Innovation in Information

Twenty years of the British Library Research and Development Department

par Yves Desrichard

Jack Meadows

London ; Munich : Bowker Saur, 1994. – X-175 p. ; 23 cm. – (British Library Research Series). ISBN 1-85739-100-4

Le British Library Research and Development Department (BLRDD) est un établissement original, spécialisé dans la recherche, appliquée ou non, et les études relevant des sciences de l’information et des bibliothèques (ce qui ne semble pas inclure l’histoire du livre et de l’édition). Comme son nom l’indique, il s’agit d’un service de la British Library, à laquelle pour autant (et l’auteur du livre insiste longuement sur ce fait) il n’est pas « inféodé » : si, certes, une partie des travaux menés ou soutenus par le BLRDD le sont pour la British Library, la majeure partie est destinée à la communauté des bibliothèques anglo-saxonnes de toutes natures et de toutes disciplines, voire de certaines bibliothèques étrangères. De même, on apprend incidemment qu’à l’intérieur de la British Library, l’ensemble des recherches et études concernant les différents services n’est pas le fait du seul BLRDD, mais peut être mené en propre par les services concernés.

Histoire d’un établissement

À l’occasion du vingtième anniversaire de la création de ce centre, mais aussi, semble-t-il, pour faire face à des menaces qui pèsent sur son devenir, dans le cadre d’une réorganisation générale des services administratifs exerçant des activités de tutelle et de conseil sur les bibliothèques anglaises, Innovation in Information se propose de faire l’historique du BLRDD, et de présenter les principaux résultats de son activité. Il s’agit donc d’une vision a priori optimiste des acquis, du fait même que ce bilan ressemble quelque peu à une auto-justification, ne permettant pas de faire « sortir de l’ombre » les échecs et les infortunes de ce service, alors même que les uns comme les autres auraient pu être instructifs.

À cette réserve – importante – près, l’ouvrage pourra intéresser les professionnels français soucieux, ne serait-ce que dans un contexte européen, de connaître l’histoire d’un organisme qui, à sa création, n’avait pas d’équivalent, même si l’on peut estimer que, depuis, certains pays, dont la France, ont su se doter d’organismes de recherche aux ambitions comparables (à la Bibliothèque publique d’information, ou à l’Enssib par exemple). De même, nourrie de vingt ans d’expériences, l’intérêt de la réflexion sur les difficultés de la recherche en sciences de l’information excède largement les seules bibliothèques anglaises.

La première partie de l’ouvrage, assez passionnante il faut l’avouer, trace un historique administratif, intellectuel et technique assez fastidieux du BLRDD, né « Office for scientific and technical information ». Tous les bibliothécaires de tous les pays reconnaîtront, dans les errements administratifs, les diktats politiques, les changements « stratégiques » de dénomination, sans effet sur le contenu et les missions, des mésaventures semblables aux leurs, et qui, schématiquement, traduisent des phases alternatives d’intérêt et de désintérêt des politiques, sans même évoquer, mais c’est pourtant crucial, les périodes d’optimisme budgétaire et celles de récession vigoureuse – cette dernière semblant actuellement de mise chez nos amis anglais. On saura gré aux auteurs d’avoir essayé de trouver une cohérence administrativo-intellectuelle à cet historique chaotique – tout en n’ayant que peu d’illusions sur sa réalité...

Démarches et domaines de recherche

Dans une deuxième partie, Innovation for Information examine l’évolution des démarches et des domaines de recherche du BLRDD pendant ces vingt années, les modalités d’intervention selon les types d’établissement concernés (fortes dans le cadre universitaire, plus limitées en lecture publique), ainsi que les modes de collaboration avec les établissements, mais aussi avec les écoles professionnelles, les associations, d’autres types de chercheurs, d’autres grands organismes nationaux. Par-delà le descriptif d’intérêt parfois anecdotique des activités du BLRDD, on retiendra surtout les grandes lignes d’évolution de ces recherches, et les difficultés et peines de leur mise en œuvre.

Comme souvent, et même en anglais, on regrettera l’aspect verbeux et largement digressif de l’exposé sur les domaines de recherche abordés par le BLRDD pendant vingt ans. L’auteur ne fait que souligner des évidences : que, depuis vingt ans, l’introduction des techniques informatiques dans les bibliothèques a été un axe majeur de recherche et de réflexion n’a rien de très nouveau, ni de très surprenant ; que les chercheurs (dans ces disciplines) éprouvent beaucoup de difficultés à collaborer, voire à communiquer au plus large public intéressé les résultats de leurs recherches ne fera que confirmer ce que chacun peut deviner implicitement. De fait, on a souvent la désagréable impression qu’une large partie de l’activité du BLRDD a consisté à mettre sur pied d’ambitieux plans de recherche, bénéficiant de déclarations d’intention pleines de promesses – sans que, à l’heure des bilans, les résultats soient toujours à la hauteur des ambitions, pour des raisons sans doute pragmatiques (absence de financement), mais aussi structurelles.

Sur ce point, la troisième partie, qui s’efforce de faire le point sur l’apport du BLRDD à la recherche anglo-saxonne en sciences de l’information, et en prenant garde aux tendances hagiographiques soulignées plus haut, avive encore les ambiguïtés de la démarche, et stigmatise les problèmes inhérents à la recherche en la matière.

Une valse-hésitation

L’une des premières difficultés est liée à l’incapacité de définir précisément ce que sont les sciences de l’information, et à la difficulté concomitante de trouver un « corpus » de chercheurs en sciences de l’information clairement identifiés, dans leurs démarches, leurs méthodes, leurs domaines de recherche et d’intervention. De ce fait, entre une politique de distribution de subsides à des chercheurs demandeurs et une politique volontariste pour susciter enquêtes et études, le BLRDD a hésité, au fil des ans et des budgets – le volontarisme n’étant de mise que dans les années fastes.

On devine alors que l’équipe du BLRDD s’est toujours trouvée confrontée à un pénible dilemme : soit l’éparpillement de son budget entre des chercheurs poursuivant des buts « égoïstes », pas toujours faciles à replacer dans un contexte d’intérêt général, soit la mise en œuvre de programmes incitatifs, avec le risque de ne pas correspondre aux attentes et motivations d’organismes hétérogènes, et le risque associé d’être perçu comme une « mouche du coche », pourvoyeuse de fonds, voire de moyens humains, mais jamais impliquée jusqu’à la phase de réalisation d’un projet donné, ou de diffusion, voire d’application des résultats d’une recherche ou non commanditée.

De ces tentations contradictoires, Innovation in Information fait le constat, en en soulignant avec lucidité les défauts majeurs – qui sont, d’une certaine manière, ceux que l’on adresse à une bonne part de la recherche en sciences de l’information en général.

D’une part, en déplorant que les résultats des recherches ne soient pas toujours aussi largement diffusés qu’il le faudrait, et ne semblent pas toujours rencontrer l’écho que l’intérêt de certains travaux pourrait faire espérer. On relèvera à ce propos qu’involontairement, les auteurs confortent eux-mêmes ce reproche : ne pas avoir inclus en fin d’ouvrage une liste, sinon exhaustive du moins conséquente, des principales publications réalisées par le BLRDD (et notamment la série Reports, très utile).

D’autre part, en regrettant que les résultats des recherches soient presque toujours examinés comme une fin en soi, et non dans une perspective d’application à court ou moyen terme. Compréhensible, voire indispensable en physique des particules ou en biologie, la recherche pure paraît plus difficilement admissible dans nos disciplines, « hautement appliquées ». Il ne s’agit pas forcément de générer à court terme des aides à la décision, mais, au moins, d’offrir aux usagers bibliothécaires autre chose qu’un cadre de réflexion trop général pour être valablement utile, ou la énième prospection sur le multimédia ou les fameuses autoroutes de l’information. Même si rien n’est explicite, on devine quand même que le BLRDD a quelque difficulté à faire valoir une démarche parfois trop théorique, et dont les finalités restent obscures, autres que liées au fonctionnement propre de l’organisme concerné, ce qui, on en conviendra, n’est pas une justification suffisante. Dans ces conditions, est-ce un hasard si, sauf erreur ou omission, il n’est fait nulle part mention dans l’ouvrage d’études d’impact ou de satisfaction initiées par le BLRDD auprès de ses usagers ?

Points de vue sur la recherche

Par-delà l’analyse d’un cas spécifique, Innovation in information vient souligner les dilemmes fondateurs de toute démarche de recherche dans les disciplines bibliothéconomiques : l’incapacité matérielle des praticiens du terrain à s’investir dans une démarche de recherche longue et prenante et, de ce fait, le risque pour des chercheurs appointés, mais hors du contexte professionnel, de voir leurs recherches biaisées, et les résultats de celles-ci inutilisables ; la difficulté à circonscrire un champ d’investigation ni trop vaste pour éviter l’écueil d’une réflexion trop spéculative, ni trop ponctuel pour ne pas rester une simple étude de cas. Enfin, les délais et les modes de mise à disposition des résultats de recherche sont trop souvent des points critiques pour qu’on ne relève pas, là encore, une cause majeure de dysfonctionnement.

Par-delà l’opportunisme de son propos, et l’aspect « anglo-anglais » de son contenu, Innovation in Information apporte d’intéressants points de vue sur la recherche en sciences de l’information, en en soulignant l’intérêt et les limites, à l’aune d’une expérience exceptionnelle, quoique difficilement transposable – et en prouvant que le « complexe anglo-saxon » encore éprouvé par nombre d’entre nous n’a rien d’un absolu.