nécessaire, ce qui, dans le cas des bibliothèques, consiste à fournir ce dont les utilisateurs ont besoin, de la façon la plus efficace possible. Les bibliothèques ont besoin de faire fondre la graisse superflue, c’est-à-dire leurs documents les plus anciens, mais pas de perdre le muscle que des documents d’actualité leur donnent.
Quelques bibliothèques risquent de combiner la boulimie – l’accumulation d’autant de documents anciens qu’elles sont capables d’absorber – avec l’anorexie – la privation de protéines et de vitamines nouvelles. On considère généralement que, contrairement à l’anorexie, la famine ne s’auto-impose pas, mais ce n’en est pas plus agréable aux utilisateurs pour autant.
Novembre 1995