Bibliothèques publiques

utilisation, appropriation, dérives

Isabelle Masse

Le 14 mars dernier, se tenait à la Bibliothèque publique d’information (BPI) un mardi de l’information intitulé Bibliothèques publiques : utilisation, appropriation, dérives. Les nouvelles bibliothèques publiques, conçues pour un public nombreux, pour une appropriation des lieux sans médiation, ont été largement plébiscitées par la population. Leur fréquentation est en effet en importante augmentation. Mais aujourd’hui se manifestent des usages inattendus, parfois surprenants ou déconcertants.

Depuis quelques années, des phénomènes tels que la montée de l’individualisme, du consumérisme et de son corollaire, la défense du consommateur, des demandes constantes – et exigeantes – d’informations et de formations, d’accroissement de la vitesse et de la qualité des transactions des services, ont provoqué un changement du (des) public(s) et de leurs comportements en bibliothèque. Le métier de bibliothécaire a aussi changé, la professionnalisation s’est accrue – technicisation, gestion, marketing, etc. Les problèmes liés à l’accueil du public sont réels et encore peu exposés. Offre individuelle et consommation sur place, lecture silencieuse et sociabilité volubile, loisir et travail, autonomie et demande d’accompagnement... et leurs « retombées » furent évoqués au cours de deux interventions, très denses et très concrètes, faites de constatations, de questions, mais aussi de propositions de solutions à des problèmes difficiles, auxquels le personnel des bibliothèques est quotidiennement confronté.

Usages et pratiques

Dominique Peignet, directeur de la bibliothèque municipale d’Evry, ville nouvelle de la banlieue parisienne, distinguait différents usages et différentes pratiques, nouveaux usages et nouvelles pratiques vus par les uns et les autres.

Parmi les usages du public contestés par les bibliothécaires, on trouve des phénomènes d’appropriation individuelle – découpage, refus de rendre, prolongement indu, vol –, la réservation systématique de best-sellers, le dépassement de la durée du prêt, l’incompréhension de certains devant les refus d’achat... Figurent aussi les comportements bruyants, l’appropriation de l’espace par des groupes (par exemple, des classes entières), la violence verbale ou physique, la bibliothèque transformée en garderie, en aire de jeux, les comportements délictueux (trafic, drogue, pédophilie)...

Les bibliothécaires eux-mêmes peuvent adopter des pratiques contestables, parmi lesquelles la mauvaise explicitation des services offerts, le travail conçu autour d’une division trop marquée entre un service public – fatigant et peu satisfaisant – et des activités en amont (internes) – intellectuelles –, la résistance à l’augmentation des heures d’ouverture, l’évacuation des publics difficiles en deçà des usages normaux d’accueil... Ceci peut d’ailleurs s’expliquer par l’absence de formation adéquate, la non-prise en charge des problèmes d’accueil, la connaissance insuffisante des publics et de leurs pratiques, la conception trop administrative du travail et les relations faussées entre les attentes des usagers et la représentation que les bibliothécaires se font de leurs missions.

Scolaires : le retour

Jean-Claude Utard, directeur de la bibliothèque municipale Clignancourt (XVIIIe arrondissement de Paris) s’interrogeait sur l’accueil des adolescents. Cette bibliothèque, comme beaucoup d’autres, est de plus en plus « envahie » par les collégiens et les lycéens. Elle est pour eux un lieu de travail : leur présence est alors plus ou moins forcée ou obligatoire (devoirs, exposés, photocopies). Mais la bibliothèque est aussi un lieu de « convivialité », c’est-à-dire de comportements plus ou moins bruyants, ou d’attitudes susceptibles de gêner. La plupart de ces jeunes ne sont pas inscrits et n’utilisent pas les collections. Mais ils accaparent le personnel, qui consacre alors du temps à les surveiller – au détriment peut-être des autres lecteurs. Des questions de fond se posent sur l’organisation des espaces, individuels ou réservés aux groupes, sur la création de sections pour adolescents, sur la manière de s’occuper de ceux-ci. Les accueillir doit-il consister à les « mettre à part » ou à tenter de les « socialiser » ? 1

D’autre part, assite-t-on à un retour vers le « pédagogique » ? Peut-on tout faire dans les mêmes espaces et les mêmes établissements ? Pourrait-on travailler en collaboration et avec qui ? Trouver des partenaires n’est pas chose facile 2.

Envisager des solutions

De multiples propositions et idées furent livrées à la réflexion de l’assistance cet après-midi-là : transformation et redéfinition des tâches, accroissement du nombre des agents qualifiés dans les services, formations aux techniques d’accueil, politiques d’acquisition plus proches de la réalité, de la demande du public, nouvelles spécialités (le bibliothécaire pourrait-il être aussi éducateur social ou socioculturel ?), mais aussi réinvention de la notion de service public, réactivation des associations d’usagers, meilleure explicitation des services rendus et non rendus, possibilités de services à la carte (gratuits ou payants)...

  1. (retour)↑  Une réflexion s’impose sur une stratégie de gestion des salles et des places, car les demandes se font de plus en plus pressantes pour que de petits groupes puissent travailler sans gêner l’ensemble du public.
  2. (retour)↑  Si une collaboration avec les CDI (centres de documentation et d’information des lycées et collèges) paraît difficile, leur fonctionnement très différent constituant un frein à une éventuelle collaboration, en revanche, la bibliothèque et les services qu’elle offre pourraient être présentés au cours d’interventions de bibliothécaires dans les lycées au début de l’année scolaire.