Le service culturel du musée du Louvre
Entretien avec Jean Galard
BBF. Quelles sont les grandes tendances de l'évolution de la fréquentation des musées au cours des dernières années ?
Jean Galard *. Les quinze dernières années passent pour être celles d'un très grand développement de la fréquentation, voire pour avoir été l'époque d'un véritable engouement public pour les musées. Les musées ont en tout cas profité de cette vogue pour obtenir des fmancements nouveaux, construire, équiper, moderniser, etc.
L'augmentation de la fréquentation au Louvre dans les dernières années a été particulièrement sensible à l'ouverture de la Pyramide en mars 1989, de l'aile Richelieu en novembre 1993 : 40 % de public en plus depuis cette date. Mais c'est compréhensible : après tout, l'aile Richelieu occupe une surface aussi grande que le musée d'Orsay, il serait étonnant que cela ne change rien. Le Louvre, qui recevait 3 millions de visiteurs en 1988, en accueillait en 1993 près de cinq millions. Les raisons du succès du musée du Louvre tiennent à des causes générales que chacun connaît (augmentation du tourisme, du niveau éducatif, etc.), et sur lesquelles on peut débattre à l'infini. Ce succès tient aussi au fait que le Louvre est à la fois monument historique et musée. Enfin, rassemblant des collections reconnues, il ne suscite pas chez les visiteurs la « perplexité esthétique » que ceux-ci peuvent éprouver ailleurs, dans d'autres types de musées. La satisfaction est assurée...
Ceci dit, en termes statistiques, la mesure de la fréquentation reste imprécise : les entrées gratuites ne sont, en général, comptabilisées qu'approximativement. Les premiers comptages au Louvre ont commencé en 1922, date à laquelle l'entrée est devenue payante, après trente ans de débat ! Auparavant, et depuis l'ouverture du Louvre en 1793, l'entrée était gratuite et des jours de visite spécifiques étaient réservés aux deux types de publics que l'établissement s'était donné comme mission d'accueillir : les artistes d'une part, le grand public de l'autre.
BBF. Qu'est-ce qui a motivé la création du service culturel du Louvre ?
Jean Galard. Le service culturel a été créé en 1987, lors d'un changement général de l'organisation de l'établissement. Sous l'autorité du directeur général, Michel Laclotte, existent aujourd'hui les sept départements traditionnels et les services nouveaux.
Certains pensent que, devant l'art, le silence s'impose. Nous, nous estimons que des informations, des savoirs sont nécessaires à une contemplation de l'œuvre. C'est en ce sens que nous produisons de l'écrit et du verbe sur les œuvres : édition, production audiovisuelle, conférences de tout type. Tout le monde a besoin d'éclaircissements sur l'oeuvre, et pas seulement les débutants. C'est pourquoi nous déclinons ces propositions sur divers modes, du plus simple au plus spécialisé.
Le service culturel comprend différents secteurs : trois secteurs de « diffusion culturelle » (les publications, les productions audiovisuelles, les conférences et les colloques) ; un secteur regroupant les activités proposées au public (les ateliers pédagogiques, les visites-conférences, la médiathèque, l'action auprès des enseignants) ; un secteur consacré à l'étude et au développement des publics.
Les publications sont déclinées sur plusieurs registres : feuillets de présentation des œuvres dans les salles, fiches détaillées ; collections éditoriales diverses, pour les enfants (Chercheurs d'art) comme pour les adultes (collection Promenades, guides divers). Les productions audiovisuelles comprennent des documentaires ou de courts films de fiction, réalisés à l'occasion d'expositions ou s'intégrant dans une série, souvent coproduite (Cent secondes pour une œuvre, Palettes, Entretiens, Contes et légendes du Louvre). Les conférences et colloques, qui sont proposés dans l'auditorium du musée, font appel à de grands spécialistes français et étrangers. Ces conférences peuvent entrer dans des cycles s'étendant sur plusieurs années, être liées à des événements en cours, s'intéresser à de grands mouvements ou de grandes époques de l'histoire de l'art ou être à caractère thématique ou interdisciplinaire.
Les activités proposées aux groupes comprennent : des ateliers pratiques de familiarisation avec les matériaux et les techniques artistiques ; les visites-conférences, qui accueillent chaque jour une cinquantaine de groupes constitués et dix à quinze groupes de visiteurs venus individuellement ; une médiathèque est destinée à fournir aux enseignants et responsables d'associations la documentation nécessaire ; enfin, une équipe de pédagogues spécialisés en histoire de l'art propose aux enseignants des rencontres, des stages, des séances de formation et d'information.
Le secteur études et développement des publics se consacre d'une part à l'étude des divers types de publics présents au musée, d'autre part à la réflexion sur les moyens d'attirer au musée de nouveaux visiteurs.
BBF. Quel est le rôle du service culturel du Louvre ?
Jean Galard. Nous avons deux objectifs : fidéliser les visiteurs et les aider à préparer leur visite. Nous souhaitons que les personnes qui ont découvert ce lieu reviennent au Louvre, qu'elles ne s'en tiennent pas à une seule visite. Et nous souhaitons d'autre part aider les intermédiaires ou relais que sont les responsables d'associations, les enseignants, les documentalistes à préparer les visiteurs : nous leur envoyons des documents de tout genre, gratuitement.
Nous sommes débordés par les demandes émanant du secteur scolaire, alors que nous estimons n'avoir pas assez de demandes émanant de groupes d'adultes. Nous faisons des démarches auprès des comités d'entreprise et des associations. Nous avons maintenant davantage de demandes du côté des étudiants : il existe de plus en plus de services culturels dans les universités et les perspectives de ce côté semblent importantes. Des visites du Louvre ont parfois été intégrées dans les cursus, des conférences spécifiques ont été organisées, etc. Nous souhaiterions que les étudiants de discipline scientifique soient présents parmi ces groupes.
Le rôle de notre service culturel est aussi de rechercher de nouveaux publics. Le public du Louvre est constitué à 80 % de touristes, dont 67 % d'étrangers. Même si ce public est nombreux, parfois trop nombreux, nous souhaitons tenter de contribuer à une diversification de l'origine sociale des visiteurs.
Notre action a porté sur d'autres aspects. Le Louvre reçoit beaucoup de groupes : 400 par jour ! Dix personnes travaillent à une meilleure répartition de leur venue dans le temps. Nous leur avons imposé de réserver.
La gratuité de l'entrée le dimanche a été supprimée en 1990. L'entrée est devenue payante tous les jours. Cette décision a été imposée au Louvre et a, là comme ailleurs, donné lieu à des discussions et suscité des sentiments partagés. Beaucoup ont regretté cette mesure, qui, symboliquement, était forte de sens. Mais les effets pervers de la gratuité existaient : les tours operators en profitaient largement et l'afflux massif devenait dangereux pour les œuvres et très pénible pour les agents de surveillance. Nous avons récemment mis en place une modulation tarifaire pour inciter les personnes à venir plus tard dans la journée : l'entrée est passée de 40 F avant 15 heures à 20 F après. De telles mesures, de même que les deux nocturnes hebdomadaires, contribuent à étaler la fréquentation.
BBF. Quelles sont les relations entre les conservateurs des départements et le service culturel ?
Jean Galard. Il existait un service d'action culturelle à la Direction des musées de France, qui organisait des visites-conférences sur les collecttions de certains musées. Le premier service culturel étoffé et propre à un musée a été créé au musée d'Orsay. C'est une tentative pionnière, dont nous avons pu tirer certaines leçons. Il est très important qu'un tel service ne soit pas tenté de mener une vie autonome. Ce sont donc les conservateurs qui rédigent tous les textes (des feuillets de présentation des oeuvres dans les salles aux ouvrages et catalogues) que nous éditons. Il y a 55 conservateurs au Louvre. Si certains pensent qu'un service culturel grève un budget qui pourrait être mieux employé, la plupart approuvent notre démarche. Paradoxalement, c'est des jeunes conservateurs en formation que vient parfois le sentiment que la diffusion se fait au détriment des tâches scientifiques. Il y a un travail d'explication à faire...
Juin 1994