Les services publics et les populations défavorisées

évaluation de la politique d'accueil

par Michel Manavella

Comité interministériel de l'évaluation des politiques publiques

Paris : La Documentation française, 1993. - 331 p. ; 24 cm.
ISBN 2-11-003011-9: 130 F

Ce livre, par la richesse de ses informations couvre la quasi-totalité des problématiques posées par les situations d'accueil du public. Cependant sa construction le rend difficile à lire : le rapport principal (chapitres 1 à 3), puis chacun des organismes enquêteurs (chapitre 4) et enfin les organismes officiels (annexes) posent à leur manière leur problématique de l'accueil, développent leur argumentaire et tirent leurs conclusions. Cette compilation de textes se renvoyant les uns aux autres impose au lecteur un effort d'analyse et d'aller-retour à travers les pages s'il veut trouver un schéma global qui lui permette d'organiser sa connaissance des problèmes de l'accueil ; réflexion et analyses se mêlent sans cesse dans un va-et-vient entre l'approche centrée sur « les besoins des personnes défavorisées » et l'approche centrée sur la « logique de fonctionnement des institutions ».

Des informations essentielles

Il n'en demeure pas moins que cet ouvrage donne des informations essentielles pour l'approche d'un problème aussi complexe. Par exemple dans la distinction « accueil-guichet » - court moment limité à une demande de service et à une réponse -, et « accueil-insertion » - temps qui peut être un accompagnement à long terme en vue d'une aide concrète ou d'une (ré)éducation à la vie en société ; dans l'analyse de l'évolution de l'image des personnes défavorisées qui, « d'ayants droit » (bénéficiaires d'une politique redistributive de biens) deviennent aujourd'hui « partenaires » de leur réinsertion ; ou encore dans l'évocation de la nécessité de « professionnaliser » les métiers de l'accueil.

Mais toutes ces informations pertinentes sont noyées les unes dans les autres, ce qui ne permet pas de dégager des objectifs ou priorités d'actions claires, non plus que les stratégies et moyens à mettre en œuvre pour traiter ou évaluer des problèmes pourtant bien posés ; et lorsque des initiatives d'amélioration tentées en certains lieux sont décrites, on ne peut non plus en apprécier l'efficacité et la pérennité, ni connaître les modalités de mise en œuvre.

Peut-être cette difficulté à pouvoir tirer des propositions d'action pratiques de cet ouvrage est-elle renforcée par la volonté de ne pas extrapoler à partir des données recueillies, car on trouve très peu de propositions novatrices : si par exemple « l'information au public » est évoquée comme devant faire l'objet d'un effort particulier, rien n'est proposé pour les publics illettrés, alors qu'on a appris que le pourcentage de personnes incapables de comprendre suffisamment un texte écrit est d'au moins 9 % de la population adulte.

Les organismes enquêteurs

Quant aux documents du chapitre 4 et des annexes, ils sont dans l'ensemble complémentaires ; et s'ils permettent de comparer la vision des services publics, des associations, des usagers et des organismes de recherche, ils permettent aussi de comprendre les limites mêmes du champ de cette évaluation. Le Cerfise (Centre d'études, de recherches et de formation institutionnelle du Sud-Est), par exemple, centre une analyse intelligente sur le paradoxe du statut de « l'usager défavorisé ». Le Ceris (Centre d'études et de recherches sur l'intervention sociale) insiste avec pertinence sur la non-articulation de services pourtant complémentaires, et le Cerf (Centre européen de recherche et de formation) souligne la nécessaire adaptation des services aux particularités du territoire. En revanche, on ne sait comment prendre en compte les deux enquêtes menées par Regard 1 sur des quartiers de Lille et Lyon puisque les comptes rendus se ressemblent au point que la conclusion de l'enquête sur Lille est exactement la même que celle portant sur Lyon...

Il semble bien que le manque d'une « colonne vertébrale » au livre lui-même découle en grande partie du manque de cohésion et de coordination de l'enquête. Les documents offerts font regretter (comme le rapport des inspections générales) que seul le milieu urbain relevant des DSQ (développement social des quartiers) ait été pris en compte 2 ; ou encore que la « sociologie des organisations » n'ait pas fait l'objet d'une étude plus approfondie 3 selon la recommandation du CSE (Conseil scientifique de l'évaluation).

Toujours est-il que cet ouvrage représente un tour d'horizon suffisamment argumenté pour qu'on puisse en conseiller la lecture à toute personne chargée d'organiser les structures d'accueil... ou à des étudiants pour analyser les méthodes d'enquêtes et d'audits...

  1. (retour)↑  Entreprise menant des enquêtes, des audits,...
  2. (retour)↑  Moins nombreuses peut-être et en tout cas plus discrètes, les misères des petites villes et des hameaux posent également un problème social important.
  3. (retour)↑  Ne serait-ce que pour montrer les conditions de travail aberrantes de certains services : lorsqu'un conseiller professionnel de l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi) ou un accompagnateur RMI (revenu minimum d'insertion) ne dispose que de 7 à 10 minutes pour « chaque entretien individuel », peut-on encore parler « d'accueil » ?