La lecture publique en Seine-Saint-Denis

par Didier Guilbaud

Louis Yvert

Bobigny : Département de Seine-Saint-Denis, Conseil général, 1992. - 213 p. ; 30 cm.

Le regard incisif de Louis Yvert, inspecteur général honoraire des bibliothèques nous manquait depuis quelque temps ! Les 213 pages qu'il consacre au département de la Seine-Saint-Denis pallie un peu cette absence : 131 pages de commentaires d'une enquête menée pour l'essentiel en 1991 et 1992, 27 tableaux qui reprennent les statistiques de la DLL (Direction du livre et de la lecture), mais particulièrement bien relayés par 84 autres tableaux analytiques. Une organisation apparemment classique : présentation du département, exploration des équipements de la Seine-Saint-Denis, c'est-à-dire des 38 bibliothèques municipales qui ont participé à l'enquête (représentant 94,4 % de la population du département) en fonction des financements, niveaux d'équipements, heures d'ouverture, prêts individuels et collectifs, etc. Un dernier chapitre traite de la coopération.

Bien au-delà des statistiques se profile la « méthode Yvert » : des chiffres reliés aux enquêtes précédentes (notamment celle menée en 1981 par Henriette Zoughébi) et les statistiques nationales des bibliothèques municipales, une analyse fine des données qui relativisent des indicateurs tels que les statistiques de nombre de lecteurs et amènent à s'interroger sur ce qu'est réellement une bibliothèque. Il conviendrait de pouvoir s'arrêter longuement sur chaque tableau de manière à en saisir les réels prolongements au-delà de la réalité exprimée par les chiffres. De ce fait, ce rapport Yvert est un exemple méthodologique qui devrait inciter chaque responsable d'équipement à tenter une telle prospection dans sa commune, ou son département (au moins).

L'état des lieux

De prime abord, il apparaît bien que le département de Seine-Saint-Denis vaut pour son originalité : département urbain (un tiers de la population concentré dans les communes de 50 à 100 000 habitants, 60 % dans les communes de 20 à 50 000 habitants, et moins de 2 % dans les 5 communes de moins de 10 000 habitants. A ce compte-là, il est vrai qu'une bibliothèque centrale de prêt aurait peu d'audience ! On notera également la densité de population (5 876 habitants au km2 soit 5 fois plus que dans le reste de l'ile-de-France) et le fait que le département est coupé par de nombreuses voies de communication, ce qui joue un rôle considérable dans le mode de desserte des populations.

Une seule bibliothèque dispose d'un fonds ancien, celle de Saint-Denis, créée en 1799, mais on comptera 25 bibliothèques en 1914 sur les 39 existantes aujourd'hui. Indices du développement des bibliothèques : l'augmentation significative des emplois qualifiés (47,3 % des effectifs contre 10,2 % en 1968) et de la dépense par habitant (qui passe à 82,78 F/hab. contre 58,41 F/hab. en 83), ce qui place aujourd'hui le département devant la moyenne nationale.

Les chiffres moulinés dans ce rapport laissent clairement apparaître que les villes qui cumulent la trilogie d'équipements (centrale/ annexe/bibliobus) atteignent des résultats plus importants si l'on se réfère aux statistiques d'emprunt (2,92 prêts par habitant, par contre 1,72 pour les villes n'ayant qu'une bibliothèque centrale).

Sans pouvoir évoquer ici tous les indicateurs utiles du niveau d'équipement des bibliothèques, arrêtons-nous sur les statistiques de prêts et de lecteurs dont Louis Yvert nous dit qu'il s'agit d'indicateurs incontoumables bien que, d'une part, le décompte des emprunteurs actifs ne se soit que récemment amélioré et que, d'autre part, le prêt ne représente pas la seule activité des bibliothèques. Si les chiffres d'emprunteurs sont comparables en Seine-Saint-Denis et en France (43,6 % d'enfants contre 40 % sur l'ensemble du territoire ; 23 % d'actifs), on remarque un phénomène qui peut paraître surprenant : plus on est âgé, moins on lit (6,29 % d'emprunteurs chez les 19,03 % de personnes âgées de 55 ans et plus, égalité quasi complète pour les 20-24 ans : 8 %). En ce qui conceme les prêts, on remarquera que tout en suivant une courbe identique à l'ensemble des départements, le prêt reste toujours inférieur à la moyenne nationale.

Parmi les causes de cet état de fait, les heures d'ouverture, en retard en Seine-Saint-Denis par rapport à la moyenne nationale (24 h 15 par semaine contre 26 h 15). On sait combien Louis Yvert est attaché aux heures d'ouverture *. Il s'agit toutefois d'un dilemme exprimé par les bibliothécaires dionysiens : faut-il ouvrir plus et faire moins d'animation et autres activités, la qualité du service se mesure-t-elle uniquement au nombre d'heures d'ouverture ? Le débat reste largement ouvert.

Dans l'introduction du rapport, Louis Yvert nous livrait une définition toute personnelle de la bibliothèque municipale : « service dont l'objectif est la rencontre entre deux populations : un public et des livres ou autres documents (...), possible à travers la médiation d'une troisième population : un personnel hautement qualifié (avec...) en amont une volonté politique municipale »...

En effet, ce sont bien sur ces points que s'expriment les écarts entre les villes dans un réseau urbain où la coopération intercommunale est très faiblement développée : l'auteur du rapport y consacre un chapitre entier : c'est sans aucun doute qu'il y attache un grand intérêt. Sur ce plan le département de la Seine-Saint-Denis innove en ciblant son action sur la mise en place de centres départements spécialisés, notamment « Livres au trésor », service public de coopération autour du livre et de la jeunesse. Un exemple à méditer !

  1. (retour)↑  Louis YVERT, « "La tâche qui reste à accomplir est immense" ou les heures d'ouverture des bibliothèques municipales », Bulletin d'informations de l'ABF, n° 151, 2e trim. 1991, p. 15-18.