Bilan de l'expérience ION 1990-1994
Corinne Ceroni
Monique Gingold
ION (Interlending OSI Network) a été un réseau de prêt entre bibliothèques en mode OSI, OSI (Open System Interconnexion) étant le modèle normalisé en sept couches de l'interconnexion des systèmes ouverts. ION a été un projet pilote qui, entre 1990 et 1994, a uni les efforts de la France, de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas 1, et était co-financé par la DG XIII de la Commission européenne et les partenaires, pour un budget prévisionnel de 2 579 000 écus.
L' objectif de ce projet pilote était triple :
- réaliser l'interconnexion des trois réseaux de prêt informatisés de ces pays, afin de développer des services de messagerie et de prêt entre bibliothèques sur le plan international ;
- améliorer l'efficacité des services de prêt international entre bibliothèques ;
- démontrer les possibilités des protocoles OSI de communication dans un environnement en mode message, pour le prêt entre bibliothèques, par l'interconnexion de réseaux informatiques hétérogènes.
En outre, ION a permis de mettre en oeuvre pour la première fois les normes de bibliothèques ILL (Inter Library Loan) ISO 10160/10161 2 pour le prêt entre bibliothèques et SR (Search and Retrieve) ISO 10162/10163 3 pour la recherche documentaire. L'implémentation de SR n'a concerné que le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
L'interconnexion a été réalisée en décembre 1993 et les services de prêt internationaux ont fonctionné de janvier 1994 à janvier 1995, date à laquelle les trois partenaires ont mis fin à l'expérimentation.
Mise en place du système
Trois phases ont été définies pour mener ce projet à terme :
- une première phase durant laquelle les partenaires ont analysé les systèmes existants, défini les spécifications fonctionnelles détaillées qui allaient permettre aux trois systèmes de communiquer et choisi les bibliothèques tests ;
- une seconde phase consacrée aux développements techniques. Durant cette période, chaque pays a effectué des développements spécifiques sur son application nationale. Parallèlement, et suite à une procédure classique d'appel d'offres, la société AEG/MODCOMP a été chargée des développements communs qui allaient constituer l'application normalisée. L'installation et les tests ont également été réalisés au cours de cette phase ;
- une dernière phase enfin qui a consisté en l'évaluation du système par les bibliothèques tests.
Un projet d'interconnexion
L'objectif principal était de réaliser l'interconnexion de trois réseaux de prêt entre bibliothèques sans toutefois modifier en profondeur les applications existant dans chacun des pays. En France, l'utilisateur final devait percevoir les réseaux étrangers comme une extension au réseau PEB. Le principe d'utilisation devait rester similaire à celui du PEB.
Si les services propres à la gestion de la fourniture de document à distance étaient plus ou moins identiques d'un pays à l'autre, les systèmes et les formats ne l'étaient pas. Pour permettre l'échange de données entre les trois réseaux, les partenaires ont défini un niveau de services, des paramètres communs ainsi qu'un protocole de communication. Les normes ISO ILL 10160/10161 définissent un ensemble de services relatifs au prêt entre bibliothèques en mode OSI. Parmi les 19 services ILL définis dans la norme, seuls cinq ont été retenus, trois pour l'utilisateur final - le service de demande de fourniture, les services de réponse positive et de réponse négative - et deux pour les administrateurs du système ION, un service de message et un service de rapport d'erreurs. La norme spécifie des services, mais également les champs qui les caractérisent.
Les trois pays ont défini un sous-ensemble commun de services ainsi que les champs propres à chacun d'entre eux, notamment en termes de longueur et de contenu. C'est à partir de ces spécifications détaillées, que l'application normalisée a pu être développée afin que les trois réseaux puissent communiquer.
Les protocoles de communication utilisés ont été X 25 pour le réseau de transmission et X 400 pour la messagerie. Parler un langage commun a supposé l'installation dans chacun des pays d'un « frontal de communication », intermédiaire indispensable entre chaque système de prêt national, capable de recevoir et d'expédier les services ILL et chargé de recevoir, de stocker et d'expédier les services entrants et sortants au format normalisé ILL. Entre chaque frontal de communication et chaque application de prêt national, un outil permettait d'aller récupérer les demandes sortantes au format national, de les mettre au format d'échange retenu, de les transmettre au frontal, lequel les stockait et les envoyait sous forme de message X 400 au partenaire choisi, et inversement.
Ce frontal contenait par conséquent l'ensemble des services échangés et était de fait une base de référence pour l'établissement des statistiques.
Expédition et réception d'une demande
ION devait être utilisé en dernier recours. La demande circulait en premier lieu dans le réseau PEB, l'utilisateur faisant ensuite suivre sa demande vers l'international après avoir rempli les champs complémentaires. Une demande internationale pouvait aussi être expédiée par le biais d'un nouveau choix au sein du menu du PEB. Les adhérents au système Arttel 4 pouvaient expédier directement leurs demandes au British Library Document Supply Centre (BLDSC).
L'utilisateur avait la possibilité de choisir entre plusieurs niveaux de services. Le niveau haut impliquait une recherche approfondie pour le fournisseur, et prenait donc plus de temps. Le niveau bas, recherche brève, se traduisait, aux Pays-Bas, par une opération de recherche automatique de localisation dans le catalogue collectif. Au Royaume-Uni, les demandes entrantes étaient traitées manuellement. La demande provenant de France était analysée, manuellement par un centre de vérification (chargé d'effectuer des recherches bibliographiques et de localiser), ou automatiquement, pour être dirigée vers un fournisseur potentiel.
La France n'ayant pu à l'époque implémenter les normes ISO SR 10162/10163, c'est le centre de prêt de la Bibliothèque nationale de France qui a assuré le rôle de centre de vérification, fournissant le document demandé, ou, le cas échéant, des localisations (uniquement des bibliothèques tests). Les utilisateurs - qu'il s'agisse d'utilisateurs anglais ou hollandais effectuant une requête en France, ou inversement - ne pouvaient savoir si les demandes allaient déboucher sur une localisation. En revanche, PICA et Laser ont implémenté les normes « earch and Retrieve ». Leur mise en oeuvre a permis à leurs utilisateurs d'effectuer des recherches dans les catalogues distants à partir d'un certain nombre de clés d'accès, telles que le nom de l'auteur ou de la collectivité, du titre, de l'ISBN et de l'ISSN. Lorsque la notice était retrouvée par un utilisateur du réseau Laser, il avait la possibilité de la transformer en demande de fourniture. L'utilisateur hollandais devait par contre ressaisir la demande, mais il avait, néanmoins, la certitude de trouver l'ouvrage.
L'exploitation du service
En janvier 1994, ION reliait 70 bibliothèques :
- 22 bibliothèques du réseau Laser - 13 bibliothèques publiques, 7 bibliothèques universitaires, la bibliothèque de la BBC - et le BLDSC, fournisseur possible pour les établissements ayant adhéré à Arttel. Outre son rôle technique, Laser était aussi centre de vérification ;
- 16 bibliothèques du réseau PICA : 10 bibliothèques universitaires, 5 bibliothèques publiques et la Bibliothèque royale de La Haye qui jouait aussi le rôle de centre de vérification ;
- 32 bibliothèques du réseau PEB : 24 Cadist, 2 grands établissements (ENSSIB, Académie de médecine), 2 BIU (Sainte Geneviève, Langues orientales), 3 sections de la BU de Montpellier (sciences, médecine, Unité pédagogique médicale) et le centre de prêt de la BNF, qui était aussi centre de vérification.
Les bibliothèques françaises avaient été choisies de façon à assurer une large couverture en fonction fournisseur ; les Cadist parisiens empruntant peu, c'est surtout aux BU de province qu'était dévolue la fonction demandeur.
Les partenaires étaient convenus d'une balance entre les transactions, seules les différences étaient facturées au tarif incitatif de 5 écus par fourniture, soit environ 33 francs, ce qui est sensiblement inférieur aux tarifs pratiqués pour le prêt international. Toutefois le BLDSC appliquait son tarif habituel.
Le prêt international, activité marginale des BU, représentait, en 1993, 4 % de leur activité demandeur avec un taux de satisfaction de 79 % et à peine 2 % de leur activité fournisseur, avec un taux de satisfaction de 60 %, les collections des BU assurant une bonne couverture nationale. Ce qui est vrai pour la France l'est pour ses partenaires : chaque pays a une large autonomie et ne recourt que marginalement à l'étranger. Ces faits pouvaient laisser présager des flux réduits.
Bilan de l'activité
Les pourcentages exprimés reflètent l'évaluation du système dans son ensemble : ils incluent des demandes non reçues, réexpédiées ou satisfaites hors système (par le BLDSC). Si l'on avait évalué le seul service, les taux de satisfaction en tant que fournisseur auraient alors avoisiné 32 % pour la France et les Pays-Bas et 50 % pour le Royaume-Uni (incluant le BLDSC).
L'activité du fournisseur
Le bilan de l'activité de fournisseur est décrit dans le tableau ci- dessus. Comme on l'a déjà dit, le centre de prêt de la BNF a effectué la quasi-totalité de l'activité fournisseur : sur les 437 demandes reçues en France, 398 lui sont parvenues, 117 réponses ont été positives et 220 négatives ; 61 demandes sont restées sans réponse, en raison de défaillances techniques. Les 39 demandes qui n'ont pas été traitées par le Centre de prêt de la BNF ont été soit reroutées par lui, soit adressées directement au fournisseur par le demandeur. Au total, seules cinq bibliothèques ont reçu plus d'une demande.
Les documents demandés par la Grande-Bretagne étaient majoritairement des ouvrages en français (on trouvait toutefois 20 % d'ouvrages en anglais), de niveau vulgarisation plutôt que spécialisation.
Les documents demandés par les Pays-Bas étaient à 85 % en français, un peu plus souvent des monographies que des périodiques et presque toujours de niveau spécialisé. Les sciences humaines étaient beaucoup plus représentées que les sciences exactes.
Le taux de satisfaction global de 31 % (équivalent à celui réalisé par nos partenaires entre eux avec l'aide de SR) paraîtra faible si on le compare aux 60 % de l'activité classique de fournisseur des BU vers l'étranger. Il ne l'est pas si l'on se rappelle que seuls 32 établissements assuraient la fourniture.
On a particulièrement regretté que la mise en pratique du système ait chargé le centre de prêt de la BNF et éliminé de fait presque toutes les BU qui n'ont pas eu l'occasion d'expérimenter la fonction fournisseur.
L'activité du demandeur
Le bilan de l'activité du demandeur figure dans le tableau 2. Les bibliothèques universitaires pouvaient adresser leurs demandes aux Pays- Bas ou à la Grande-Bretagne, en choisissant entre le niveau de services haut et le niveau bas.
Une dizaine de BU - surtout de bibliothèques scientifiques et médicales - avaient adhéré à Arttel, le système télématique du BLDSC, et ont presque exclusivement utilisé ION pour se fournir auprès du BLDSC. Le recours à ce centre a permis à la Grande-Bretagne d'afficher un taux global de satisfaction dans le système de 31 %, que le seul réseau Laser aurait difficilement assuré.
Le niveau global de satisfaction est de 31 % : c'est peu si on le compare aux 79 % en activité classique de demandeur des BU vers l'étranger, mais, là encore, il faut se rappeler que les fournisseurs étaient réduits à un échantillon de moins de 40 établissements dans les deux pays.
Les délais de fourniture avec le BLDSC se sont améliorés jusqu'à devenir excellents après une période de rodage.
La plus grande partie des transactions a été faite par les bibliothèques de lettres de province et la bibliothèque de sciences de Montpellier. Parmi les documents demandés, on remarque une relative prédominance de monographies en lettres, ce qui est à l'opposé du paysage de prêt entre bibliothèques traditionnel, mais peut s'expliquer par des raisons économiques : le tarif d'appel de ION a permis à une clientèle « lettres »non prise en charge par des laboratoires de recherche, de recourir à un service international d'ordinaire trop onéreux.
Les demandes sans réponse
Sur les 2591 transactions faites par la France, en tant que demandeur ou fournisseur, 648 sont demeurées sans réponse, soit 25 %. Ce chiffre traduit les défaillances qui ont affecté matériel et logiciel, tant en France qu'à l'étranger. On peut dire que l'interconnexion entre les trois réseaux aura été réalisée à 75 % : c'est un résultat honorable pour une première expérience d'assez courte durée.
ION était prévu pour être largement diffusé ; en décembre 1994, les trois partenaires ont décidé d'arrêter l'expérience : maintenir l'utilisation des protocoles X 25 et X 400 était trop coûteux et avait peu d'avenir commercial dans un contexte de fourniture de documents à distance où TCP/IP 5 et SMTP 6 tendent à devenir des standards de fait.
Des trois objectifs que s'étaient fixés les partenaires, on a vu que l'interconnexion des trois réseaux a pu être réalisée avec une fiabilité de 75 %. La faisabilité de mise en oeuvre des protocoles OSI a pu être démontrée. Enfin les services de prêt international entre bibliothèques ont découvert de nouveaux partenaires.
A l'actif de ION, l'expérience et le savoir-faire acquis par les équipes chargées de la mise en oeuvre seront un atout énorme dans les projets en cours ou futurs. La participation à un projet européen a été estimée très positive et la coopération avec des partenaires étrangers, tant des utilisateurs que des responsables du projet, a été une expérience très riche et qui pourrait en annoncer d'autres dans une Europe de l'information qui se construit.