Les bibliothèques face au SIDA

Philippe Raccah

Les bibliothécaires ne se sentent peut-être pas particulièrement concernés, dans l’exercice de leur profession, par la lutte contre le sida. La journée d’étude *, qui s’est tenue le 30 novembre 1994, à la Bibliothèque publique d’information (BPI), organisée conjointement par la Fédération française de coopération entre les bibliothèques (FFCB), la BPI et l’association Vaincre le sida à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida (1er décembre) a prouvé au contraire à la bonne centaine de participants que toutes sortes d’actions étaient déjà entreprises dans les bibliothèques, en France et à l’étranger, et que réunir plusieurs intervenants d’horizons divers sur ce thème pouvait fournir beaucoup d’idées et de perspectives à tous ceux qui se posent la question : « Que peut-on faire ? »

Photographie de la situation

La grande réussite de cette journée fut ainsi la richesse des témoignages et des points de vue, des actions et des interrogations, exprimés ou racontés par des personnes d’horizons très divers : bibliothèques de tous types, associations et revues professionnelles, mais aussi associations et organismes, d’Etat ou régionaux, de lutte contre le sida.

De ce foisonnement quelques constatations peuvent être retenues. Une enquête téléphonique express menée par la FFCB auprès de 80 bibliothèques municipales et quelques bibliothèques universitaires a donné une sorte de photographie de la situation. Environ un quart des bibliothèques se considère comme des acteurs de premier plan dans ce domaine, la moitié n’envisage qu’un rôle de relais d’information et un quart ne se sent pas particulièrement concerné.

Le premier travail des bibliothèques est d’offrir sur le sujet une documentation pertinente, c’est-à-dire complète et actuelle, pensons en particulier à l’élimination dans un domaine où beaucoup de livres se périment vite, et aux implications politiques sexuelles et morales du choix des titres sur le sida. Pensons également à l’actualité des dossiers de presse. La collaboration avec des associations comme Le Kiosque ou le Crips, présentes à la journée, peut de ce point de vue être très utile.

De multiples initiatives entreprises à l’occasion du 1er décembre ont été relatées : diffusion de bibliographies, de documents d’information, sans oublier l’aspect « vie quotidienne avec le sida », projections de vidéos (3 000 scénarios contre un virus), expositions (Artis), animations et tables rondes en collaboration avec des associations locales, et distribution de préservatifs.

Prolonger les actions

Mais la difficulté est évidemment de travailler dans la durée, de prolonger les actions. De ce point de vue, le Centre de soutien et d’information Solas, à Édimbourg, en Écosse, décrit par son animateur, est apparu comme une sorte de modèle : autour d’une bibliothèque de référence, le centre diffuse des informations pour les malades, leurs proches et leurs amis, les travailleurs sociaux, les étudiants, les éducateurs, les journalistes, les associations, etc., offre un service de renseignements (sur place, par lettre, par téléphone) et des entretiens approfondis, en groupes ou privés, et travaille en réseau avec les autres intervenants du pays. Pour reprendre l’expression de notre collègue écossais : « De multiples services pour des gens infectés ou affectés par le sida ».

L’exemple vient aussi d’Espagne, prouvant que les bibliothèques de ce pays sont en plein développement. A partir d’un numéro spécial sur le sida de la revue professionnelle Educacion y biblioteca, de multiples actions, d’abord menées à l’occasion du 1er décembre, ont été poursuivies : manifestes d’intellectuels et de bibliothécaires, ateliers bibliothèques et sida, club de lectures pour les enfants et les adolescents, coopération avec des bibliothèques étrangères moins riches, comme celles de Cuba (diffusion d’affiches et de dépliants). Le tout soutenu par une rubrique régulière dans la revue. Des idées pour tous, et notamment le BBF

D’autres expériences en France même (bibliothèque municipale de Colombes, de Poitiers, bibliothèque universitaire du pôle universitaire de Montbéliard, etc.) confirment la même analyse : c’est dans la collaboration, sur le plan local, avec les institutions et les associations de lutte contre le sida, les associations d’homosexuels, les travailleurs sociaux, les médecins, les malades eux-mêmes que le « catalyseur » qu’a été le 1er décembre peut déboucher sur une action continue.

Et contribuer à faire de la bibliothèque, suivant la belle expression d’un des participants, « un lieu banal », au double sens de lieu communal, espace de vie de la communauté, et de lieu public, ouvert sur le monde.