L'internet professionnel

témoignages, expériences, conseils pratiques de la communauté enseignement & recherche (choix, installation et utilisation de logiciels sur Macintosh, PC et stations Unix)

par Yves Desrichard
Paris : CNRS éd., 1995. - 448 p. ; 24 cm. ISBN 2-271-05256 - 190 F

Les ouvrages consacrés au réseau Internet sont désormais si nombreux qu'il devient difficile de faire oeuvre originale pour en rendre compte. L'Internet professionnel, même s'il présente avec clarté les principaux services qu'on peut attendre du « réseau des réseaux », offre nombre de perspectives et de développements spécifiques qui devraient lui assurer une place à part dans l'abondante bibliographie sur le sujet.

Un éclairage réaliste et concret

Dès les introductions de l'ouvrage, « l'éclairage se veut réaliste et concret ». Conçu par et pour des professionnels français du réseau, l'ouvrage ne verse pas dans l'apologétisme tous azimuts : « Pour la recherche, le réseau est un outil ».

Pour les auteurs, Internet s'imposera face aux réseaux de télécommunications traditionnels, et aux services franco-français comme le Minitel. L'arrivée d'opérateurs privés sur un réseau largement financé, jusqu'à présent, par les fonds publics, est inéluctable, et s'accompagnera, sur le plan technique, du passage à de plus hauts débits, et sur le plan des contenus, du développement d'applications ludiques, plus particulièrement destinées au grand public, et de tarifications spécifiques à un réseau aux tendances commerciales plus affirmées.

Y a-t-il pour autant le risque d'une saturation des réseaux ? La puissance publique doit-elle financer les évolutions techniques et intellectuelles nécessaires ? A ces deux questions fondamentales, et à rebours de bien d'autres (cf. le rapport Théry), les auteurs répondent non : la montée en charge des infrastructures, basées sur la fibre optique et les protocoles ATM (= Asynchron Transfer Mode), devrait permettre un développement graduel et en fonction de la demande. Pour le financement, Christian Huitema, président de l'Internet Architecture Board, rejette l'idée que l'État doive financer plus avant Internet et les fameuses autoroutes de l'information, dont Internet peut être considéré comme le prototype : « L'exemple de l'Internet devrait inciter à plus de réalisme », écrit-il, stigmatisant à sa manière les effets d'annonce volontaristes entendus ici ou là ces deux dernières années.

Un développement erratique

Sa remarquable introduction permet de constater que ce ne sont pas forcément les solutions les plus performantes qui l'emportent, mais surtout les plus simples, les plus souples et les plus portables, comme en témoigne la résistible ascension des protocoles de communication basés sur la normalisation en couches OSI (= Open System Interconnection) par rapport aux protocoles utilisés sur Internet (FTP = File Transfer Protocol, et autres), plus frustes mais plus immédiatement utilisables. Ainsi, on peut comparer le développement parfois erratique ou incontrôlé d'Internet avec les ambitieux, raisonnables et très planifiés programmes développés, par exemple, par la Direction générale XIII des Communautés européennes...

Le corps de l'ouvrage est constitué par la présentation des services « traditionnels » d'Internet. On a parfois l'impression que chaque chapitre est traité comme un article de journal avec un gros titre « accrocheur », un bandeau, des titres de paragraphe, des encadrés... que viennent compléter graphiques, tableaux récapitulatifs et renvois aux autres chapitres. Il existe peu de redondances entre les différents chapitres, preuve d'un soigneux travail d'édition pour un ouvrage corédigé par plus de cinquante auteurs, et élaboré en grande partie grâce aux ressources de communication du réseau.

Les services vus par le consommateur et le producteur

Les autres parties de cet ouvrage évoquent, entre autres, les services Internet « vus du consommateur » et « vus du producteur » : démarche bienvenue, où l'on n'hésite pas à dire « je » pour rendre compte avec pragmatisme et lucidité d'expériences concrètes, qui permettent d'appréhender « Internet avec un certain recul... », dans une perspective « anti-mythes ». Ainsi, on retiendra que « l'Internet est une grande ville » et que, parmi les « 10 conseils pour y survivre », il faut apprendre l'anglais... et à écrire !

Autre évocation qui laissera perplexe, celle, par le directeur général du CNRS, de la nécessité de « conserver [par-delà l'utilisation d'Internet] des lieux d'échanges, des matériels communs... des bibliothèques et [des] cafétérias » : car, « la bibliothèque, si elle est bien faite dans les laboratoires, permet de trouver ce que l'on n'est pas allé chercher », tandis que « tout ce que l'on se dit dans les files d'attente [des cafétérias] favorise une communication informelle et le décloisonnement ».

Par contre, on trouvera curieuse l'opposition systématique ménagée entre la recherche scientifique d'une part et le secteur privé de l'autre : « Qu'une phase commerciale se soit insérée dans tout ce processus [de montage du savoir] est le produit de contingences historiques : en aucun cas il n'est relié à la logique du processus de la recherche lui-même » : il y a là une naïveté qui fait fi, non seulement de l'évolution des « contingences historiques », mais aussi des imbrications étroites entre volontarisme public et intérêts privés, par exemple aux Etats-Unis, « berceau » d'Internet. Il est vrai que l'existence même d'un réseau comme Renater, où l'on distingue les « élus » du secteur public... et les autres, traduit bien ce credo sans doute spécifiquement français.

Un Internet à la française

C'est, sans doute, dans ce type d'approche qu'il faut chercher les prémices d'un « Internet à la française » dont, par-delà la querelle sur les caractères accentués, l'ouvrage s'efforce de dessiner les contours. L'expérience est stimulante, qui montre que tout le monde, ou presque, peut être tour à tour consommateur et producteur sur le réseau, même si, dans ce dernier cas, il faut savoir que « si créer un serveur est une tâche relativement simple et généralement assez enthousiasmante, on ne peut pas en dire autant de sa maintenance et de sa mise à jour ».

L'intérêt de l'ouvrage est dans ces euphémismes. Il propose, par ailleurs, les « bonnes adresses » (Internet... et autres) dans les principaux domaines de la connaissance, des éléments bibliographiques qui sont souvent des fichiers à télédécharger, ainsi que des modes d'emploi simples, mais pratiques des principaux logiciels du domaine public utiles pour accéder au réseau et l'utiliser.