Internet et les bibliothèques
Martine Poulain
Succès total pour l’Association des conservateurs de bibliothèques : la journée d’étude consacrée par cette association à Internet en avril dernier a connu une affluence record et les communications furent d’une très grande qualité 1. Loin d’être une simple initiation à Internet, cette journée d’étude a en effet présenté nombre de réalisations, contribué à poser et clarifier certains enjeux, techniques et/ou politiques.
Réfléchir à sa connexion
Olivier Andrieu, l’un des spécialistes du domaine 2, a rappelé quelques-unes des configurations des réseaux nationaux ou internationaux et a explicité les modalités diverses de connexions à Internet. La connexion peut en effet être directe (Full-IP, qu’utilise par exemple Renater) ou avoir lieu à la demande (Dial-Up). Selon le type de connexion choisie, les services offerts à l’utilisateur (du simple e-mail à la panoplie complète) et les coûts induits (de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers de francs par an) sont différents. Olivier Andrieu estime avec sagesse que, comme pour tout projet informatique, l’utilisateur bibliothèque ou centre de documentation doit « connaître les services disponibles sur Internet ; définir ses besoins ou ceux de l’entreprise en terme de communication interne et/ou externe ; effectuer une adéquation entre les services Internet et ses besoins propres pour définir la meilleure solution de connexion ; poser les bonnes questions aux opérateurs ».
Les enjeux politiques
Gérard Théry, auteur du rapport désormais célèbre sur les autoroutes de l’information 3, en a rappelé quelques-uns des enjeux : l’accès au savoir et à la connaissance et son partage social, les relations secteur public/secteur privé, le poids des intérêts financiers face aux exigences culturelles, la force d’investissement des entreprises américaines, la redistribution des savoir-faire professionnels. La force américaine vient aussi du fait que le nombre d’utilisateurs effectifs ou potentiels des réseaux y est beaucoup plus important. La rentabilité d’une production multimédia, dont on sait que les coûts de production sont gigantesques, y est possible, alors qu’elle ne l’est pas en France. Pourtant, on va nécessairement dans tous les pays vers un accroissement du marché, donc vers un effondrement des coûts.
L’avenir du Minitel dans ce contexte a été évoqué. Pour Gérard Théry, les sept millions de Minitels existant dans les foyers français forment une infrastructure importante : la gestion Numéris de tous ces foyers représenterait un investissement de 40 milliards de francs et la connexion à Internet 1 000 milliards... Prudent, Gérard Théry n’a pas proposé de solution pour sortir de cette contradiction, qui voit la France effectivement fortement équipée d’un matériel aujourd’hui dépassé.
Les journaux électroniques
Remarquable aussi fut la contribution de Françoise Renzetti sur l’évolution de la presse scientifique dans le contexte de la publication électronique. La presse scientifique sur papier est, on le sait, en crise depuis plusieurs années : augmentation des coûts des abonnements, multiplication des titres, diminution des abonnés, faible élasticité de la demande, délais importants de parution pour les articles dans les revues à comité de lecture (de 8 à 36 mois). Ces délais sont « intolérables pour des chercheurs dont la vie scientifique rythmée par les nouvelles technologies est confrontée à une culture de l’urgence ». D’où le succès de la presse électronique. Celle-ci propose : des lettres d’information, « souvent issues de conférences électroniques » contrôlées par un modérateur ; des publications internes des institutions de recherche ; des journaux électroniques.
Dans le domaine des mathématiques, auquel s’est particulièrement intéressée Françoise Renzetti, il existe environ une vingtaine de revues électroniques, un grand nombre d’autres étant en préparation : « Des études prévoient que d’ici la fin de la décennie, la totalité des revues scientifiques seront électroniques ». Le système d’évaluation des articles risque d’évoluer vers un fonctionnement collectif et médiatisé : « Des procédures permettraient de transformer le travail des comités de lecture en téléconférences dont les transactions respecteraient l’anonymat et au cours desquelles chaque message serait évalué ». Les éditeurs commerciaux, après une période d’attentisme, sont en train d’investir l’édition électronique, et cherchent, par de nouveaux services, à empêcher un marché, des publications et un lectorat de leur échapper.
L’accès à distance à la BnF
Très intéressante aussi fut la prestation d’André Zysberg, directeur du Département Informatique et nouvelles technologies à la Bibliothèque nationale de France. On le sait, la BNF met au point un nouveau système d’information qui sera « le seul avec celui de la Bibliothèque nationale du Canada à être basé sur un système client/serveur ». Le catalogue unique multimédia proposera huit millions de notices avec un temps d’accès maximum de deux secondes. L’accès à distance (aujourd’hui proposé gratuitement à une centaine de bibliothèques et donnant accès à Opale et Opaline) ne sera pas au départ très sophistiqué. C’est à partir d’octobre 1997 que la BNF compte offrir des possibilités élargies, obéissant à la norme Z 39-50, permettant d’aller chercher des références dans le monde entier, de les stocker sur un antéserveur et de les restituer sur l’écran de la bibliothèque qui interroge.
Du côté de la numérisation, le projet est toujours d’offrir 100 000 documents numérisés à l’ouverture, 300 000 images fixes plus tard. Il faut toutefois régler les problèmes : juridiques ; techniques (le transfert en mode compressé prend beaucoup de temps actuellement) ; professionnels (il faut que les documents signalés soient bien identifiés, bien localisés ; il y a donc un important travail supplémentaire à faire en amont).
L’intervention d’André Zysberg fut aussi l’occasion d’un certain nombre de précisions demandées par la salle : le CD-Rom offrant la conversion rétrospective des catalogues de la BNF sera en Unimarc ; un programme européen (baptisé Author) permettra de préparer la connexion en format Unimarc des notices autorités ; davantage de bibliothèques pourront participer au catalogage partagé.
Catalogues sur Internet
Plusieurs bibliothèques françaises offrent tout ou partie de leurs catalogues sur les réseaux. Les expériences de la bibliothèque de l’INA-PG ou de Jussieu ont été présentées par Alain Kotoujanski et Alexandre Bezsonoff 4. La première propose un modèle client/serveur sur W3, la seconde sur Wais. L’ABES (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) va proposer tous ses catalogues et services sur Internet avec un accès Telnet ou W3. L’accès W3 nécessitera un mot de passe (sauf pour Sibil), qui peut être obtenu après contrat avec l’ABES. L’ABES, qui va mettre en place son propre serveur (ABES-FR) est actuellement dans une phase de test et d’acquisition de compétences en ce domaine. D’autre part, dans le cadre du pôle européen de Montpellier, le réseau documentaire du Languedoc-Roussillon se met en place, qui offrira un accès unique sur W3 et Wais aux principaux catalogues documentaires des bibliothèques de la région, soit à terme, 100 établissements et 15 bases de données et autorisera la visualisation d’un certain nombre de documents. La bibliothèque interuniversitaire de Montpellier a équipé plusieurs de ses services de postes multifonctions en 1994, offrant l’accès au mail, à plusieurs catalogues, à diverses listes, etc. Enfin, les services du ministère de la Culture sur W3 ont été présentés : informations générales, publications disponibles, expositions en cours, catalogues documentaires et bases de données ; les premiers essais de « musée virtuel » sont en marche.
Une journée passionnante, témoin d’une vitalité certaine et de l’effort fourni par nombre de bibliothèques pour être à l’heure dans la course technologique.