L'espace bibliothéconomique suisse hier, aujourd'hui, demain
Bibliotheksraum Schweiz : gestem, heute, morgen : en hommage à Gustave Moeckli
Vevey : Ed. de l'Aire, 1993. - 362 p. ; 21 cm.
ISBN 2-88108-319-6
La tradition des mélanges offerts à une personnalité renommée du monde intellectuel ou scientifique est longtemps demeurée peu ou prou l'apanage de l'université. Imitée de façon toute sporadique par certaines institutions culturelles auréolées d'un moindre prestige, l'alma mater sait en effet, mieux que toute autre, honorer ses maîtres les plus brillants au soir de leur carrière, par l'offrande d'un volume collectif entrepris à l'initiative de disciples reconnaissants, de collègues et d'amis. Entourés d'illustres professeurs, de grands bibliothécaires figurent cependant, en nombre certes réduit, parmi les dédicataires de semblables recueils, aussi bien en France qu'à l'étranger. Leur recensement pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un intéressant artide de bibliographie.
Ainsi y lirait-on, entre autres, les noms de Jean Bonnerot, Julien Cain, Frantz Calot, Albert Kolb, Gustav Hofmann ou, plus récemment, ceux de Thérèse Kleindienst et de Jean Bleton. Ces œuvres collectives ne sont pas seulement l'évocation, discrète autant qu'indirecte, d'une vie de travail, mais constituent aussi de très appréciables contributions à la mémoire de la profession, laquelle reçoit toute nouvelle parution de ce type comme une sorte de miroir qui lui est tendu.
Gabrielle von Roten et Martin Nicoulin ont réuni vingt-trois articles - dus à vingt-quatre auteurs - sous le titre de L'Espace bibliothéconomique suisse hier, aujourd'hui, demain, livre publié en hommage à Gustave Mœckli à l'occasion de son départ de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève, qu'il dirigea durant une décennie (1983-1993). Tous les collaborateurs sollicités, à l'exception d'un seul, luxembourgeois, exercent des responsabilités dans des établissements de la Confédération helvétique, pays où le plurilinguisme est de règle. Cette situation culturelle singulière nous vaut un volume bilingue, dominé toutefois par les contributions en français (dix-sept), l'allemand n'ayant été utilisé que par six auteurs. Notons au passage l'absence de l'italien.
Le titre et le sous-titre retenus pour ces mélanges Mœckli montrent combien les éditeurs souhaitaient que fût brossé un ample panorama des bibliothèques helvétiques. De fait, sont abordés des domaines aussi divers que l'histoire de la profession et des associations qui la représentent, le livre ancien et le patrimoine écrit en général, la place tenue par les services d'archives, l'information scientifique et technique, sans oublier certaines questions bibliothéconomiques plus traditionnelles, telles que la gestion des collections ; sans omettre non plus la présentation monographique d'établissements de la Confédération.
La part du lion
Sans doute n'est-il pas indifférent que le tiers des études concement directement l'informatique, laquelle se taille la part du lion. Il s'agit, il est vrai, de la spécialité de Gustave Mœckli et du domaine professionnel dans lequel il s'illustra avant de diriger la Bibliothèque genevoise. Regrettons à ce propos que la carrière et les publications du dédicataire, dont un beau portrait ouvre le volume, n'aient pas été rappelées. L'introduction reste singulièrement allusive à cet égard.
Le sommaire, donc, se signale par sa richesse et sa diversité. Impression de variété renforcée peut-être par le fait que les articles ont été rangés - déformation professionnelle ! - dans l'ordre alphabétique des auteurs, ce qui nous vaut de passer sans transition de la Vereinigung Schweizerischer Bibliothekare à des réflexions sur le rôle du livre dans la nomenclature botanique, elles-mêmes suivies de considérations sur un projet de catalogue collectif de livres anciens, etc. Sans doute eût-il été préférable de regrouper les textes relevant peu ou prou du même domaine et d'organiser le volume en quatre ou cinq grandes parties. La cohérence de l'ensemble s'en serait trouvée accrue. Leur nombre et parfois leur longueur rendent aléatoire un examen détaillé de chacun des écrits offerts à Gustave Moeckli. Du moins vaut-il la peine de les signaler, en les réunissant ici par « centres d'intérêt ».
Passons sur l'essai un rien déconcertant que livre Hermann Köstler sous la forme de Nouvelles de l'an 2083, propre à vouer d'emblée à l'échec nos tentatives de classification... Deux auteurs se sont intéressés à l'histoire des organisations professionnelles, Robert Barth en étudiant la naissance et l'expansion de la Vereinigung Schweizerischer Bibliothekare, à laquelle on a fait allusion plus haut, Jacques Cordonier évoquant pour sa part la transformation « structurelle » de l'Association des bibliothécaires suisses en Association des bibliothèques et bibliothécaires suisses. Par ailleurs, deux établissements font l'objet de monographies : la bibliothèque de l'université de Neuchâtel (Alain Jeanneret) et la bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg (Martin Nicoulin).
Soucieux d'en montrer le développement progressif, Fredy Gröbli explore le domaine de la recherche bibliothéconomique dans son pays, sous la forme d'une bibliographie de travaux, récents pour une bonne part, tandis qu'Hubert Villard pose un regard neuf sur un problème ancien, celui de la « gestion dynamique des collections » pour remédier au manque d'espace dans les magasins. Leur engorgement est du reste parfois provoqué par les entrées massives enregistrées au titre du dépôt légal, « institution entre tradition et modemité » dont Gabriel Frossard examine le fonctionnement « décentralisé » dans la Confédération.
Aux frontières de la bibliothéconomie et de l'archivistique, Christoph Graf envisage, sous un angle historique et prospectif, les rapports qu'entretiennent deux types d'établissements - bibliothèques et archives - à la fois très proches et complémentaires, en mettant l'accent sur la collaboration qui doit exister entre elles. Dans une perspective que les documentalistes ne désavoueraient point, Frank Chapman recense les besoins documentaires spécifiques engendrés par le développement du droit communautaire, tandis que Jul Christophory présente Sigle, une base de données consacrée à la « littérature grise » alimentée depuis 1985 par une dizaine de pays.
Les chiffres et les lettres
Nous avons souligné déjà combien l'informatique avait inspiré nombre de collaborateurs du volume. Qu'il s'agisse des réseaux (Jacqueline Court, Monika Hutter), des « réservoirs de notices » (Hannes Hug) ou de l'importance de l'évolution technologique dans l'informatisation des bibliothèques (Bemard Levrat) ; que l'on considère l'enseignement de l'informatique destiné aux bibliothécaires (Yolande Estermann Wiskott), la recherche documentaire informatisée et ses insuffisances (Alain Jacquesson et Christian Pellegrini) ou enfin la « solution composée » d'informatisation, qui combine le travail en réseau et les fonctions proprement locales (Jacques Rychner). La moisson, on le voit, est riche. N'oublions pas de mentionner la lettre qu'un informaticien entré dans les bibliothèques, Jean-Frédéric Jauslin, adresse, sous le double patronage de Pascal et d'Umberto Eco, à Gustave Mœckli, lui-même passé de l'univers de l'ordinateur à celui du livre, des chiffres aux lettres.
La bibliologie historique n'est pas absente des mélanges, grâce notamment à la très intéressante contribution d'Hervé Burdet sur le rôle joué par le livre dans la constitution du « savoir botanique ». Antal Lökkös s'intéresse, quant à lui, à quelques impressions genevoises du XVIe siècle particulièrement rares, tandis que Jean-Daniel Candaux émet diverses propositions susceptibles d'être prises en compte dans la mise en oeuvre d'un catalogue général des livres anciens conservés en Suisse. Enfin, Jean-Charles Giroud, en se demandant, non sans provocation, s'il « faudra brûler les bibliothèques » médite sur l'oubli et sur « le rôle social des bibliothèques de conservation », lesquelles menacent peut-être de « s'effondrer sous leur propre poids... »