Les médiateurs culturels dans les musées

Élisabeth Caillet

Entre les personnels de surveillance et les conservateurs, des professions intermédiaires se développent ; elles concernent en premier lieu l'accueil des publics, soit tout ce qui concerne la médiation entre les œuvres, les objets et les visiteurs actuels et potentiels. Un cadre d'emploi a été institué au sein de la nouvelle filière culturelle des collectivités territoriales. Des formations se mettent en place dans plusieurs universités, elles-mêmes organisées en réseau.

Between maintenance staff and curators, middle professions are expanding, conceming at first the reception of the publics, that is to say the " mediation " between works, objects and present or potential visitors. An employment frame has been created within the new cultural paths of the local authorities. Trainings are taking place through the networks of several universities.

Zwischen Aufsichtspersonal und Konservatoren haben sich Mittelberufe entwickelt : sie betreffen zuerst den Empfang des Publikums, d.h. die Vermittlung zwischen den Sammlungen und deren heutigen und künftigen Besuchern. Eine neue Körperschaft ist geschaffen worden im Rahmen des sogenannten "kulturellen Verwaltungswegs" der Gemeinden. Die Ausbildung wird erteilt von mehreren Universitäten, die selbst ein Arbeitsnetz bilden.

L'évolution du marché de l'art est l'un des indices de la médiatisation de la culture qui est devenue, ces dernières années, industrie commerciale tout autant que moyen de référence identitaire. Les outils d'accès à la culture ne relèvent donc plus d'une activité privée mais du domaine public, du grand public. Les équipements culturels doivent inventer de nouvelles activités et savoir utiliser les outils de la communication de masse.

Même si les pratiques culturelles des Français indiquent une relative permanence *, il est certain que, globalement, le nombre de visiteurs de musées a continué d'augmenter durant la deuxième moitié des années 80 : « L'augmentation est incontestable et même spectaculaire (...), mais elle s'est faite sans que les disparités sociales et géographiques diminuent de manière sensible, sans que le mouvement de conquête de nouveaux publics soit réellement significatif Cette augmentation - qui passe pour les musées nationaux de 9,4 millions en 1980 à 15 millions en 1991 -tient essentiellement à trois raisons : l'augmentation de la population et donc du nombre de gens susceptibles d'aller au musée ; le développement du tourisme et le fait que les musées français soient un des lieux privilégiés du tourisme culturel des étrangers ; la transformation des musées en objets de communication, ce qui suscite un appel de curiosité, largement dû à des chantiers d'ampleur exceptionnelle (Cité des sciences et de l'industrie, Orsay, Louvre, nombreuses rénovations en région).

Diversification des objectifs

Toutes ces transformations déterminent une diversification des objectifs des musées qui se trouvent à la fois chercher à satisfaire leurs visiteurs traditionnels et conduits à accueillir de nouveaux visiteurs.

La fonction des musées n'étant plus la même, il est évident que les usagers n'y cherchent plus les mêmes choses. Les musées, en réponse, n'offrent plus les mêmes services. Lorsqu'elles ne concernaient que des amateurs, les activités des services culturels consistaient en conférences, séances de copies, accès aux originaux (réserves). La médiatisation des musées provoque une modification concernant les attentes des visiteurs : ils viennent au musée parce qu'on en parle, sans savoir ce qu'ils viennent y chercher. L'analyse des motivations des visiteurs est à cet égard éclairante. Nombre de visiteurs sont des visiteurs qui viennent pour la première fois : ils ont donc le désir de découvrir le musée et ses collections. D'autres y viennent pour faire découvrir un musée qu'ils connaissent à des parents ou à des amis. On se trouve donc face à un public qui ne possède pas les clés de lecture des œuvres qu'il est conduit à voir dans les équipements culturels, même si son niveau scolaire est en gros resté équivalent à celui des amateurs d'autrefois.

La multiplication des objectifs des musées induit la diversification des activités susceptibles d'être proposées aux visiteurs par le service qui en est chargé : objectifs pédagogique, distinctif, distractif, de socialisation, de délectation, de professionnalisation, de mise en mémoire, etc. Il faut créer en particulier des activités qui tiennent compte du fait que les visiteurs ne sont pas du tout à même de percevoir ce qui est intéressant dans une collection : d'où le développement d'activités de sensibilisation.

Parallèlement, on affine la typologie des visiteurs en parlant des publics et non plus du public. Au public en général on a commencé par substituer une typologie fondée sur les catégories socioprofessionnelles. On s'aperçoit ensuite (dans les dix dernières années) que cette typologie est trop vague - compte tenu de la relative homogénéité du public - et qu'il convient de lui préférer une typologie faisant par exemple apparaître l'éloignement par rapport au musée, l'habitude de fréquentation des équipements culturels, des musées, le mode d'information du visiteur concernant les activités culturelles, le mode de visite. Chaque objectif peut donc, une fois déterminé, s'appliquer à chaque segment de public, ce qui conduit à une importante diversification des activités susceptibles d'être offertes.

Les médiateurs

La préoccupation de l'Etat concernant le développement des musées a également suivi une nette évolution depuis trente ans. La politique de protection du patrimoine et la volonté de démocratisation de la culture laissent progressivement apparaître l'importance accordée à l'action culturelle dans les équipements culturels. Toutefois l'effort financier a été essentiellement consenti pour faciliter l'accès des équipements culturels et, parmi eux, des musées, au public scolaire du primaire. Devant le tonneau des Danaïdes que représente une telle politique, on s'est orienté ensuite vers un accroissement de la qualité des visites et particulièrement vers la formation des enseignants susceptibles de conduire leurs élèves dans les musées, et, plus récemment, par celle des autres relais (responsables de comités d'entreprises, animateurs de jeunes en centres de loisirs ou en centres de vacances, responsables d'associations de loisirs et de tourisme, etc.).

La politique contractuelle entre l'Etat et les collectivités territoriales a permis de reconnaître la nécessité de nouvelles compétences concernant l'accueil des publics. La formalisation de cette politique permet aux collectivités territoriales d'inscrire des postes pour l'action culturelle dans des conventions de développement culturel et de dépasser la simple mise à disposition de personnels de l'Education nationale dans des services « pédagogiques » de musées. Du coup, ces nouveaux personnels, de plus en plus fréquemment appelés « médiateurs », se trouvent prendre en charge non seulement l'accueil des publics traditionnels ou des publics scolaires, mais aussi l'ensemble des relations avec le monde du tourisme qui, pour l'heure, restent nettement plus problématiques. La logique de leur travail s'inscrit dans une transformation fondamentale, celle qui a fait adhérer, même à la marge, le musée à la dynamique de l'entreprise culturelle.

Tous ces éléments constituent le champ dans lequel s'inscrit le travail du médiateur. Les fonctions remplies par les médiateurs s'exerçant de façon privilégiée dans les collectivités territoriales et tout particulièrement dans les musées qui en relèvent, il a été nécessaire de créer, en 1991, une filière culturelle des collectivités territoriales.

Cette filière détermine deux niveaux d'opérations :
- au premier niveau (niveau A de la fonction publique territoriale), les médiateurs sont responsables d'un service culturel de musée ou, si le musée est important, de l'ensemble des opérations à conduire vers un type de publics (scolaires, touristes par exemple) ;
- au second niveau (niveau B de la fonction publique territoriale), ils mettent en oeuvre les opérations qui ont été définies par le conservateur ou le responsable du service culturel (conférences, ateliers, opérations de partenariat, évaluations).

Cette classification ne vaut bien sûr que pour les médiateurs qui exercent leur fonction en étant embauchés par une collectivité. Il est certain qu'ils peuvent remplir nombre de ces fonctions hors du cadre d'emploi, à condition qu'un lien existe entre eux et la collectivité (convention de prestation de services, vacation). On peut imaginer que, progressivement, les collectivités territoriales créent des emplois de médiateurs qui seront donc tout particulièrement destinés au développement des relations d'un musée, d'un ensemble des musées d'une ville, des musées d'un département, ou d'un ensemble d'équipements patrimoniaux dans une aire géographique donnée.

On ajoutera que, même si la fonction de médiation n'existe pas de la même façon dans les musées nationaux, elle se trouve remplie par des personnels qui occupent le même type de postes, dans toute leur diversité. On soulignera l'importance du groupe des conférenciers des musées nationaux qui, utilisant essentiellement la médiation orale, sont actuellement pour l'essentiel salariés de la Réunion des musées nationaux.

Complémentairement, des conférenciers du Tourisme, qui passent un examen d'habilitation, sont susceptibles d'effectuer une tâche de médiation orale indispensable pour les gros équipements comme Versailles, Le Louvre ou Orsay. A côté de ces professionnels se développent des conférenciers privés, travaillant pour des organismes d'un genre nouveau : des concepteurs de produits de tourisme culturel, directement en rapport avec les opérateurs professionnels du tourisme (agences de voyages, voyagistes, tours, etc.).

Pour terminer le panorama des activités que peut recouvrir la fonction de médiation, il est indispensable de citer les spécialistes de certains médias et qui, aussi bon connaisseurs de ce média que des contenus de médiation (artistique, historique, scientifique, technique...), conçoivent des produits de médiation comme des textes (livres, plaquettes d'information, dossiers pédagogiques, documents de promotion...), des audiovisuels ou des interactifs, voire des expositions. Ou encore des spécialistes des méthodologies relatives à la conception même de la médiation, tels les chargés d'études de programmation, de faisabilité, d'évaluation etc. On est là dans un champ professionnel qui n'est pas encore stabilisé et qui s'est largement développé ces dernières années.

Formation initiale et continue

Face à la diversité des activités recouvertes par la médiation et à la rapidité du développement de la demande tant publique que privée, l'appareil de formation initiale et continue a dû s'adapter. C'est pourquoi la Direction des musées de France, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les universités ont travaillé depuis deux ans sur la définition des fonctions qui composent les différents métiers de la médiation culturelle, sur l'inscription de ces fonctions dans le cadre d'emploi défini par la nouvelle filière culturelle, sur les organismes de formation susceptibles de préparer aux concours de recrutement et d'offrir des formations post-recrutement et continues et, plus généralement, sur l'adéquation entre les formations et les emplois couverts par la notion de médiation.

On a commencé par identifier ce qui, dans l'offre de formation existante, répondait à une partie des besoins : il est apparu que les compétences qui se trouvent aussi dans la filière administrative (gestion, documentation, audiovisuel par exemple) étaient déjà assurées par les différents organes du CNFPT. Les universités ont, de leur côté, fait le point sur leur capacité de formation. On a alors constaté qu'une partie des compétences de la médiation croisait celles de la conservation. C'est ainsi que l'on a cherché à disposer d'une offre conjointe pour l'ensemble des métiers. Au terme de cette analyse, il est apparu nécessaire de développer une nouvelle offre de formation qui répondrait aux exigences suivantes :
- prévoir des cursus susceptibles d'être suivis en formation continue ;
- faire en sorte qu'un maillage fin soit mis en place avec des formations de base (tant en médiation qu'en conservation) pouvant être utilisées en formation continue (soit des formations modulaires et capitalisables) ;
- répartir les spécialisations pointues pouvant être mobilisées en fonction de la demande, en particulier en stages de formation continue.

A terme, chaque formation aura ses caractéristiques : une dominante de domaine (sciences, techniques, anthropologie, arts), et une option de métiers : conservation ou médiation, pouvant ensuite devenir des spécialisations plus pointues (recherche, montage de projets, marketing, communication, conception et gestion de produits culturels, animation, pédagogie, services aux publics, évaluation, inventaire, conservation préventive, gestion des collections (droit et gestion matérielle), programmation architecturale et muséographique, nouvelles technologies...).

La répartition des formations permettra donc de répondre aux besoins de l'ensemble des professionnels du territoire :
- Est : Mulhouse, conservation et médiation des collections industrielles et techniques ;
- Bourgogne : Dijon, médiation et muséologie ;
- Rhône-Alpes : Lyon, médiation culturelle et muséologie des sciences ;
- Sud-Est : Aix-Marseille/Nice, médiation, conception de projets ;
- Ouest : Rennes/Angers/Tours, médiation, spécialités art contemporain, patrimoine, métiers de l'exposition, culture scientifique et technique/ethnologie ;
- Région parisienne : Paris VIII/Ecole du Louvre, médiation ;
- DOM-TOM : La Réunion, médiation et conservation, spécialisation conservation en milieu tropical.

Devraient se joindre à ces formations celles de Lille et de Bordeaux, en cours de conception.

Enfin, pour stabiliser le partenariat, la Direction des musées de France et le CNFPT sont en train de mettre au point, entre le CNFPT de la région, la Direction régionale des affaires culturelles de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et l'Université de Provence, une convention pilote qui permettra aux personnels en formation post-recrutement ou en formation continue de bénéficier de formations convenant à leurs exigences professionnelles, et qui, en même temps, leur garantisse une formation théorique et une validation diplômante. Ce dispositif devrait ensuite être étendu à l'ensemble des régions.

Les formations ainsi mises en place montrent qu'une collaboration extrêmement fructueuse peut exister entre l'université, le CNFPT, le monde du tourisme et le ministère de la Culture. On s'aperçoit que les écarts entre les logiques de chaque partenaire peuvent se réduire à condition que chacun accepte de faire un pas vers l'autre en acceptant ses objectifs et en examinant comment mettre l'accent sur les complémentarités et non pas sur les oppositions. Il est certain que la médiation est pour ce faire l'objet de travail idéal : n'est-elle pas autant un processus de passage vers l'autre qu'une démarche qui accepte le discours de l'autre ?

Juillet 1994

  1. (retour)↑  Olivier DONNAT, Pratiques culturelles des Français, nov. 1993.