Archives, bibliothèques, musées

Un regard différent des élus locaux

Pierre Moulinier

Du point de vue de la gestion par les collectivités territoriales - essentiellement départements et communes -, les archives, les bibliothèques et les musées ne sont pas à la même enseigne. Les services d'archives constituent une dépense obligatoire et ont un rôle de service public qui les place à part, même s'ils jouent un rôle culturel et scientifique réel. Les bibliothèques sont l'équipement culturel type des villes (bibliothèques municipales) et des départements (bibliothèques départementales de prêt) et un poste de dépense important. Leur rôle culturel est essentiel. Les musées enfin ont un caractère moins " obligatoire " et leur typologie est variée. Mais ce sont souvent les institutions préférées des élus locaux.

Archives, libraries and museums are not managed in the same way by the local political authorities. The archives are a compulsory expenditure, a public service, and because of it, they are aside even if they play a real cultural and scientific part. Libraries are cultural equipment in the towns (bibliothèques municipales) and in the departments (bibliothèques départementales de prêt) and an important element of expenditure. Their cultural role is essential. At last, museums have a less " compulsory " character and their typology is varied. But they often are the favourite institutions of the local representatives.

Die Archivdienststellen, Bibliotheken und Museen befinden sich nicht in der selben Lage den Ortsbehörden, d.h. vor allem den Gemeinden und Départements gegenüber, was ihre Verwaltung betrifft. Der Archiv verursacht unentbehrliche Ausgaben und bekommt wegen seiner öffentlichen Aufträge einen besonderen Platz, wenn er auch eine echte kulturelle und wissenschaftliche Rolle spielt. Die Bibliothek ist in einer Stadt (Stadtbibliothek) sowie in einem Département (zentrale Leihbibliothek) die kulturelle Anstalt schlechthin, und deshalb ein wichtiger Ausgabenposten, dessen kulturelle Rolle wesentlich ist. Die Gründung der Museen endlich bildet gar keine so dringende Verpflichtung, und deren Typologie vielfältig ist. Es sind aber oft die Lieblingsanstalten der örtlichen Auserwählten.

Archives, bibliothèques, musées : incontestablement, il y a une logique « professionnelle » à regrouper ces trois institutions. Leur point commun n'est-il pas en effet qu'elles sont dirigées par des « conservateurs du patrimoine », unis dans une filière commune de la fonction publique territoriale intitulée « patrimoine et bibliothèques », même si les bibliothécaires n'exercent pas tous une fonction de conservation ? Elles ont aussi en commun d'abriter fréquemment un service éducatif, animé par des bénévoles ou des enseignants mis à disposition. Il y a par ailleurs une certaine similarité entre les formations reçues par leurs responsables et les parcours professionnels : par exemple, l'Ecole nationale des chartes, prolongée par l'Ecole nationale du patrimoine, fournit traditionnellement des archivistes, mais aussi des conservateurs de bibliothèques ou de musées.

Ce rapprochement est-il pertinent du point de vue des élus locaux et des directeurs des services culturels des collectivités territoriales ? En considération de l'organigramme municipal ou départemental, certainement, puisque celui-ci reproduit généralement la conception qu'a l'Etat du champ culturel et unit ces trois institutions dans un ensemble nommé culture. Mais si l'on tient compte de l'image publique de chaque type d'établissement et de l'importance symbolique qu'on lui accorde, les différences sautent aux yeux. Qui ne sait que les services d'archives sont caractérisés par une silencieuse efficacité, les bibliothèques par la quête du plus large public possible, les musées par l'envie de communiquer beauté ou savoir ?

Les collectivités locales « traitent-elles » différemment chacun de ces établissements culturels ? Peut-on affirmer que ce sont les plus aptes à développer l'image de la collectivité qui sont les plus aidés ? Ou, au contraire, ceux qui remplissent le mieux leur rôle de service public local ? La préférence des élus est-elle pour quelque chose dans les crédits qui leur sont accordés ? La personnalité du conservateur ou du directeur joue-t-elle un rôle ? Répondre à ces questions revient à poser au préalable le problème du coût « normal » d'un musée, d'une bibliothèque, d'un service d'archives : le plus coûteux n'est pas toujours le plus utile, et le plus modeste le moins efficace ou le moins aimé. Il faut donc se garder d'établir une hiérarchie des établissements fondée sur leur budget ou le nombre de personnes qu'ils emploient. Il n'en est pas moins vrai que ces trois institutions pèsent différemment sur le budget de la collectivité propriétaire et qu'il y a des différences de traitement financier entre chacune d'elles.

Faute de disposer d'autres indicateurs de l'intérêt que leur portent les élus et les responsables de services culturels, c'est à une analyse des moyens financiers ou humains accordés par les collectivités locales aux trois types d'établissements que nous allons nous attacher. Il serait utile de disposer d'une enquête sur l'opinion et les souhaits que ceux-ci formulent à l'égard d'établissements dont ils sont comptables devant les électeurs, mais un tel sondage n'a jamais été effectué. Comme on le verra, la décentralisation est un facteur important du point de vue financier comme de celui de la considération accordée aux établissements. Les mécanismes de financement et de contrôle par l'Etat qui en ont résulté différencient les trois institutions et pèsent sur l'image qu'ont les élus de chacune d'elles.

Dernière remarque : archives, musées et bibliothèques constituent une partie notable du patrimoine des équipements et des services culturels détenus par deux niveaux de collectivités territoriales : les communes et les départements. Aucune des régions à notre connaissance ne possède de musées ou de bibliothèques, et leurs archives sont en général prises en charge par convention par le service d'archives du département où se trouve le chef-lieu de région. Les établissements dont il sera ici question sont donc les bibliothèques municipales, les musées municipaux et les services d'archives municipales, quand ils existent ; et les musées départementaux, les bibliothèques départementales de prêt et les services d'archives départementales. Nous préciserons, pour chaque type d'institution, son « statut » dans les deux sens du terme : au sens juridique et du point de vue de la « condition » qui lui est faite.

Les archives

Par rapport aux bibliothèques et aux musées, les archives ont deux caractères singuliers : aux vocations culturelle et scientifique qu'elles partagent avec les deux autres institutions, s'ajoute une vocation administrative, qui fait qu'elles constituent pendant un certain nombre d'années un des moyens de la gestion communale ; par ailleurs, du moins en ce qui concerne les archives communales, leur entretien constitue une dépense obligatoire en vertu du Code des communes. Ces traits font des archives une administration culturelle à part, aussi familière et indispensable que l'état civil, mais évidemment moins prestigieuse de ce fait que les deux autres.

Statuts

Encore faut-il distinguer niveau communal et niveau départemental. La loi de décentralisation du 22 juillet 1983 (article 66), en consacrant le fait que « les régions, les départements et les communes sont propriétaires de leurs archives » et en « assurent la conservation et la mise en valeur », n'a pas changé la situation des archives communales, mais celle des archives régionales et surtout départementales.

Alors qu'avant 1986, date d'entrée en vigueur de la loi, les services d'archives départementales étaient des administrations d'Etat très liées aux assemblées départementales, qui étaient propriétaires des locaux et qui contribuaient financièrement à leur fonctionnement, après cette date, les départements, comme d'ailleurs les communes et les régions, assurent la quasi-totalité des frais de conservation et de mise en valeur de leurs archives. La loi fait de surcroît obligation aux conseils généraux d'accueillir les archives des services déconcentrés de l'Etat et maintient l'obligation faite aux archives départementales de recevoir « les archives que les communes sont tenues ou décident (d'y) déposer ». Enfin, et notamment parce que ces services accueillent des « papiers de souveraineté » d'administrations d'Etat (archives judiciaires ou policières), ils demeurent placés sous la direction de conservateurs d'Etat payés par l'Etat et conservent un corps de documentalistes d'Etat. Ajoutons que la loi ne supprime pas le principe des subventions de la Direction des archives, pour l'équipement comme pour le fonctionnement (entre 1981 et 1991, le ministère de la Culture a, par exemple, aidé 52 opérations de construction ou de rénovation de services d'archives) et que l'Etat continue à exercer un contrôle scientifique et technique, redéfini par un décret du 28 juillet 1988.

En ce qui concerne les archives régionales, on l'a dit, la grande majorité est gérée par le service départemental du chef-lieu de région. Pour les communes, il y a une grande disparité de situations : si les plus grandes villes ou celles qui ont un patrimoine important possèdent un service d'archives à part entière, avec souvent un conservateur d'Etat, d'autres bénéficient d'une certaine autonomie et d'un conservateur à temps plein, mais qui n'est pas un archiviste-paléographe, d'autres villes enfin n'ont qu'un petit service placé dans les locaux municipaux sous la responsabilité d'un agent municipal qui s'en occupe à temps partiel. Par ailleurs, pour les communes rurales, il y a une obligation de dépôt aux archives départementales des documents de plus d'un siècle.

Financement

Ces statuts et situations divers expliquent la disparité des fmancements de ces services par la collectivité propriétaire. Pour les conseils généraux, investis par la décentralisation de la responsabilité des archives, c'est une dépense importante, bien qu'ayant tendance à décliner en part du budget culturel qui leur est consacré : en 1987, c'est le domaine le plus coûteux après le patrimoine monumental, avec 15,7 % du budget culturel ; en 1990, il occupe la troisième place avec 12,8 % du budget, après le patrimoine (19,3 %) et la musique (13,9 %). Mais, en francs constants par habitant, et en dépenses de fonctionnement - le ratio le plus significatif -, ce poste passe de 4 F en 1984 à 5 F en 1987 et 1990, ce qui traduit un effort certain. Précisons qu'il s'agit de la moyenne de l'ensemble des départements, et que, pour certains d'entre eux, les chiffres reflètent un engagement bien plus important.

Les communes sont beaucoup moins concernées par leurs archives. Certes, plus une ville est importante, plus elle y consacre d'argent et de personnel. En 1987, les dépenses de fonctionnement en francs par habitant sur ce poste s'élèvent à 9 F pour les villes de plus de 150 000 habitants (6 F en 1984), alors qu'elles n'atteignent que 2,2 F pour la moyenne des communes de plus de 10 000 habitants (1,6 F en 1984). Mais, en 1990, le budget consacré aux archives ne représente que 0,9 % du budget culturel dans les grandes villes (plus de 150 000 habitants) et 0,5 % dans les villes de plus de 10 000 habitants, données qu'il faut interpréter en regard des lourdes responsabilités culturelles des villes, qui assument plus de la moitié du financement public de la culture. Une enquête citée dans le Rapport annuel pour 1992 de la Direction des archives montre que les villes de plus de 100 000 habitants, qui ne constituent que 10,5 % des villes présentées, concentrent 31,6 % du personnel de toutes les communes, tandis que les villes de moins de 20 000 habitants (30,7 % de l'échantillon) n'emploient que 15,1 % du personnel total. L'effectif moyen par service d'archives est de près de 8 temps plein dans les villes de plus de 100 000 habitants, contre 2,3 dans les villes comprises entre 20 000 et 100 000 habitants et 1,38 au dessous de 20 000 habitants. Mais il y a encore en 1992 quatorze villes de plus de 100 000 habitants dont l'effectif ne dépasse pas 5 agents, et trois dont les archives sont dirigées par des agents de catégorie B, preuve manifeste d'une certaine désaffection. Ce même rapport nous apprend qu'une grande ville, une capitale régionale, n'a toujours pas de service d'archives, non plus qu'onze villes entre 50 000 et 100 000 habitants et 134 entre 20 000 et 50 000 habitants. Les archives sont donc toujours un peu la Cendrillon des services culturels municipaux.

Les bibliothèques

A l'inverse des archives, dont le fonctionnement et le financement n'ont pas été radicalement modifiés par la décentralisation, les bibliothèques départementales et même communales sont les institutions culturelles qui ont fait l'objet des changements les plus importants dans ce cadre. D'abord parce que le seul véritable transfert de compétences inscrit dans la loi du 22 juillet 1983 concerne les bibliothèques centrales de prêt (article 60), devenues en juillet 1992 bibliothèques départementales de prêt (BDP), mais aussi parce qu'un régime particulier de transfert financier de l'Etat en faveur des bibliothèques est mis en place : les concours particuliers dans le cadre de la dotation générale de décentralisation (DGD), régime qui s'applique tant aux BDP qu'aux bibliothèques municipales.

Les bibliothèques départementales de prêt

Les lecteurs du BBF n'ignorent évidemment pas ce qu'ont modifié ces mesures. Les BCP, créées par une ordonnance de 1945, étaient, avant la loi de 1983, des services d'Etat avec du personnel d'Etat, bénéficiant parfois de subventions départementales. Les plus récentes étaient installées sur un terrain fourni par le département, mais leur création était décidée au ministère de la Culture. Lorsque sont discutées les lois de décentralisation en 1981-1982, le principe est admis que le ministère accompagnera le transfert aux conseils généraux de la prise en charge par l'Etat des frais de construction des dix-sept BCP manquantes : programme qui a été achevé en 1991. En ce qui concerne le transfert du fonctionnement, il est régi dans les grandes lignes de la manière suivante.

Le transfert des BCP aux départements devient effectif au 1er janvier 1986, date à laquelle la responsabilité de la gestion du service (personnel non scientifique, équipement et véhicules) passe au conseil général ; l'Etat met à cette date les locaux à la disposition des départements qui en assurent l'entretien. En ce qui concerne le personnel, la loi distingue le personnel scientifique, qui reste à la charge de l'Etat, mais peut opter pour le statut départemental, et le personnel non scientifique, qui est transféré aux départements et est intégré dans la fonction publique territoriale. Comme la seconde catégorie est bien plus nombreuse que la première, c'est la majeure partie des dépenses en personnel qui est ainsi transférée. Et, comme tout transfert de charges doit s'accompagner des ressources correspondantes, l'Etat crée un système avantageux pour les bibliothèques, puisqu'il évite l'engloutissement des crédits dans de quelconques dotations globales en instaurant la dotation générale de décentralisation des départements spécialement affectée aux dépenses de fonctionnement des BCP (à l'exception, bien entendu, des rémunérations du personnel scientifique qui constituent une dépense de l'Etat). La loi du 13 juillet 1992 et les décrets du 5 février 1993 consacrent par ailleurs la mise en place d'un concours particulier « équipement » au sein de la DGD départementale, en partie destiné à favoriser la construction de bibliothèques dans les petites villes.

Les bibliothèques municipales

Les crédits de la DGD, qui ne viennent plus du budget du ministère de la Culture, mais transitent par les préfets de région via le ministère de l'Intérieur, concernent aussi les bibliothèques municipales. La loi du 9 janvier 1986 instaure en leur faveur un « concours particulier » comportant deux parts : l'une, destinée à compenser les charges de fonctionnement, est répartie par les préfets de département ; l'autre, vouée à subventionner la construction d'équipements, passe par les préfets de région. En 1991-1992, la part « équipement » ayant été critiquée par les élus locaux notamment parce qu'elle ne pouvait contribuer à financer les gros équipements type « médiathèques », le ministère mène une réflexion qui aboutit à la loi du 13 juillet 1992 : outre la naissance d'un nouveau type de bibliothèques, les bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR), cette loi entraîne la mise en place d'une troisième part de la DGD destinée à financer la construction de grandes bibliothèques dans les villes de plus de 100 000 habitants.

Précision importante : les BDP comme les bibliothèques municipales restent soumises, de par la loi de 1983, au contrôle scientifique et technique de l'Etat, organisé dans le cadre du décret du 9 novembre 1988. Ce contrôle, exercé par les inspecteurs des bibliothèques et par les conseillers livre et lecture des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), est sans doute favorisé par la procédure des concours particuliers qui impose aux préfets, conseillés par les DRAC, une bonne connaissance des besoins en matière de lecture publique.

Par-delà ce régime financier très particulier, les bibliothèques municipales demeurent l'un des piliers de la vie culturelle municipale, quand elles n'en sont pas le seul foyer culturel. Comme les services d'archives, elles sont de taille et d'importance diverses, de l'ancienne bibliothèque « classée » de métropole urbaine à la nouvelle médiathèque flambant neuf, de l'établissement de ville moyenne à la petite bibliothèque de bourg rural. Comme les musées dont elles ont partagé le bâtiment dans certaines villes, un certain nombre d'entre elles ont parfois plus de deux siècles d'existence et ont joué un rôle fondamental dans la vie scientifique, littéraire et politique locale, en animant et hébergeant la société savante, en informant les habitants, en diffusant les idées modernes.

Equipement parmi les plus anciens de la ville, assorti d'annexes de quartier dans de nombreuses villes, la bibliothèque fait partie du patrimoine municipal de la ville et constitue une dépense incompressible pour ses finances. Et il n'est pas inutile de rappeler le rôle que jouent certains conservateurs dans l'animation culturelle de la cité. Les bibliothèques municipales sont pour la plupart en régie municipale directe, et leur personnel relève normalement de la fonction publique territoriale, à l'exception de certains conservateurs qui demeurent dans la fonction publique d'Etat. Selon une enquête de la Direction du livre, on trouverait, dans 1 571 communes ayant au moins une bibliothèque municipale, 15 752 personnes rémunérées, soit en moyenne dix par commune, ce qui est supérieur aux effectifs des archives, et 5 180 bénévoles ; sur les 1 748 conservateurs et bibliothécaires recensés, on ne compterait que 158 conservateurs d'Etat contre 578 conservateurs territoriaux et 1 012 bibliothécaires, auxquels il faut ajouter 3 954 bibliothécaires-adjoints et autres assistants qualifiés, 3 693 agents du patrimoine, 3 574 agents techniques et administratifs, ainsi que 2 783 contractuels, CES (contrat emploi solidarité) et vacataires.

Les bibliothèques et le budget des collectivités locales

L'importance prise par les bibliothèques départementales dans les dépenses culturelles des conseils généraux se traduit par le fait que les crédits qui leur sont consacrés en 1987 sont huit fois supérieurs à ceux de 1981. En 1987 et en 1990, ce poste est le quatrième dans le budget des départements, après le patrimoine, la musique et les archives, mais il tend à diminuer en valeur relative (12,7 % du budget culturel en 1987, 11,6 % en 1990). En francs par habitant, les dépenses de fonctionnement en faveur des BDP s'élèvent à 5 F, soit autant que pour les archives. On peut donc affirmer que, financièrement parlant, les bibliothèques départementales sont placées sur un pied d'égalité avec les archives, même si la considération qui leur est accordée par les élus est plus élevée.

Dans les villes, l'effort en faveur de la lecture publique est encore plus grand et a connu une progression remarquable, notamment en raison d'importants investissements effectués dans la décennie 1980. De 1981 à 1991, on est passé de 992 bibliothèques municipales à 1 325, et on peut dire que, sur dix villes de plus de 10 000 habitants, neuf possèdent ce genre d'établissement. En 1990, le poste « livre-bibliothèques » est au troisième rang des dépenses de fonctionnement des villes de plus de 10 000 habitants, après le secteur musique et danse et l'animation polyvalente : il représente 16,2 % de ces dépenses, contre près de 32 % accordés à la musique. En francs constants par habitant, la progression de cette dépense dans les années 1980 est spectaculaire (il s'agit des dépenses de fonctionnement et d'équipement) : 61,5 F en 1981 ; 99,1 F en 1984 ; 105,1 F en 1987. Si l'on ne prend que les dépenses de fonctionnement, ce qui est plus significatif, on passe de 54 F en 1981 à 80 F en 1990. Remarquons encore que cette dépense occupe une place importante dans tous les types de villes : les grandes villes et les villes-centres, c'est-à-dire ayant une banlieue d'au moins 20 000 habitants, la placent en deuxième position après la musique et à égalité avec les arts plastiques (musées et écoles d'art) ; les villes de banlieue en troisième position, après l'inévitable domaine musical et après l'animation polyvalente, tout comme les villes isolées, sans banlieue importante.

Les musées

Comme les bibliothèques, les musées font partie des équipements traditionnels que l'on s'attend à trouver dans toute ville qui se respecte et, on l'a dit, ils en sont souvent l'un des équipements culturels les plus anciens. Le monde des musées est toutefois très différent de celui de la lecture publique, notamment de par la diversité des contenus, des statuts, de la richesse des collections. De nombreux traits distinguent les deux institutions. Alors qu'il n'y a en principe qu'une bibliothèque municipale par ville, avec des annexes, nombre de cités possèdent plusieurs musées. Alors que tous les départements, sauf ceux de la « petite couronne » parisienne, possèdent une BDP, il existe un peu moins de 70 musées départementaux et aucun musée appartenant à une région. Alors que les bibliothèques municipales et les BDP sont réunies en de puissants réseaux, le monde des musées est plus volontiers éclaté par genres et affinités (beaux-arts, archéologie, écomusées, musées techniques, musées d'histoire, etc). Enfin, les musées relèvent d'administrations différentes (Culture, Éducation nationale, Défense, etc.), sont de statuts différents (établissements publics sous tutelle de l'Etat, régie directe municipale ou départementale, fondation, association 1901), et beaucoup échappent au contrôle scientifique et technique de l'Etat.

Autre différence : la décentralisation n'a guère eu d'effet sur le financement des musées des collectivités territoriales. Certes, l'article 62 de la loi du 22 juillet 1983 leur est consacré, mais il enfonce une porte ouverte en précisant que « les musées des communes, des départements et des régions sont organisés et financés par ceux-ci ». Il ajoute que les musées sont soumis au contrôle technique de l'Etat, mais, à ce jour, ce contrôle n'a pas été défini par décret.

Le mode de financement des musées territoriaux, antérieur à la décentralisation, reste en vigueur, c'est-à-dire, en gros : des dépenses majoritairement à la charge de la collectivité locale, des possibilités de subvention de l'Etat, et l'espoir d'autres contributions (mécénat ou autres collectivités territoriales). Les aides de l'Etat sont fortement alignées sur la hiérarchie des musées établie par la Direction des musées de France, qui distinguait il y a peu des musées classés, tous municipaux (une trentaine environ) et dirigés par un ou plusieurs conservateurs d'Etat, des musées contrôlés, moins importants et dirigés par des agents territoriaux, et les autres, non contrôlés ni subventionnés par le ministère. Si elle voit le jour, la nouvelle loi sur les musées devrait rendre caduques ces dénominations, et proposer un nouveau système de labellisation des musées et de rapport entre Etat et collectivités. Précisons enfin que la décentralisation n'a pas remis en cause la présence de personnels scientifiques d'Etat, en partie rémunérés par l'Etat, à la tête des anciens musées classés et que les autres agents des musées s'intègrent dans la fonction publique territoriale.

Le thème du rajeunissement des musées est à la mode. Et, de fait, force est de constater que les musées sont devenus, plus que les bibliothèques et a fortiori les archives, l'objet de tous les soins de nombreux maires et élus. Les salles ont été rénovées, de nouvelles acquisitions ont enrichi les collections, des expositions plus soignées ont attiré plus de monde, de plus jeunes conservateurs ont été recrutés. Depuis près de quinze ans, l'effort conjoint de l'Etat et des communes a permis de construire de nouveaux musées, et d'en rénover ou d'aménager d'autres existants. De 1981 à 1991, selon le ministère de la Culture, l'Etat a apporté à plus de 250 chantiers un concours de 900 millions de francs qui est allé à toutes sortes de musées. En 1992, la Direction des musées de France évoque les 400 chantiers qui ont été ouverts depuis plus de dix ans sur tout le territoire, ce qui fait parler d'une renaissance des musées de province. Il convient d'ajouter que ces aides favorisent le contrôle par l'Etat de la qualité des projets scientifiques, architecturaux et culturels des musées, contrôle qui est sans doute plus attentif que dans d'autres domaines.

Les dépenses des départements pour les musées sont un poste important de leur budget culturel : en 1990, 11,6 % du budget culturel total (équipement et fonctionnement), 9,4 % du budget culturel de fonctionnement ; rapporté au nombre d'habitants, les dépenses totales pour les musées s'élèvent à 8,6 F par habitant, les dépenses de fonctionnement à 4,6 F, c'est-à-dire un peu moins que pour les archives et la BDP. Mais il faut remarquer qu'il y a deux types de dépenses départementales pour les musées : les dépenses « directes » en faveur des musées départementaux, et les subventions accordées aux autres musées, municipaux ou autres. Les premières sont logiquement les plus importantes : elles représentent en 1990 près des trois quarts (73,7 %) des dépenses totales des départements pour ces établissements et 79 % des dépenses de fonctionnement. Nous ne disposons pas d'autres données sur les musées départementaux, notamment sur le personnel qui y est employé. Il convient par ailleurs de signaler la présence, dans certains départements, de conservations départementales des musées, structures chargées soit de gérer des musées départementaux, soit d'offrir des conseils et des soutiens aux petits musées, souvent ruraux, qui manquent d'encadrement professionnel, soit encore de remplir les deux fonctions.

Le poids relatif des dépenses des communes pour les musées dans leur budget culturel n'est pas négligeable, surtout si on le compare à celui des archives : en 1990, les dépenses totales pour ces établissements représentaient 6,5 % du budget culturel total, et les dépenses de fonctionnement 3,6 % des dépenses culturelles de fonctionnement. En francs par habitant, les dépenses totales pour les musées s'élevaient à 47,4 F et les dépenses de fonctionnement à 20,3 F, à comparer aux chiffres correspondants pour les bibliothèques. Ces dépenses vont pour la quasi-totalité aux musées détenus par les villes, une faible part (moins de 5 %) allant à d'autres musées. Comme pour les départements, des statistiques sur les personnels employés dans ces établissements font défaut. On notera enfin que ces dépenses sont consacrées surtout à des musées des Beaux-Arts (42 %), à des musées d'Ethnologie (15 %), à des musées d'Histoire naturelle (9 %), à des musées d'Histoire (8 %) et à des musées d'Archéologie (7 %).

Projets d'établissement, projets de villes

Les trois types d'établissement, même s'ils ont dans certains cas sensiblement le même poids dans le budget de la collectivité, occupent une place différente dans les politiques culturelles mises en oeuvre par les villes et les départements. Pour les conseils généraux, les archives et la bibliothèque départementale de prêt ont le statut d'institution transférée dans le cadre de la décentralisation et donc de dépense incontournable et relativement lourde : il est, de ce fait, assez fréquent que ces organismes soient rattachés à la Direction générale des services et non à celle des affaires culturelles, et, dans certains cas très rares, que leur gestion tienne lieu d'unique politique culturelle.

Très souvent, l'action culturelle des départements se rend visible surtout par les aides aux activités des communes et des associations, par le soutien à des festivals ou à des tournées de spectacles, par la mise en valeur des ressources patrimoniales, notamment des musées et des monuments historiques, par le développement de la formation musicale, par l'aide au tourisme culturel.

Dans ce contexte, les musées et les monuments appartenant aux départements, mais aussi les services départementaux des musées, de l'archéologie, du patrimoine existant dans certains d'entre eux, sont investis d'une mission de valorisation des ressources locales particulière. Ajoutons qu'un certain nombre de services d'archives et de bibliothèques départementales développent une active politique d'action culturelle, grâce à des services éducatifs vivants, à des activités en milieu scolaire, à des animations relayées dans certains départements par des archivobus, à l'image des bibliobus et des muséobus.

Dans les villes, on constate qu'il existe parfois une saine émulation entre les trois types d'établissement, notamment par le biais d'expositions. La tendance est alors à un partage des rôles, les archives assumant la mémoire historique de la ville, la bibliothèque l'histoire littéraire et la sensibilisation aux grands courants de la création romanesque ou poétique, le musée la présentation d'œuvres d'art ou l'évocation de la vie quotidienne ou du passé technique et économique local. De plus en plus, dans les communes actives au plan culturel, des projets d'établissement sont établis entre le conservateur et la municipalité afin de préciser tant la politique scientifique, éducative ou culturelle de l'établissement que les modalités de gestion des moyens qui lui sont affectés, qu'ils soient humains, matériels ou financiers. Parfois, un audit ou une vaste réflexion collective a précédé la mise au point de ces projets, et l'Etat est souvent partie prenante à leur élaboration, en particulier la Direction des musées de France, qui a fait du projet culturel et scientifique du musée l'un des axes de sa politique de rénovation du monde muséal.

Les communes sont également de plus en plus conscientes, notamment parce que le ministère de la Culture les a incitées efficacement à le faire par le biais des politiques conventionnelles, de la nécessité de bâtir, non pas seulement des projets d'établissement culturel, mais un véritable projet culturel de ville. Cette mise en forme raisonnée de la politique culturelle municipale permet à la fois de mettre en synergie l'activité des différentes institutions culturelles de la ville, et d'effectuer une programmation cohérente et si possible pluriannuelle des activités et de mettre en relation le champ culturel avec les secteurs connexes : tourisme, sports, activités socioculturelles, école, environnement, activités commerciales, transports, etc. Cette rationalisation des choix municipaux prend tout son sens en période de réduction des ressources disponibles à tous les niveaux - Etat et collectivités territoriales -, et c'est pourquoi un nombre croissant de communes s'efforcent de la mettre en oeuvre. La réflexion qu'elle nécessite entraîne parfois les municipalités à remettre en cause les modes traditionnels de gestion des établissements, et notamment la régie directe municipale. On voit certains musées municipaux devenir départementaux (le musée Dauphinois de Grenoble), des établissements changer de statut juridique en devenant des associations 1901 ou des SEM (Sociétés d'économie mixte), de nouvelles fonctions se créer telles que celle de secrétaire général ou d'administrateur, sans compter les fonctions de communication ou de vente de produits dérivés. On établit de nouveaux organigrammes, des équipes fonctionnelles, des indicateurs d'objectifs et de résultats ; l'évaluation et le rapport d'activités annuel se généralisent, ainsi que le contrôle de gestion et la comptabilité analytique. Evidemment, de telles mesures ont souvent pour effet de diminuer les effectifs, de revoir l'affectation des personnels, de réduire les budgets ; mais elles s'accompagnent aussi de la volonté de rechercher de nouvelles ressources financières et de mieux maîtriser les coûts et les dépenses. Un colloque organisé à Amiens en janvier 1993 par l'Observatoire des politiques culturelles et la ville d'Amiens, colloque précédé et préparé par une étude financée par le ministère de la Culture, a permis de faire le point sur le lien entre projet culturel, statut juridique des équipements et mode de gestion des établissements.

Pour les musées, les bibliothèques et les archives, mais aussi pour les autres institutions culturelles, la difficile question est de concilier les deux légitimités, qui s'incament dans les deux types de projet énoncés ci-dessus : celle de l'élu, en charge du projet territorial, et celle du professionnel, en charge du projet d'établissement. Il convient, et c'est rarement le cas, de concilier la nécessaire indépendance du conservateur, qui garantit la pertinence scientifique et culturelle de l'activité de l'institution, et l'intégration de cette activité dans une politique municipale ou départementale, dont il appartient à l'élu d'assurer la cohérence et l'efficacité. D'où la nécessité d'une reconnaissance réciproque des obligations, des droits et des limites de l'action des deux personnes, qu'un cahier des charges en bonne et due forme devrait définir pour la bonne marche du service culturel et un meilleur impact des actions menées dans la collectivité.

Juin 1994