Éditorial

Pourquoi s'interroger sur les histoires parallèles des bibliothèques, des archives, des musées ?

Parce que ces différentes institutions culturelles - et la comparaison peut être élargie à d'autres types d'offre - ont, à l'évidence, des destins croisés.

Parce que l'analyse du passé et du présent de ces diverses propositions culturelles s'enrichirait, se nourrirait avec profit d'un regard comparé.

Ces institutions ont en effet des missions que l'on peut qualifier de proches ou de comparables, qui autorisent les tentatives de mise en parallèle : elles acquièrent des œuvres, elles les conservent, elles les communiquent. Et c'est bien à une analyse des déclinaisons réciproques - et évolutives - de ces missions, exprimées ici en ces termes aussi incontestables que vagues, que cette livraison du BBF souhaite inviter.

C'est en effet à tous les niveaux de l'exercice de ces institutions qu'une histoire croisée peut être féconde. Comment construisent-elles leurs politiques d'acquisition ? Quels places, rôles et fonctions donnent-elles à la conservation et/ou à la communication ? Comment pensent-elles la constitution d'un patrimoine et son partage social ? Quelles sont les stratégies initiées par les professionnels envers les œuvres, les publics, les tutelles ? Comment se définissent les identités professionnelles ? Comment ces diverses institutions ont-elles pensé et mis en œuvre l'âge démocratique - de la culture pour tous à la culture par tous - ? Comment se confrontent-elles aujourd'hui d'un côté à l'âge du marché, fait de logique économique et gestionnaire, de l'autre à l'âge du patrimoine, qui voit cette mission redevenir au centre de tous les désirs ?

L'histoire, passée et présente, de ces institutions, abonde de signes de cette proximité de problématique, de cette communauté de questionnements. La Révolution ne s'est-elle pas penchée dans un même mouvement, dans une même volonté émancipatrice, sur les nouveaux berceaux de ces institutions qu'alors elle faisait renaître ? Ne voit-on pas aujourd'hui les collectivités, centrale ou territoriales, redoubler d'intérêt pour ces institutions, jusqu'à, parfois, souhaiter à nouveau les réunir en un même bâtiment, comme l'avait souvent fait la Révolution fondatrice ?

N'attendons pas pour autant de ces regards croisés une rhétorique platement consensuelle. Si le discours obligé met l'accent sur les complémentarités - que soulignent des expressions telles « métiers du patrimoine » ou, dans un autre registre, « métiers du livre » -, la construction d'une identité singulière exige l'affirmation d'une spécificité. La communauté se décline aussi, parfois surtout, dans la différence, voire dans la divergence, ou même dans la concurrence. Parce que la proximité d'objets et de propos n'est que partielle. Mais aussi parce qu'à des questions comparables, les réponses peuvent être diverses, les choix différents, les stratégies éloignées, les conceptions opposées. Et c'est bien là que l'affaire gagne en subtilité. Eclairer les implicites, chercher à comprendre les logiques, à cerner les réponses que les uns et les autres ont apportées aux défis culturels de notre époque, comment chacun en a décliné les utopies et les croyances, c'est aussi ce que souhaite proposer cette livraison du BBF.

Cet ensemble est dédié à la mémoire de Jean Gattégno, acteur inlassable du développement des bibliothèques, et qui les avait toujours invitées à savoir, aussi, regarder ailleurs.