Musées, patrimoine culturel et multimédia interactif
études de cas, outils d'aide à la décision, perspectives de développement
Cécile Renault
Le multimédia est décidément à la mode... Avant d'engendrer (on l'espère) une avalanche de produits tous plus séduisants les uns que les autres, et qui témoigneront d'une ingéniosité sans limite au service de l'imagination, supposée elle aussi débridée, des utilisateurs, il suscite avec abondance la prose d'observateurs plus ou moins attentionnés.
Sous un titre un peu sévère, Musées, patrimoine culturel et multimédia se cache une étude tout à fait intéressante, solide, claire et bien documentée, même si, comme souvent, ce qui est annoncé ne correspond que partiellement à ce qu'on découvre à la lecture.
En premier lieu, on regrettera que les « Etudes de cas » annoncées se réduisent à la portion congrue, tout en n'en tenant pas rigueur à l'auteur : l'existence même de son étude prouve que peu sont les courageux à s'être aventurés sur le terrain de la production et de la diffusion de produits multimédias, et encore moins nombreux ceux qui ont éprouvé le besoin de témoigner de leur expérience. On est frappé, en consultant la bibliographie, du petit nombre de références faisant état de résultats, d'études d'impact et d'utilisation sur et par les usagers, d'analyses et d'estimations de rentabilité technique, culturelle, voire financière - ce dernier point étant souvent considéré comme tabou, voire inopérant dans le cas d'organismes institutionnels où il est difficile de se faire une idée effective des coûts de réalisation.
Un faible nombre de produits
Par ailleurs, si le terme de « multimédia interactif » semble recouvrir, selon une acception maintenant plus ou moins partagée, des produits exclusivement numériques, comportant des informations de natures diverses (textes, images, sons, vidéo), et supposant de la part de l'usager un comportement plus ou moins actif (avec des niveaux d'intervention très différents), le nombre de produits disponibles, et réalisés par des organismes culturels « de type musées » est extrêmement faible. Ainsi, même si l'auteur y fait parfois référence (après les avoir exclus de son champ de réflexion) les vidéodisques (analogiques) produits par la société ODA sur les musées du Louvre et d'Orsay ne peuvent être considérés comme relevant de cette catégorie.
De ce fait, l'exercice auquel se livre Cécile Renault est ardu : il s'agit, à partir d'un échantillonnage réduit et par conséquent peu significatif, sur lequel qui plus est on dispose de peu d'éléments quant à leur impact, de proposer aux décideurs culturels des éléments de réflexion, « d'aide à la décision », s'ils souhaitent à leur tour investir temps, argent, compétence et (mais oui) crédibilité dans des produits multimédias.
On ne peut pas considérer, à ce niveau, que l'ouvrage propose beaucoup de réponses. Curieusement, son intérêt est ailleurs, puisque, en toute rigueur et avant de se livrer à la prospective que son propos impose, Cécile Renault propose un « état des lieux » du patrimoine culturel et muséographique en tous points remarquables. Certes, les esprits chagrins remarqueront que les bibliothèques, et notamment les fonds anciens d'ouvrages et de manuscrits, qui relèvent en bonne logique de ce patrimoine, sont pratiquement exclus de son champ d'investigation. Pourtant, si l'on veut bien faire abstraction de ce regrettable oubli, le reste de l'ouvrage est passionnant, offrant une synthèse documentée sur des organismes qui, pour être parfois proches des bibliothèques, sont souvent mal connus.
Conserver et montrer
Replaçant les musées français dans le spectaculaire développement quantitatif et qualitatif qui est le leur depuis une dizaine d'années, les distinguant selon la typologie de leurs collections, détaillant leurs missions, complexes et hétérogènes, elle illustre chaque part de son exposé d'exemples pris à bonne source, principalement en France, mais quelquefois à l'étranger.
Partagée en deux « genres » principaux, les musées d'œuvres d'art et ceux d'objets de témoignage, la problématique muséographique s'organise autour du classique dilemme, conserver et montrer. Dilemme familier aux responsables de fonds anciens, dont l'auteur montre que, notamment grâce à l'apport de l'informatique et des nouvelles technologies, il peut être contoumé, sinon éliminé. On lui saura gré, cependant, de souligner que les besoins scientifiques (décrire pour mieux conserver, gérer pour mieux préserver) et les besoins de diffusion (montrer pour valoriser, expliquer pour distraire ou éduquer) ne sont que partiellement compatibles et que, s'il ne faut jamais sacrifier les uns pour les autres, les objectifs, souvent fort dissemblables, obéissent à des logiques de mise en œuvre et d'usages parfois incompatibles.
Détaillant les réussites comme les échecs, elle relativise les premiers comme les seconds : non, les bases de données « image » ne sont pas forcément la panacée pour une recherche iconographique ; oui, les bases de données textuelles, si l'on s'efforce d'harmoniser les critères descriptifs, peuvent constituer de bons outils de gestion et de travail.
Pour ce qui est de l'apport de produits multimédias dans l'approfondissement de telle ou telle mission des musées, ou pour le développement de missions nouvelles, elle se garde de tout triomphalisme et évite d'asséner des déclarations d'un optimisme péremptoire. On veut voir dans cette prudence raisonnée et dans cette sagesse résolue le signe d'un important travail de collecte de données et d'expériences (pas seulement écrites) qui change agréablement des déclarations prophétiques de tel ou tel hérault du multimédia - les mêmes qu'on avait vus à l'œuvre, il y a près de quinze ans, à l'avènement du vidéodisque, les mêmes aussi qui n'avaient pas su prévoir l'invasion de la microinformatique. Musées, patrimoine culturel et multimédia interactif est rédigé dans un langage clair, sans utilisation abusive d'un vocabulaire trop technique : les missions et activités des différents types de musées y sont rapidement présentées, les différents types de musées sont détaillés, expliqués. Le descriptif des expériences en cours ou des réalisations qui répondent spécifiquement au concept de « multimédia interactif » est rejeté en fin d'ouvrage, tout comme la liste des adresses... et des personnes « utiles », à contacter si l'on veut avoir des détails sur tel ou tel produit. Le monde du multimédia français n'est ni si actif ni si étendu que les personnes figurant dans l'ouvrage ne puissent être contactées - sans doute se livreront-elles bien volontiers...
Au final, on ne sait trop si l'auteur recommande de s'essayer à l'aventure de la conception, de la production et de la réalisation d'un multimédia interactif. Elle souligne que la grande disparité des institutions culturelles potentiellement concernées - des « monstres » du type Orsay ou Louvre aux petits, style musée de la carte postale ou de villes de taille moyenne - ne permet pas de proposer des outils d'aide à la décision qui leur soient communs.
Les responsables de musées trouveront dans Musées, patrimoine culturel et multimédia interactif un exposé complet de leurs missions, et des avantages et inconvénients liés à l'utilisation du multimédia dans leur accomplissement. Les bibliothécaires et documentalistes y trouveront en sus un descriptif commode d'un domaine proche mais parfois étranger. Les uns comme les autres n'y trouveront que peu d'éléments techniques pour compléter leur information sur le sujet : outre qu'il existe déjà de nombreux ouvrages sur cet aspect du multimédia, cette volonté de ne pas le privilégier est tout à l'honneur de l'auteur. La cohérence de son exposé témoigne de ce que la technique est une réponse et non une question, pour ce qui est de la gestion et de la communication du patrimoine culturel.