Le salon du livre de jeunesse de Montreuil
Isabelle Masse
Le Salon du livre de jeunesse de Montreuil fêtait son 10e anniversaire du 30 novembre au 5 décembre derniers, sous le grand chapiteau blanc dressé sur la place de la mairie. Ce salon, devenu, avec la Foire internationale de Bologne, un des deux grands rendez-vous européens du livre de jeunesse, est une immense librairie ouverte à tous, qui incite à la découverte de la richesse de ce secteur éditorial.
Le CPLJ (Centre de promotion du livre de jeunesse) 1, créé en 1993, qui souhaite favoriser la coopération au niveau européen, organisait cette année, dans le cadre des journées professionnelles, une rencontre intitulée Quelles coopérations pour le livre de jeunesse : l’espace européen, une ouverture pour l’avenir du livre de jeunesse ? avec la participation de cinq pays européens.
Allemagne et Suède
L’Allemagne était représentée par Barbara Scharioth, de la Bibliothèque internationale de Munich. Celle-ci, créée en 1948, est le plus grand centre de documentation du monde dans ce domaine : 450 000 ouvrages, en cent langues différentes. La dimension internationale de cette bibliothèque est en effet très importante, la participation à l’amélioration de la compréhension entre les peuples par le biais de la littérature étant une de ses missions. Elle organise des expositions, des conférences, des séminaires, et publie des catalogues. Le prêt aux enfants, les contacts avec les écoles lui permettent de ne pas se limiter au seul travail de recherche.
L’Institut suédois du livre pour enfants, représenté par Lena Törnqvift, existe depuis 1965. Il rassemble et répertorie la documentation sur la littérature de jeunesse et la lecture des enfants, travaille à la promotion de la recherche, et constitue un organe de contact international. Il possède 50 000 volumes et publie une revue Le livre d’enfant. Constituées au départ à partir de dons, les collections se constituent depuis 1967 par un dépôt légal des éditeurs. Il est connecté à la base de données Libris, et depuis 1989, travaille en association avec la Bibliothèque royale de Suède.
Espagne, Italie et France
Dolorès Lopez Casero présentait le Centre de littérature de jeunesse de Salamanque. Ce Centre, qui dépend du groupe d’édition Anaya, a été créé en 1981 pour favoriser la lecture, encourager les travaux de recherche, promouvoir le livre et les bibliothèques, solliciter la participation de toutes les parties concernées (parents, institutions, libraires, etc.), contrôler la qualité des publications, des traductions, mieux connaître enfants et utilisateurs, etc.
En Italie, existent trois grands secteurs de recherche : le milieu universitaire (six chaires de littérature de jeunesse), les fondations (la Fondation Collodi, par exemple), et les grandes bibliothèques pilotes. Dans les universités, la recherche est scientifique et historique, concerne les auteurs, les livres du passé, les études de thèmes. Dans les fondations/instituts, des équipes étudient les phénomènes actuels – courants éditoriaux, styles, thèmes, façons de communiquer –, et font des mises à jour continues. Y sont analysés par exemple le pourquoi et le comment du succès du livre de poche, de la prolifération des collections, les raisons de la demande de plus en plus insistante d’intrigues, comme éléments d’un conte, d’une histoire. La publication des contenus et des résultats des thèses de doctorat en histoire du livre de jeunesse est chose courante. Quelques bibliothèques pilotes ont un secteur spécifique de recherche et de documentation informatisée, et publient revues ou bulletins.
Carla Poesio précisait ensuite le rôle de la Biblioteca Rodari : évaluation des réactions des jeunes lecteurs, étude du choix des thèmes de recherche, dépouillement de la littérature grise dans ce domaine. Une publication trimestrielle rend compte des livres les plus significatifs.
Créée en 1965, la Joie par les livres, représentée par Caroline Rives, est un organisme rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le centre de documentation est ouvert à tous les publics, et possède 65 000 livres, des ouvrages spécialisés, des périodiques français ou étrangers, des dossiers documentaires. Depuis 1987, il bénéficie du dépôt légal des éditeurs. La Revue des livres pour enfants, qui paraît six fois par an, offre une dimension critique, est un lieu d’échanges, d’information, mais n’est ni un bulletin professionnel, ni une revue universitaire. La bibliothèque des enfants de La Joie par les livres, à Clamart, est un lieu de recherches et d’expériences dans le domaine de la lecture.
La Joie par les livres coopère avec d’autres bibliothèques, – la médiathèque enfantine de la Cité des sciences et de l’industrie –, avec l’atelier des enfants du Centre Georges Pompidou, l’Institut du monde arabe, le monde scolaire, et la Fédération française de coopération entre bibliothèques. Elle souhaiterait être plus présente au niveau international : IFLA, IBBY (International Board on Books for Young People), foire de Bologne, échanges avec l’Afrique noire, avec des organismes similaires, tels ceux représentés dans cette rencontre. Elle a également de nombreux projets : améliorer la communication avec le grand public, offrir et donner plus d’information sur la littérature de jeunesse, réfléchir sur l’avenir d’une bibliothéconomie des bibliothèques pour enfants, sur un engagement dans le travail de recherche autour du livre pour enfants, sur la redéfinition de la formation des bibliothécaires pour enfants.
Les échos du monde dans le livre de jeunesse
Dans une société où l’information arrive souvent aux enfants de façon violente et brutale, comment le livre peut-il structurer la réflexion de ceux-ci et favoriser leur relation au monde ? Quelles propositions dans l’édition ? La littérature peut-elle donner des clefs pour aborder et comprendre le réel ? Telles étaient les questions soulevées dans un autre des colloques organisés par le Salon.
Documentaire ou fiction ?
Charlotte Ruffault présentait « J’accuse », la collection qu’elle dirige aux éditions Syros, collection de textes réalistes, qui collent à l’actualité, à partir de thèmes dits tabous en littérature de jeunesse (disparitions d’opposants politiques, peine de mort, torture, prostitution enfantine). Cette collection a pour but de dénoncer la barbarie des hommes contre les hommes, et offre aux lecteurs adolescents un « territoire d’émotion » pour la compréhension du monde d’aujourd’hui. Le travail d’écriture se fait avec des associations internationales, des journalistes, par des enquêtes, des rencontres de témoins.
Quelles sont les réactions constatées ? Les adolescents, loin d’être choqués, sont touchés, émus, ont souvent envie de « faire quelque chose ». Les hésitations ont plutôt été enregistrées du côté des bibliothécaires, documentalistes, et des prescripteurs en général.
Azouz Begag 2, écrivain d’origine algérienne, préfère recourir à la fiction. Pour lui, la réalité n’existe pas, seule existe l’interprétation de la réalité. Le lecteur doit comprendre que l’auteur fait passer dans le texte une forme d’émotion, donc de subjectivité, qui ne correspond pas forcément à la réalité. La fiction permet d’atteindre l’émotion, une information hyperscientifique ne permettant pas toujours de rendre compte d’une situation.
Violence et télévision
La deuxième partie du débat s’éloignait quelque peu du support de départ, le livre. Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique, reprenait le thème de la relation de l’enfant à la réalité du monde, mais cette fois par l’intermédiaire de la banalisation de la violence à la télévision et de ses conséquences. Les événements mondiaux (guerres, conflits, crimes, etc.) montrés de façon très crue, très brutale lors des journaux télévisés ont-ils un impact sur les enfants et les adolescents ?
Pour Ignacio Ramonet, deux attitudes sont possibles : le mimétisme, c’est-à-dire la reproduction dans le réel (actes de violences, jusqu’à des extrémités telles que les crimes commis par des enfants sur d’autres enfants, rappelant des scénarios de séries télévisées), ou la catharsis, c’est-à-dire l’effet de purgation, de libération, l’absence de désir de reproduction de ces violences, l’absence de désir de les vivre. Une troisième attitude pouvant être un état d’angoisse. Ignacio Ramonet soulignait aussi avec insistance que voir n’est pas comprendre. Les images seules peuvent être trompeuses. Un travail de réflexion, d’explication s’impose, accompagné de l’indispensable apprentissage du décodage, qu’il est possible de faire, à partir du support livre, qu’il soit documentaire ou fiction.