La conservation
principes et réalités
Attendu, ce livre l'était à plusieurs titres. Avec la multiplication, récente finalement, d'actions dirigées vers le patrimoine écrit et graphique et accompagnées de bibliographies ponctuelles, une synthèse, bilan ou somme comme on voudra, s'imposait qui pût valoir comme vade-mecum du chargé de conservation. Par ailleurs, les premières conclusions du chantier de la Bibliothèque nationale de France (BNF), renouvelant sur bien des points théories et pratiques établies, à grands renforts de moyens exceptionnels, se devaient d'être largement diffusées. Enfin, à la lumière des deux points précédents, une redéfinition bibliothéconomique de la conservation, dépoussiérée et opérante dans le cadre de nos modernes médiathèques, pouvait être proposée. La tâche était donc ardue, mais, disons-le d'emblée, les trois objectifs sont atteints, même si c'est de façon inégale.
Le principal mérite de Jean-Paul Oddos est sans doute d'avoir su assurer la cohérence d'une démarche avant tout collective. Devant l'ampleur et la diversité du problème, force était d'avoir recours à une large équipe (18 personnes), principalement basée à la BNF (11).
Le risque était alors d'accumuler les redites agaçantes, voire les discours contradictoires : rien de tout cela, malgré quelques dérapages (difficile désormais d'ignorer l'existence de l'Institut français pour la reliure des bibliothèques, cité par trois auteurs différents) et grâce à un plan très simple en deux parties principales, nettes et claires, et nombreuses sous-parties rapides et nerveuses.
Des principes...
Deux parties donc structurent l'ouvrage en illustrant de fait le judicieux sous-titre « Principes et réalités ». Avouons-le tout net, la première partie, théorique, se révèle surtout convaincante comme développement du postulat qui commande la démarche : la conservation replacée dans une bibliothéconomie globale et non plus traitée comme une spécialité annexe, notamment en « faisant reposer la pyramide sur son socle (les traitements préventifs) et non sur sa pointe (la restauration) » (p. 98). Quelques esprits grincheux ne voudront y voir que le rattachement du service équipement à la section fonds anciens (et vice versa) : il n'en est rien. La démarche globale, systématique, intégrée et quantitative remplaçant des pratiques éclatées, d'urgence et qualitatives, est riche de promesses. Nul doute que son premier intérêt sera d'amener les responsables de conservation-préservation à s'interroger sur leurs pratiques actuelles et d'inciter à la mise en oeuvre d'actions plus largement planifiées.
Ne soyons pas naïfs cependant, car le risque est ici bien connu : ne pas avoir les moyens de sa réforme et s'en tenir à un irritant « y'a qu'à ». Dans l'ouvrage lui-même, quelques passages trop systématiques n'échappent pas à cet écueil. Sur le terrain, plus concrètement, l'absence, à l'heure actuelle, de véritables structures pour la conservation risque de compromettre les projets les mieux montés, si tant est que l'espoir d'un échelon régional a fait long feu et qu'il faudra s'en remettre au niveau national...
Ces quelques interrogations institutionnelles ne doivent pas cependant masquer les apports qui ne sont pas seulement théoriques constitués, entre autres, par les passages relatifs à la « conservation comme système diversifié et cohérent » ou encore à « l'approche économique de la conservation ».
... aux réalités
La deuxième partie de l'ouvrage, plus longue et plus dense, nous amène elle sur le terrain, ou plutôt sur les terrains, les auteurs multipliant ici les points de vue pour ne laisser dans l'ombre aucun aspect du problème.
Les premiers chapitres offrent un état quasi définitif de questions certes connues (les conditions de conservation, le traitement physique initial, la maintenance des collections), mais largement renouvelées même si, comme il est dit p. 225, « le mot peut sembler plus nouveau que la chose ». Profitons-en pour souligner le caractère toujours pragmatique des différents textes mettant en avant graphiques, tableaux, plans et algorithmes de façon très concrète et poussée (parfois trop, cf. p. 187, « la représentation simplifiée de la charte psychométrique », qui, malgré sa simplification, risque d'échapper au commun des mortels).
Pour le reste, les interrogations qui subsistent aujourd'hui encore sur les secteurs moins souvent fréquentés comme les traitements de masse ou les transferts de supports font l'objet d'exposés des plus clairs et précis, de même que les anciens (la restauration) et les nouveaux (les documents audiovisuels) classiques du genre.
De façon un peu déprimante, l'ouvrage se termine par les accidents et programmes d'urgence. Déprimant à double titre : là encore, aucune des catastrophes menaçant nos fonds ne nous est épargnée ; mais surtout l'impréparation typiquement française à ce type d'événements y est justement dénoncée. Sans doute devrons-nous dans bien des bibliothèques mettre ce livre en pratique par sa fin.
C'est là, je crois, l'apport essentiel de ce travail : proposer à la fois une approche théorique renouvelée comme une approche pratique immédiatement applicable. Aussi faut-il déplorer, avec véhémence, l'absence d'un index qui aurait fait de ce bel effort collectif la bible du domaine.