The New British Library
Alan Day
ISBN 1-85604-070-4
La première charge publique du futur roi Guillaume V, fils du prince Charles, sera l'inauguration de la nouvelle British Library, à Saint-Pancras... En évoquant cette rumeur qui a circulé à la fin de 1991 sur les délais d'ouverture du bâtiment de Saint-Pancras, Alan Day indique, dès l'abord de son ouvrage consacré à la New British Library, la distance qu'il a choisi d'instaurer entre son sujet et les polémiques que celui-ci a fait naître.
Le terrain qu'Alan Day choisit d'occuper est en effet avant tout celui du bibliographe : la British Library, dans son organisation actuelle comme dans sa forme future, nous est donnée à voir exclusivement à travers les écrits - nombreux et parfois difficilement accessibles - qui ont pu lui être consacrés. Mais ce livre n'est pas pourtant un guide bibliographique, encore moins un guide du lecteur (d'ailleurs écrit par l'auteur en 1988) : il mêle en fait, selon une formule inusitée de ce côté de la Manche, une histoire de projet, vécue de l'extérieur, mais reposant sur des connaissances très précises (Alan Day fut professeur en sciences de l'information et des bibliothèques à l'Ecole polytechnique de Manchester jusqu'à sa retraite en 1990), et une description minutieuse de l'institution, en ses différents sites (Londres et Boston Spa, dans le Yorkshire). En conséquence, l'ouvrage peut se lire à deux niveaux : celui du projet et celui de la Bibliothèque nationale britannique actuelle, avec ses richesses et ses enjeux.
L'histoire du projet
Alan Day rappelle tout d'abord l'histoire du projet, depuis l'acceptation du terrain de St-Pancras en 1975 par la toute jeune British Ubrary, à peine émancipée du British Museum, le début de la construction du bâtiment en 1982, et le premier dépassement financier, en 1987, qui aboutit au premier arrêt des travaux.
L'auteur insiste plus particulièrement sur les années 1988-1993, au cours desquelles, les difficultés financières s'accumulant et l'opposition au projet s'organisant, les ambitions initiales furent progressivement réduites. Le programme originel (1977) prévoyait en effet le regroupement en 2002 de tous les services londoniens (25 millions d'ouvrages) en un seul site offrant 3 500 places de lecture, pour un coût estimé à 164 millions de livres sterling.
En 1988, le constat de dérives financières conduisit à une réévaluation du coût du projet à 400 millions de livres, assortie d'un resserrement du calendrier (achèvement en 1996) et d'une réduction des ambitions : transfert partiel de certains services sur le site de Boston Spa. L'année 1990 apparaît comme une des plus difficiles pour la British Library.
En quelques mois, elle eut à faire face à deux campagnes hostiles dans la presse : la première relaya l'opposition au déménagement menée par les grands lecteurs ; la seconde, lancée après l'étude réalisée par le « National audit office », imputa à la seule direction de la bibliothèque les déficiences des trois organismes d'Etat chargés de conduire le projet.
Cette même année 1990 vit la réduction du nombre de places, ramené à 1 176 à Saint-Pancras, contre 1 103 dans les actuelles salles de Bloomsbury (sciences humaines) et Holbom (sciences), ainsi que la diminution des capacités de stockage, qui seront vraisemblablement saturées dès le début du XXIe siècle et non vers 2030 comme initialement prévu.
Depuis, comme le signale périodiquement la presse française, les avanies ne cessent de s'accumuler : si certaines, tels les problèmes de rayonnages et de câblages endommagés semblent pouvoir être surmontées, d'autres comme le sort du terrain destiné à recevoir, sur le site de St-Pancras, une extension abritant le National Sound Archive, une nouvelle salle de lecture et un atelier de reliure, semblent ne pouvoir être réglées par l'établissement seul.
L'institution actuelle
La majeure partie de l'ouvrage est consacrée à l'institution aujourd'hui : son organisation, sa politique documentaire, ses collections, ses objectifs. Alan Day accompagne le lecteur au cœur des principaux sujets de réflexion qui ont occupé la British Library ces demières années et ont débouché sur des plans d'action pour les années à venir : dépôt légal sélectif, coopération en matière de conservation, recentrage sur les pôles d'excellence de la bibliothèque, instauration d'un catalogage partagé pour un tiers de la production éditoriale du Royaume-Uni.
L'étude des services installés à Londres souligne à la fois l'ampleur des collections et l'avance acquise par la British Library dans le domaine du disque optique compact : CD-Rom du British Library Catalogue to 1975 (1989, disponible sur Janet, le réseau national britannique, depuis 1993), CD-Rom de l'Eighteenth century short title catalogue (1991), CD-Rom des 62 volumes du catalogue de la Music Library (1993), ou encore l'ensemble d'un million de brevets européens et nord-américains sur CD-Rom. A Londres toujours, on découvre l'original Research and development department, service qui ne mène aucune recherche directement mais alloue des bourses à différentes bibliothèques du Royaume-Uni, en fonction de programmes précis, tels que l'encouragement de la recherche bibliographique, la constitution du British national corpus (une base de données d'environ 100 millions de termes anglais contemporains, commencée en 1981), ou le programme Information UK 2000, lancé en 1990 et destiné à évaluer l'impact des évolutions technologiques sur l'information.
Le Document Supply Center
L'attention du lecteur français sera particulièrement retenue par le Document Supply Center (DSC) de Boston Spa et ses 2,7 millions de volumes, ses 49 000 titres de périodiques, sa collection de 314 000 Actes de congrès, la plus importante au monde. L'ampleur des demandes traitées (14 000 par jour) et des recettes dégagées (22 millions de livres sterling par an) a en effet de quoi fasciner. Alan Day, que l'on sent particulièrement intéressé par ce Centre, livre quelques-unes de ses meilleures pages lorsqu'il évoque les débats de ces dernières années relatifs à son avenir.
Voici l'un d'entre eux, parmi les plus importants : unique au monde, le DSC est-il encore une structure adaptée, au moment où les nouvelles technologies modifient singulièrement l'accès à distance aux documents ? La réponse semble bien être positive, car même si les technologies de transmission à distance se généralisaient rapidement, le taux de satisfaction (proche de 90 %) que recueille le DSC grâce à ses moyens humains et à ses collections continuerait vraisemblablement à faire la différence avec de plus petites bibliothèques, possédant les documents recherchés, mais devant faire face à bien d'autres missions.
Le National Bibliographic Service
Alan Day termine son ouvrage par l'étude du National Bibliographic Service, installé lui aussi à Boston Spa depuis 1991. Retenons deux de ses caractéristiques : l'établissement de pré-notices bibliographiques, rédigées sur la base des informations foumies par les éditeurs et insérées dans les ouvrages lors de leur impression (système qui devrait s'améliorer grâce au développement des échanges de données informatisées), et l'existence d'un Center for Bibliographic Management, intégré depuis 1992 à l'UK Office for Library and Information Networking, et chargé d'améliorer le rendement du catalogage, d'en abaisser le coût, et d'évaluer le taux de satisfaction des bibliothèques recourant aux notices diffusées.
C'est véritablement la visite d'un monde à part entière qu'offre cette New British Library. Aussi regrette-t-on l'absence d'un tableau de synthèse, sorte de carte décrivant l'univers parcouru, qui aurait permis d'ancrer les idées et de retrouver quelques points forts sans se lancer à nouveau dans ces pages denses. Mais ce manque est le seul regret véritable qu'inspire la lecture de l'ouvrage, qui représente sans doute, de par la sobriété de son ton, la neutralité qu'il affiche et l'ampleur des informations qu'il renferme, la meilleure défense possible de la British Library.
On ne peut que féliciter de son initiative l'éditeur (la Library Association) qui nous permet de découvrir un ouvrage rigoureux et fort utile ; utile au bibliothécaire et au bibliographe certes, mais aussi utile à l'honnête homme qui s'intéresse à la politique culturelle et souhaite connaître sans parti pris la façon dont est conduite en Grande-Bretagne la mutation d'une bibliothèque nationale.
Signalons à ce titre, en conclusion, cette tentative d'explication donnée par la British Ubrary aux attaques dont elle a fait l'objet : l'établissement n'aurait pas su assurer une communication suffisante, en direction du large public. Voilà une analyse qui ne manquera pas de rappeler celle que faisait Jean Gattégno, en 1992, dans sa Bibliothèque de France à mi-parcours...