Liber à Louvain
Marie-Françoise Bisbrouck
Le congrès annuel de l'association LIBER (Ligue des bibliothèques européennes de recherche) s'est déroulé à Louvain (Belgique) du 3 au 8 juillet 1995, sous la responsabilité de la bibliothèque de l'Université catholique. Il a accueilli 125 participants venus de 23 pays d'Europe. Le thème central de réflexion retenu à cette occasion portait sur les ressources documentaires électroniques en lien avec le principe de qualité de mise à disposition du public. Mais le congrès a également fait une large place à la présentation du projet EDIL (Electronic Documents Interchange Between Libraries), commun à l'Allemagne, l'Angleterre, la France et la Hollande, projet qui permet à des bibliothèques de ces pays d'échanger des documents par voie électronique, quels que soient les infrastructures et les protocoles réseaux des établissements 1.
Dans la séance d'ouverture, les questions portant sur le potentiel des services d'information en réseau en tant qu'outils de recherche et la confrontation aux problèmes de la qualité de l'information ont longuement été évoqués par le professeur Van der Wee, de l'Université catholique de Louvain, ainsi que la nécessaire coopération qui doit s'établir de manière de plus en plus forte entre éditeurs, bibliothécaires et scientifiques.
Les bibliothèques universitaires belges
La coopération à différents niveaux - local, régional et national - entre les bibliothèques universitaires et de recherche belges a fait l'objet de communications particulièrement nourries et les différents systèmes de coopération mis en place ont été présentés. Jean-Pierre Devroey, directeur de la bibliothèque des sciences humaines de l'Université libre de Bruxelles et président de l'Association des directeurs de bibliothèques universitaires de Belgique, a rappelé l'histoire et la constitution des universités belges et de leurs bibliothèques.
La constitution belge de 1831 affirme le principe de l'autonomie des universités. En 1834, la Belgique devient indépendante et comprend quatre grandes universités, deux universités d'État (Gand et Liège) et deux universités libres (Louvain et Bruxelles). Les plus grandes bibliothèques universitaires et de recherche (plus de 2 millions de volumes) sont alors au nombre de cinq : la Bibliothèque royale de Bruxelles, les bibliothèques universitaires de Gand et de Liège et celles de l'Université catholique de Louvain et de l'Université libre de Bruxelles.
Ces bibliothèques, décentralisées pour partie ou en totalité à partir des années 70, ont alors entamé un processus de coopération volontaire au niveau fédéral par l'organisation du prêt entre bibliothèques (sur la base d'un tarif national unique) et la constitution, depuis 1983, du Catalogue collectif belge des monographies (CCB) qui comprend aujourd'hui 2,5 millions de titres de documents émanant de 34 bibliothèques. Ce catalogue est disponible en ligne et, depuis 1989, sur deux CD-Rom, l'un correspondant au réseau Libis, l'autre correspondant aux autres bibliothèques.
Un catalogue collectif des périodiques courants (Antilope) a été mis au point pour l'ensemble des bibliothèques universitaires et est géré par la bibliothèque universitaire d'Anvers, qui fut à l'origine du projet au début des années 70. Ce catalogue collectif comprend, en une seule base de données accessible à tous, une partie néerlandophone incluant également le catalogue rétrospectif des périodiques les plus anciens, et une partie francophone ne comprenant que le catalogue courant.
La commande électronique à distance de documents s'effectue par le biais du système Impala, greffé sur la base de données Antilope. Des liens existent avec le BLDSC (British Library Document Supply Centre) et l'Académie royale des sciences des Pays-Bas.
La coopération documentaire
Les traits marquants du système d'organisation des bibliothèques universitaires en Belgique portent sur l'intensité de la coopération entre les bibliothèques de recherche, malgré la division linguistique des communautés, et sur l'ancienneté et l'importance de l'informatisation des bibliothèques de recherche depuis le début des années 70.
Jean Van Borm, de la bibliothèque universitaire d'Anvers, brossa un tableau de la coopération entre bibliothèques au niveau régional, en dépit de la double structure linguistique du pays (francophone et néerlandophone), à laquelle il convient d'ajouter la petite communauté germanophone implantée à proximité de la frontière avec l'Allemagne (environ 60 000 personnes).
En ce qui concerne la communauté germanophone, la coopération s'exerce surtout par le biais des bibliothèques publiques et par la bibliothèque centrale de recherche d'Eupen, ainsi qu'avec les bibliothèques allemandes du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Pour la communauté francophone, il existe, depuis 1988, une commission permanente des bibliothécaires en chef au sein du Conseil interuniversitaire de la communauté française (CIUF). Cette commission a pour objectifs l'étude de l'évolution de la bibliothéconomie et des sources d'information, le développement de l'accès à l'information par tous les moyens, la mise au point de projets coopératifs et la représentation aux niveaux national et international.
Cette commission agit prioritairement dans quatre domaines :
- études sur des sujets d'actualité (inventaire des collections, statistiques, usage du Conspectus dans les bibliothèques universitaires, politique commune de conservation des périodiques notamment en sciences économiques et en histoire de l'art) ;
- publications (« Repères en sciences bibliothéconomiques ») ;
- projets coopératifs évoqués (CCB, Antilope, Impala) ;
- participation aux travaux d'association comme l'ABCDEF (Association des responsables de bibliothèques et centres de documentation universitaires et de recherche d'expression française), l'ADBU (Association des directeurs de bibliothèques universitaires), etc.
En ce qui concerne cette communauté, il manque une véritable association de bibliothécaires, forte et bien structurée.
Pour la communauté néerlandophone, la coopération entre bibliothèques s'exerce d'abord par l'intermédiaire de l'Association des bibliothécaires flamands, qui regroupe tous les types de bibliothèques, ainsi que les centres de documentation et les archives (plus de 1 000 membres, 2,5 personnes permanentes et 10 millions de francs belges). Cette association est subventionnée en partie par le ministère flamand de la Culture.
Les contacts avec les Pays-Bas sont très fréquents. Un groupe de travail au sein du Conseil universitaire flamand (VLIR) existe depuis 1984. Il travaille tout particulièrement sur les collections de périodiques risquant de disparaître - en répartissant les achats de ces titres de périodiques entre les bibliothèques -, l'étude d'un magasin central de stockage pour les documents les moins utilisés, le développement concerté des collections, un projet de Bibliothèque nationale des Flandres disposant du dépôt légal.
Le gouvernement flamand accorde des subventions pour encourager ces projets, à hauteur de 1 million de francs belges par an, sous réserve que les bibliothèques universitaires et de recherche contribuent à hauteur de 1,5 million par an.
La création, en 1992, du VOWB (Conseil flamand pour les bibliothèques de recherche) a permis d'accélérer un certain nombre de projets évoqués (Antilope notamment avec un budget de 15 millions de francs belges), tandis que de nouveaux projets voient le jour : création du EIV (Information électronique pour la Flandre) concernant la mise en place de bases de données bibliographiques et de bases de données plein texte, projet pour lequel le gouvernement flamand pourrait donner 20 millions de francs belges par an pendant 5 ans (1996-2000), tandis que les bibliothèques universitaires, les instituts concernés et l'industrie privée pourraient doubler cette mise.
La troisième contribution sur la coopération documentaire en Belgique fut développée par le professeur Jan Roegiers, de l'Université catholique de Louvain. Il présenta l'organisation des bibliothèques de son université qui constitue un système à la fois décentralisé comprenant 22 bibliothèques et fédéré selon 4 grands pôles : Humanités (3), Sciences exactes (10), Sciences du comportement (5), Biomédical (4). L'ensemble de ces bibliothèques est informatisé et fait partie du réseau Libis.
Le réseau LIBIS
L'organisation du réseau Libis fut présentée par Albéric Régent, également de la bibliothèque de l'Université catholique de Louvain. Historiquement, l'introduction du système informatisé Dobis/Libis date de la partition, au début des années 70, de l'Université catholique de Louvain en deux entités linguistiques différentes, l'une néerlandophone demeurant sur le site, l'autre francophone s'installant à Louvain-la-Neuve distante d'environ 30 kilomètres.
Après une étude de marché réalisée en 1974, les premiers modules de catalogage et de recherche furent installés en novembre 1977. Le système devait être opérationnel pour un réseau de bibliothèques décentralisé en plusieurs points de la ville, sur quatre campus différents, et respecter les différentes identités des bibliothèques.
Aujourd'hui, le réseau belge comprend 16 partenaires dont 6 bibliothèques universitaires, 6 bibliothèques spécialisées, 3 autres institutions d'enseignement supérieur et un centre de documentation, tandis que le réseau international fédère 800 bibliothèques et institutions dans plus de 30 pays.
Le réseau est administré par un conseil comprenant un représentant par institution cocontractante ; un comité technique coordonne des groupes d'utilisateurs. Une équipe centrale de bibliothécaires et de techniciens gère le système. Le centre de calcul commun pour les bibliothèques belges est situé à l'université de Louvain. Le catalogage partagé a donné lieu à un important effort de standardisation en ce qui concerne les formats, les règles de catalogage et les règles d'accès.
Le réseau Libis donne accès aux bases de données Libis-Catalogue (environ 3 millions d'ouvrages et de périodiques), au CCB (1,5 million de titres de périodiques), à Antilope (270 000 documents), à un réservoir bibliographique mis à jour tous les mois provenant de la Bibliothèque du Congrès (accès à 2,5 millions de notices).
Les développements les plus récents du réseau Libis concernent :
- l'intégration à d'autres bases de données-hôtes de Libis, à des serveurs de CD-Rom et à des serveurs externes ;
- l'accès à une interface graphique GUI (Graphical User Interface) sous Windows ;
- de nouveaux outils de recherche comme la recherche booléenne ;
- l'accès au réseau Internet ;
- le lien avec Impala (système de fourniture de documents à distance) ;
- l'accès au système Image (projet de bibliothèque digitalisée en coopération avec IBM) ;
- la participation au réseau Calibre (Common Access to Libraries in Europe) qui regroupe des bibliothèques installées sous Dobis/Libis par le biais d'un réseau spécifique, mettant en connexion les différents catalogues de ces bibliothèques.
Le réseau CALIBRE
Les objectifs du réseau Calibre concernent la recherche bibliographique (selon différents modes d'accès et notamment par troncature et par recherche booléenne), le prêt entre bibliothèques et la fourniture de documents à distance, le transfert de données bibliographiques, le courrier électronique pour le personnel, etc.
Le système est développé par la firme Solid Automation. Calibre est organisé par aires géographiques autour d'une institution centre du réseau local : pour l'Espagne, l'Université d'Oviedo ; pour la Belgique l'Université catholique de Louvain ; pour les Pays-Bas, l'Irlande et les Pays scandinaves, l'Université technique de Delft ; pour l'Allemagne, les Deutsche Telekom ; pour la Hongrie, la Bibliothèque nationale de Budapest ; pour la Suisse et l'Autriche, les PTT suisses ; l'Italie, l'Istituto superiore di Sanità.
Le chargement des données dans la base centrale de chacune des institutions centres du réseau local devrait être terminé d'ici la fin de l'année 1995.
Pour le futur, un groupe de travail a été constitué pour permettre l'accès à Calibre de systèmes informatiques autres que Dobis/Libis. Si l'ensemble des implantations Dobis/Libis en Europe se connectaient sur Calibre, le réseau deviendrait l'un des plus grands réseaux interconnectés d'Europe, donnant accès à plus de 25 millions de documents pour la recherche bibliographique comme pour la fourniture de documents. La coopération avec d'autres projets de fourniture de documents à distance et l'implantation de la norme Z 39.50 contribueront à l'ouverture de Calibre aux autres systèmes et aux autres utilisateurs.
L'accès électronique
Au cours du congrès, plusieurs interventions furent consacrées aux « catalogues virtuels » et Ross Bourne, de la British Library, en présenta les implications pratiques et l'organisation de leur gestion, après en avoir donné la définition suivante : un catalogue virtuel est une base de données bibliographiques construite à partir de multiples sources, ces sources et les moyens d'accès aux documents étant « invisibles » pour l'utilisateur final.
Bourne demanda, par ailleurs, aux bibliothécaires d'être ouverts sur des expériences et des projets informatiques mis en place dans d'autres secteurs que celui des bibliothèques, banques, supermarchés, agences de voyage, et surtout monde de l'édition et du commerce du livre.
La dernière session du congrès était consacrée à l'étude et à la réflexion sur la qualité des services électroniques rendus par les bibliothèques.
Xavier Agenjo Bullon, de la Bibliothèque nationale de Madrid, posa le problème des rapports entre la qualité de l'information et la surinformation engendrée par l'accès électronique aux ressources documentaires.
Jacqueline Sanson, de la Bibliothèque nationale de France, fit le point sur l'accès aux documents électroniques à l'ouverture du nouveau bâtiment.
Les besoins d'une formation réelle des bibliothécaires à la notion de qualité des services que doit rendre une bibliothèque furent présentés par Graham Walton, de l'Université de Northumbria (Angleterre), qui insista sur le fait qu'au moins 5 % du budget de fonctionnement d'une bibliothèque devaient être consacrés à la formation du personnel.
Ses propos furent fortement relayés par les trois intervenants de la table ronde qui suivit son intervention : Kirsten Roenbel, de la bibliothèque universitaire d'Aalborg (Danemark), Peter Bockhorst, de la bibliothèque universitaire de Munster (Allemagne) et Jelle Kingma, de la bibliothèque universitaire de Groningen (Pays- Bas). Chacun fut d'accord pour reconnaître que la qualité d'une bibliothèque réside dans le service individuel rendu à l'usager et sur le fait qu'il faut souvent recruter du personnel nouveau pour le développement des services concernant les technologies nouvelles.
Une après-midi fut consacrée à la visite de plusieurs bibliothèques de l'Université catholique de Louvain, ainsi qu'à celles de l'Université de Louvain-la-Neuve, située à une trentaine de kilomètres. A noter, pour les collègues qui s'intéressent aux nouveaux bâtiments des bibliothèques universitaires, la réalisation particulièrement réussie de l'extension de la bibliothèque des sciences humaines de l'Université libre de Bruxelles, visitée hors congrès. Cette extension, de 8 000 m2 porte ainsi à 21 000 m2 la surface de la bibliothèque, destinée à environ 20 000 étudiants.
Il convient également de mentionner l'accueil particulièrement chaleureux de nos collègues belges.
En ce qui concerne la vie de LIBER, une plaquette présentant les nouveaux statuts de l'association a été diffusée lors de l'assemblée générale, marquant ainsi la volonté d'évolution de cette association, petite mais particulièrement active. Le document est disponible dans les quatre langues en usage à LIBER : allemand, anglais, espagnol et français 2.