Le livre de jeunesse, un patrimoine pour l'avenir

Christine Péclard

Ces deux journées de rencontres interprofessionnelles étaient organisées dans le cadre des manifestations célébrant les 70 ans de l’Heure Joyeuse, les 14 et 15 novembre 1994.

La première matinée intitulée Livres anciens pour la jeunesse et archives éditoriales : quel accès au patrimoine ? a permis de faire un état des lieux prometteur pour l’avenir. Les catalogues du Musée national de l’Éducation à Rouen et de la bibliothèque de l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique), en cours de constitution, représenteront à terme, un outil sans équivalent pour la recherche. La bande dessinée et l’image ont également un centre national à Angoulême depuis 1990. Les collections privées étaient représentées par des libraires de livres anciens et un collectionneur. A été souligné le manque de bibliographies de référence dans ce domaine. En ce qui concerne les archives d’éditeurs, l’IMEC (Institut de mémoire de l’édition contemporaine) est chargé, depuis 1989, de conserver, d’inventorier et de mettre en valeur le patrimoine qui lui est confié en dépôt.

Les historiens

L’après-midi était consacrée aux historiens de la littérature enfantine et à leurs méthodes. Ségolène Le Men et Annie Renonciat ont retracé la démarche utilisée pour l’élaboration de leurs différentes expositions. Jean-Yves Mollier (professeur à l’université de Versailles) et Gilles Ragache (auteur d’une thèse sur le livre de jeunesse sous l’Occupation) ont dénoncé la récupération idéologique de certains pans de la littérature de jeunesse. Annie Renonciat avait déjà fait émerger dans son exposition Livre mon ami, toute une littérature de propagande à l’usage des enfants éditée pendant les deux dernières guerres. Pour constituer son corpus, elle ne s’est pas contentée du fonds de l’Heure Joyeuse dans la mesure où il reflète les choix des bibliothécaires successifs. Nic Diament a adopté la démarche inverse pour réaliser son Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse, considérant que le catalogue de l’Heure Joyeuse était un bon témoignage des livres prescrits à une certaine époque.

Les rééditions

Le lendemain, après une introduction de Jean Perrot sur les pratiques éditoriales en matière de réédition, Isabelle Nières s’est interrogée sur le public concerné par les rééditions. S’agirait-il de livres d’hier pour enfants d’aujourd’hui ou de livres pour adultes nostalgiques, chercheurs ou enseignants. ? Elle a déploré la subordination de l’image au texte qui condamne les illustrations d’un texte vieilli. Parmi les éditeurs, Pascale Gallimard (Calligram) et Paul Feustier (Circonflexe) ont parlé des « coups de cœur » qui sont à l’origine de leurs rééditions : le fonds ancien de l’Heure Joyeuse et les conseils de la Joie par les livres les aident à dénicher les chefs-d’œuvres oubliés, bien qu’ils ne reçoivent pas toujours l’accueil qu’ils méritent. Jacqueline Duhême a fait entendre la voix des illustrateurs ballottés d’éditeur en éditeur au cours de rééditions aléatoires.

Les sources

Le dernier après-midi tentait d’inventorier les sources pour l’histoire de la lecture au XXe siècle. Martine Poulain a évoqué les différentes enquêtes sur la lecture réalisées depuis 1960, en relativisant les enseignements que l’on peut en tirer. Vu les a priori implicites des commanditaires, on peut les considérer tout au plus comme un préalable qui donne les grandes tendances, les clivages sociaux. D’autre part, les différents sondages ne sont pas comparables d’un pays à l’autre, faute de bases communes. Enfin ces enquêtes quantitatives ne tiennent pas compte de l’évolution des modes d’appropriation de la lecture.

Jacqueline Gascuel s’est penchée sur les archives de l’ABF (Association des bibliothécaires français). La virulence de certaines correspondances contraste avec l’aspect feutré du Bulletin, tandis que Raoul Dubois soulignait l’importance du « patrimoine humain ».

Geneviève Patte et Viviane Ezratty ont rendu hommage au souci des bibliothécaires de l’Heure Joyeuse de conserver des traces de leur travail dans les rapports d’activités soigneusement rédigés. Leurs voix s’étant en partie éteintes, ce sont les seules traces qui subsistent de leur aventure de pionnières et de leur étonnante modernité.