Le science-fictionnaire
Stan Barets
N’en déplaise à ses détracteurs, la science-fiction (SF) a considérablement évolué depuis 1981 1. Nombreux étaient les amateurs et les bibliothécaires qui se désolaient de ne pas voir poindre une nouvelle mouture du fameux Catalogue des âmes et cycles de la SF dont la parution en 1979 avait été suivie presque aussitôt d’une deuxième édition ! La SF était-elle morte, l’inspiration des auteurs tarie, le cinéma et surtout la télévision avaient-ils vaincu l’expression écrite dans ce genre si particulier ? Enfin les lecteurs avaient-ils déserté les rayons de la SF ? Certes, l’euphorie des années 70 a été suivie d’une crise grave qui a affecté aussi bien les tirages que les collections ou les éditeurs, dont certains ont disparu. Mais les auteurs de l’âge d’or (Isaac Asimov, Alfred Van Vogt) connaissent toujours la gloire et un renouvellement de leur lectorat. Nouveaux auteurs, thèmes et modes d’expression font une apparition remarquée dans cette nouvelle édition dont le titre change de manière significative.
Après 1945
L’ouvrage se compose désormais de deux volumes (le tome 1 pour les auteurs ; le tome 2 pour les thèmes, suivis d’un index) classés par ordre alphabétique. En ont été écartés ceux des grands ancêtres supposés trop connus (Jules Verne, H. G. Wells), aussi bien que les auteurs littéraires largement représentés dans les dictionnaires traditionnels (José Luis Borges, André Maurois, ou Italo Calvino par exemple). Par contre, Stan Barets a admis quelques monstres sacrés du fantastique. L’ensemble se concentre surtout sur les auteurs ayant publié après 1945, ou n’ayant été connus en France qu’après 1945.
Le tome 1 est un dictionnaire, et comme tel sélectif et discutable. Pourtant aucun oubli majeur ne nous a frappés. En revanche, la longueur des notices est extrêmement variable, selon l’importance que Stan Barets donne à l’auteur recensé. Le nom est suivi du pays d’origine, des dates de naissance (et de décès, s’il y a lieu), puis d’une biographie, et pour les auteurs jugés importants, d’une liste analytique des titres significatifs de l’œuvre. Quand il y en a, une bibliographie des études faites sur l’auteur apparaît. Notons que chaque titre étranger suit entre parenthèses le titre français, et que l’on trouvera aussi la date de l’édition d’origine, alors que l’édition française est signalée le plus souvent en « poche », et sans date.
C’est que les Américains se taillent la part du lion (150 auteurs) suivis par les Français (40) et les Anglais (38), le reste du monde ne dépassant pas neuf auteurs ! Si 30 % des auteurs sont décédés, 30 % sont nés après 1940, et donc en pleine activité. Ceci n’est pas négligeable, car souvent il n’existait rien sur eux en français 2. Les œuvres analysées montrent l’éclectisme et l’étendue des lectures de Stan Barets, qui préfère s’effacer devant l’œuvre, plutôt que de prôner un quelconque terrorisme intellectuel. De ce fait, un bon space opera aura un traitement égal à une œuvre plus littéraire, philosophique ou… prétentieuse. Les analyses s’achèvent souvent sur des comparaisons avec un autre titre sur le même thème.
Un panorama du genre
C’est pourtant le tome 2 qui paraît le plus neuf, véritable panorama du genre en diagonale ou en boucle. On pourra au choix le lire en continu, ou en cherchant à une des nombreuses entrées alphabétiques, constituées par des thèmes, des écoles de SF, du vocabulaire, les à-côtés ou l’édition de SF. Parmi les thèmes, on lira avec profit Dieu et démons, féminisme, mutants, univers parallèles, etc. On ne pourra plus ignorer ce que sont la hard science, l’heroic fantasy, la speculative fiction. Des termes comme androïdes, cyborg, fandom ou uchronie n’effrayeront plus le néophyte (ou le bibliothécaire timoré). Celui-ci n’ignorera plus rien des films, bandes dessinées, séries de télévision, collections, prix littéraires qui ont fait les beaux soirs du genre.
On le voit, c’est un peu « tout ce que vous avez voulu savoir sur la SF sans jamais oser le demander ». Aussi cet ouvrage va-t-il être un « incontournable » et prendre place sur les rayons des usuels dans nos bibliothèques. Son format « poche » le rend facile à consulter. Il complétera le petit livre de Lorris Murail, Les maîtres de la science-fiction 3. Mais bien sûr, pour tout ce qui touche aux « pères fondateurs » ou aux ancêtres du genre, le dictionnaire de Pierre Versins restera, et pour longtemps, une « Bible ».
Un petit reproche pourtant : il nous a semblé que les auteurs français étaient moins bien traités que les Américains. Est-il d’ailleurs indispensable d’abuser du vocabulaire de l’oncle Sam ? Qu’est-ce qu’un auteur mainstream ? Le mot rewriter n’a-t-il pas des équivalents français plus agréables à lire ? Les erreurs de détail nous ont paru vénielles 4. On l’aura compris : si aucun amateur ne va laisser échapper le « Barets », peut-il y avoir une bibliothèque digne de ce nom qui puisse s’en passer ?