Editorial
Martine Poulain
En décembre dernier, la Bibliothèque municipale de Strasbourg prit une heureuse initiative : celle d'organiser une journée d'étude sur le thème : « Quartiers sensibles, publics difficiles » *. Destinée au départ à accueillir des bibliothécaires de la région, cette journée d'étude connut une affluence beaucoup plus large, preuve qu'il s'agissait bien d'un sujet de préoccupation pour nombre d'entre eux
Les tensions sociales aujourd'hui ne sont plus à la porte des bibliothèques. Elles y pénètrent, parfois avec force, et confrontent la bibliothèque à des situations inhabituelles particulièrement délicates, parfois feutrées, souvent explicites, qui mettent en jeu son fonctionnement, remettent en question des consensus, créent des fractures entre les publics, rompent des équilibres, dont la fragilité est alors mise à jour.
Nous publions ici trois des interventions proposées lors de cette journée. L'une s'efforce de replacer la question de la violence dans son historicité, première façon d'en comprendre les origines et les perceptions, différentes au cours des époques et selon les actes et acteurs concernés. Les deux autres contributions présentent les tentatives de bibliothèques confrontées à de telles tensions pour mieux y réagir, en prenant des mesures, certes, mais aussi en les distanciant, en se faisant aider, en sortant d'un isolement décourageant.
La question est bien sûr délicate : les bibliothèques publiques se veulent universelles. C'est en ce sens qu'elles conçoivent leurs collections, leurs missions, l'accueil de leurs publics. Et pourtant, la réaffirmation que le bien de tous se situe au-delà des pulsions de chacun s'avère dans ces cas nécessaire.
L'actualité, c'est aussi l'évolution des relations entre circuit marchand et circuit public du livre - ici présent par une nouvelle approche des rapports entre emprunts et achats de livres -, ou, encore et toujours, la révolution technologique. Nouvelle conception des interfaces, nouveau protocole de communication basé sur une architecture client/serveur font une fois de plus évoluer le travail documentaire, pendant que les États se penchent sur les conséquences socioculturelles de l'arrivée annoncée des autoroutes de l'information. Le projet de Bibliotheca Universalis, qui veut donner accès aux principales oeuvres du patrimoine scientifique et culturel mondial, est évidemment séduisant. Son avancée rapide témoignerait qu'une alternative culturelle existe face au vertigineux déferlement commercial attendu. Il restera alors à évaluer les effets sociaux d'une disponibilité potentielle de tous les savoirs du monde, dont personne n'attend plus aujourd'hui - contrairement aux sentiments qu'éprouvaient les générations précédentes face à leurs « nouveaux médias » - de progrès miraculeux quant aux apprentissages ou au partage des connaissances. Vitale, la participation des bibliothèques à la révolution technologique, ne peut pourtant plus conduire aucun d'entre nous à entonner le chant naïf et démenti d'un effet social nécessairement glorieux. La conviction, là comme ailleurs, se nourrit aussi de doutes.