Mémoire pour demain

mélanges en l'honneur de Albert Ronsin, Gérard Thirion, Guy Vaucel

par Jean-Pierre Brèthes
[Textes réunis par André Ansroul]. Laxou : Groupe Lorraine de l'Association des bibliothécaires français, 1995. - 518 p. : ill. ; 25 cm. ISBN 2-900177-11-11, 195 F

Quel beau titre, et heureusement choisi ! Car s'il est vrai que les bibliothèques sont sans doute « toute la mémoire du monde », à quoi servirait cette mémoire si elle n'était que conservatoire d'un passé à jamais défunt ou simple mise en boîte d'un patrimoine figé, si elle ne pouvait pas nous projeter dans l'avenir, afin d'agir plus efficacement, d'améliorer des pratiques inadéquates ou surannées, de vaincre des routines ?

Trois fortes personnalités

A cet égard, on ne peut qu'être comblé par les trente-cinq contributions ici réunies, dans un volume de mélanges dédié à trois fortes personnalités de notre profession. Elles témoignent avec vigueur du renouveau des études bibliothéconomiques amorcé il y a une quinzaine d'années (et qui s'accélère brusquement). Tous trois Lorrains, Albert Ronsin, Gérard Thirion et Guy Vaucel 1, à qui sont dédiés ces mélanges, méritaient bien un tel hommage : ils ont été initiateurs, tant dans le domaine de la recherche ou des idées innovantes que dans les réalisations.

Le volume, imposant par sa taille, est divisé en deux parties. La mémoire regroupe l'histoire du livre et de la lecture, la bibliophilie, les sociétés savantes. Les institutions affichent des contributions sur les bibliothèques universitaires, les bibliothèques de lecture publique, les partenaires des bibliothèques. En fait, les thèmes se recoupent, et on trouvera ici quatre types d'articles :

- des études historiques : histoire du livre, une biographie d'un conservateur du XIXe siècle, la formation professionnelle à Nancy, la mise en place de la Bibliothèque européenne du roman populaire de Laxou ...

- des mises au point sur l'état d'une question - la bibliographie lorraine, la presse périodique locale (almanachs, feuilles d'annonces, feuilles d'opinion) et son rôle irremplaçable comme source documentaire, les relations des bibliothèques universitaires avec leur administration centrale, la coopération, le contrôle de gestion ...

- des réflexions sur des problèmes actuels - la bibliographie, les bibliothèques universitaires, le réseau local de bibliothèques (à partir de l'exemple de l'agglomération nancéienne), les musées techniques et scientifiques…

- des récits d'expérience vécue - les constructions de bibliothèques universitaires de 1945 à 1972, les sociétés savantes, les souvenirs des débuts d'un jeune conservateur dans une BCP...

Une diversité de bon aloi

L'ensemble est moins disparate qu'il n'y paraît. On passe aisément des enjeux des publications scientifiques à la bibliophilie, du bibliothécaire-savant typique du XIXe siècle (et Philippe Hoch nous rappelle opportunément que « les bibliothèques ont besoin de savants en leur sein ») à un rappel historique utile des réseaux de lecture publique rurale du XIXe siècle à la création des BCP, des problèmes de formation professionnelle à une défense et illustration d'un défunt périodique corporatif qui agita beaucoup la profession...

On ne peut tout citer. Mais à lire certaines pages, on se dit que la lecture publique revient de loin : quand on lit « pour parer à la demande de romans policiers (et de la "Série noire" que je refusais de répandre), nous recourions aux romans d'espionnage » 2, on comprend mieux que dans une BCP lorraine voisine, Gérard Briand débutant constate que les rares romans policiers « étaient subrepticement repris et remplacés ...par des livres de la classe 2 » par son prédécesseur, quand il faisait des tournées 3. Oui, vraiment, il fallait créer la Bibliothèque européenne du roman populaire, et il faut maintenant la soutenir !

On notera par cet exemple qu'on ne s'ennuie pas toujours à la lecture de ces Mélanges, tant il est vrai qu'on peut très bien apporter de l'information sérieuse tout en étant léger ou drôle : nous conseillons particulièrement de ce point de vue l'article de Hubert Collin, Du bon usage des sociétés savantes, leçons d'une expérience (p. 227-247). Au total, un ouvrage roboratif, extrêmement bien présenté, où il y a beaucoup à apprendre, à recommander chaudement.

  1. (retour)↑  A la fin de sa carrière, Albert Ronsin était directeur de la bibliothèque municipale et conservateur du Musée municipal de Saint-Dié. Gérard Thirion était inspecteur général des bibliothèques, après une longue carrière notamment à la bibliothèque universitaire de Nancy. Guy Vaucel termina sa carrière comme directeur de la bibliothèque municipale de Nancy.
  2. (retour)↑  Suzanne DELRIEU, « Les premières années de la lecture publique rurale dans le Bas-Rhin », p. 152. Quand on connaît la très médiocre qualité du roman d'espionnage, à l'époque sous-produit du roman policier, on se pose des questions.
  3. (retour)↑  Gérard BRIAND, « Bibliothèques publiques et politiques locales, premiers contacts : ouverture romanesque ». Même en faisant la part de la plaisanterie dans cette contribution hilarante, il y a sans doute quelque chose de vrai.