Guide européen du livre de jeunesse

par Caroline Rives

Centre de promotion du livre de jeunesse (Seine Saint-Denis)

sous la dir. de Henriette Zoughébi
Paris : Ed. du Cercle de la librairie, 1994. - 484 p. ; 27 cm.
ISBN 2-7654-0550-6 : 240 F

En publiant cet important ouvrage, le Centre de promotion du livre de jeunesse (CPLJ) comble un vide et ouvre des pistes. L'expérience acquise à travers l'organisation du Salon du livre de jeunesse, qui se déroule à Montreuil chaque année en décembre, lui avait déjà permis de publier les usuels : le Guide des auteurs, le Guide des utilisateurs, l'étude de Jean-Marie Bouvaist sur l'état de l'édition de livres pour enfants en France, ainsi que des publications plus classiques, bibliographies ou catalogues d'expositions.

Le Guide européen du livre de jeunesse est ambitieux à plusieurs titres : il se veut description du paysage de l'interprofession du livre pour enfants en France et dans les divers pays européens (au sens large et non réduit à l'Europe des douze), et dans ce cadre-là, il constitue un formidable camet d'adresses. Il veut aussi délimiter des enjeux et affirmer des objectifs : de nombreux spécialistes ont été conviés à y donner des points de vue personnels sur l'édition, l'illustration, l'écriture romanesque, les bibliothèques... Cette démarche se manifeste aussi dans l'iconographie, constituée d'un travail photographique de Michel Chassat, qui n'illustre pas, mais propose en contrepoint son propre discours sur l'enfance et la lecture.

La situation française

Celle-ci occupe les deux tiers du livre. Sont envisagés successivement l'édition, la création, les médiateurs, les actions de promotion et de formation. On peut remarquer dès l'abord que c'est de la composante culturelle du rapport au livre pour enfants qu'il s'agit ici. Il serait intéressant de voir l'Education nationale opérer un travail de synthèse du même ordre sur la place du livre pour enfants à l'école.

Dans le premier chapitre, un texte bref de Christian Bruel situe les enjeux individuels et politiques de la lecture enfantine, et Jean-Marie Bouvaist met en perspective les données chiffrées du marché. Suit un annuaire des maisons d'éditions spécialisées, plus facile à utiliser que les répertoires généraux, et qui permet de combler le vide laissé par l'obsolescence de l'Annuaire de l'édition pour la jeunesse publié en 1988 par ACCES-Nord et le CRL Midi-Pyrénées. On peut rester plus sceptique sur l'utilité pratique de la liste des collections : le choix et le classement en sont forcément difficiles, subjectifs, très rapidement dépassés. Le chapitre se conclut sur la présentation des organismes représentatifs, Syndicat national de l'édition, et France-Edition.

La création est envisagée dans sa double dimension, romanesque et visuelle. Des spécialistes, Bemard Epin et Claude-Anne Parmegiani, des créateurs, Jean Claverie et Claude Gutman, développent des approches contrastées et complémentaires pour situer ce qui distingue et ce qui rapproche livres pour enfants et livres pour adultes. Le CPLJ mène l'enquête sur le taux de féminisation, les spécialisations, le niveau d'études, les métiers parallèles des auteurs/illustrateurs, et la question fondamentale de leur rémunération. Des adresses sont données pour prendre contact : Centre national du livre, Charte des écrivains et des illustrateurs, Société des gens de lettres de France. On souhaiterait que parallèlement puissent être réédités et actualisés le Guide des auteurs et le Guide des illustrateurs, qui compléteraient ce panorama.

Librairies, diffusion, bibliothèques

La place du livre de jeunesse en librairie est analysée par Marianne Grangié, rédactrice en chef de Livres Hebdo. Suit une liste géographique de quelque 350 points de vente, qui complète celle de l'Association des librairies spécialisées jeunesse, présentée de façon plus détaillée. Un flash sur la distribution du livre de jeunesse en Seine-Saint-Denis, à partir d'une enquête qu'a menée le CPLJ, actualise partiellement l'article sur le livre pour enfants dans les grandes surfaces que Françoise Legendre avait publié dans le Bulletin des bibliothèques de France *. Jacqueline Gascuel retrace l'histoire de cette jeune institution qu'est la bibliothèque pour enfants en France, dont Geneviève Patte et Henriette Zoughébi analysent à deux voix les évolutions et les perspectives. Rappelant que la Direction du livre et de la lecture foumit la liste des bibliothèques publiques, le CPLJ présente les réservoirs de ressources que sont les centres de documentation spécialisés en littérature de jeunesse, et les principales associations (Association des bibliothécaires français, IBBY France, Culture et bibliothèques pour tous).

Le CPLJ présente enfin les moyens de promotion : la place du livre de jeunesse dans les médias généralistes, les revues spécialisées, les publications des libraires, les prix littéraires, les salons du livre. Alice Petit retrace quelques parcours d'éditeurs remarquables, et la première partie se termine sur un bref tour d'horizon aux métiers du livre. Cette brièveté, remarquons-le au passage, nous semble symptomatique des ambiguïtés et des incertitudes qui caractérisent aujourd'hui l'avenir de la formation des bibliothécaires.

Coopérations internationales

Si on a pu jusque-là évaluer le chemin parcouru en si peu de temps par le livre pour enfants en France, la deuxième partie va plus loin, vers une prospective stimulante, en fournissant les informations de base nécessaire à la mise en œuvre de coopérations internationales dans le domaine du livre pour enfants. Pour chaque pays, on trouve des adresses d'éditeurs, d'auteurs et d'illustrateurs, de bibliothèques, de librairies, de revues spécialisées, de manifestations, d'organismes documentaires ou militants... Au-delà de la sécheresse apparente qui caractérise les annuaires, on peut sans difficulté deviner entre les lignes un paysage contrasté, marqué par des différences économiques et culturelles, puisque les hasards de l'alphabet font suivre l'Albanie par l'Allemagne, et font clore la liste par l'ex-Yougoslavie, dont le CPLJ nous rappelle la tragique actualité. Cet énorme défrichage d'un champ nouveau a été rendu possible par la mise en œuvre de collaborations multiples, dont le générique final permet de mesurer l'ampleur, et on ne peut être qu'admiratif devant le résultat.

En conclusion, le CPLJ propose une bibliographie internationale de livres et d'articles sur le livre pour enfants (où l'aspect franco-français reste néanmoins dominant), et un palmarès forcément subjectif (mais quel serait l'intérêt de prétendre procéder autrement ?) de livres remarquables par leur écriture ou leurs images, français ou traduits, publiés dans l'édition française des 20 dernières années.

Instrument de travail pour un centre de documentation tel que la Joie par les livres, puisqu'on peut voir réunie en un seul volume une somme d'informations qu'on devait chercher en tous sens au gré des questions, le Guide européen du livre de jeunesse permet à l'ensemble de ses utilisateurs potentiels d'accéder à une plus grande autonomie : les politiques de lecture se conçoivent de plus en plus en partenariat. Le Guide est un outil essentiel de mise en rapport direct dans le cadre de l'interprofession, et d'ouverture sur l'extérieur. Se posera néanmoins dans l'avenir le problème de sa réactualisation : beaucoup des informations qu'il donne sont par nature éphémères, et sa publication pose la base du travail critique qui permettra de le compléter, de l'affiner, de l'enrichir. Souhaitons donc bonne chance, bon courage et les moyens nécessaires au CPLJ pour poursuivre sa tâche.