Les transformations du système éducatif
acteurs et politiques
Paris : L'Harmattan, 1993. - 369 p. ; 24 cm.
ISBN 2-7384-1868-6 : 180 F
Dans l'avant-propos, Eric Plaisance resitue ce corpus d'études dans son contexte, à savoir les journées scientifiques sur « le changement en éducation » qui ont eu lieu à l'université René Descartes-Paris V les 11, 12 et 13 janvier 1990, corpus qui recense 23 communications centrées sur la sociologie de l'éducation. Il nous livre ensuite une réflexion à « propos du changement en éducation, retour critique sur le débat histoire-sociologie », où il analyse les rapports entre les paradigmes dominants de ces deux disciplines depuis le début de ce siècle.
Le corps enseignant
La première partie 1, s'ouvre sur une introduction de Régine Sirota : « Le corps enseignant : évolution de l'objet social et renouvellement des problématiques, quelques points de repère à partir de la thèse d'Howard Becker sur les institutrices de Chicago (1951) ». L'auteur y oppose les principaux points d'analyse d'un des tout premiers travaux en sociologie de l'éducation essentiellement centré sur la notion de carrière, aux points de vue développés dans ce colloque, à savoir une analyse davantage axée sur la socialisation professionnelle, à partir d'approches méthodologiques et théoriques très diverses, qui font de ce recueil d'études indéniablement un recueil de méthode.
Ainsi Philippe Perrenoud, s'interroge-t-il sur « La division du travail pédagogique à l'école primaire » en Suisse. L'accent est mis sur la complexification des tâches, des rôles et sur l'apparition de nouveaux acteurs pédagogiques, de nouvelles façons de travailler. Ainsi l'enseignant a de plus en plus tendance à se spécialiser, non pas en fonction d'une logique de découpage disciplinaire, mais en fonction d'un certain type de problèmes ou d'élèves. La division du travail apparaît alors comme « réponse possible à la complexité ».
Viviane Isambert-Jamati développe dans son texte « Des droits de l'homme à la constitution de l'Europe, les choix des professeurs de l'éducation civique dans les collèges français aujourd'hui », une analyse sur la différence et les présupposés entre le curriculum formel du programme d'éducation civique mis en place par J.-P. Chevènement en 1985 et les curriculums réels, tels qu'ils sont effectivement enseignés dans les classes de 4e.
Les instituteurs
Frédéric Charles mène à travers « Les transformations du recrutement des instituteurs entre 1955 et 1984, le cas des deux écoles normales parisiennes » une analyse sociologique du recrutement où il étudie plus profondément l'influence des classes sociales sur les processus de valorisation ou de dévalorisation de la profession d'instituteur. Ainsi, selon lui, la crise actuelle de l'école pourrait s'expliquer en partie par la sociologie des promotions de l'école normale : entre 1955 et 1973 l'importante ouverture de l'école normale aux classes populaires et moyennes fut largement vécue comme une promotion sociale, alors qu'à partir de 1974, le recrutement se faisant davantage auprès de classes sociales plus favorisées, le métier fut davantage vécu comme une situation de déclassement social.
C'est à une tout autre approche méthodologique que nous convie Guy Vincent avec sa « Biographie d'un instituteur », où l'auteur développe les fondements de la méthode biographique, afin d'y illustrer une « conception de l'acteur social comme sujet historique »... Un texte qui analyse et permet de mieux comprendre les rapports d'un enseignant et de son « historicité ».
Andrée Louvet s'interroge sur « La prise de fonction et la socialisation professionnelle des enseignants, une enquête sur la première année d'exercice des instituteurs », où sont développés les aspects relatifs aux motivations et conditions de la nomination, le vécu professionnel et les pratiques quotidiennes, ainsi que les jugements portés sur la première année d'exercice à partir d'une enquête quantitative portant sur 850 nouveaux instituteurs.
Andrée Robert à travers son texte « Réponses syndicales au phénomène de désyndicalisation dans les années 80, recours à une logique strictement syndicale et/ou à une logique professionnelle ? » se pose la question de l'apparente désyndicalisation d'un corps enseignant pourtant à forte tradition syndicale.
Martine Kherroubi et Marie-France Grospiron dans « Métier d'instituteur et enfant-client » développent, à partir d'une quarantaine d'entretiens de longue durée auprès d'enseignants du primaire exerçant dans le Val-de-Mame, les représentations, conceptions et motivations que ceux-ci entretiennent vis-à-vis des enfants.
Cléopâtre Montandon dans « Les relations entre les familles et l'école, de quelques effets sur l'identité des enseignants » se pose la question de savoir si l'évolution des relations entre les familles et l'école n'a pas agi sur une renégociation du rôle de l'enseignant.
Avec « Le développement des formations postscolaires et la transformation de leurs rapports à l'école en Belgique francophone », Christian Maroy s'intéresse à l'évolution du « positionnement » des institutions s'occupant de formation, d'enseignement ou d'éducation par rapport à l'école et aux concepts structurant ce champ. L'auteur y montre le passage d'une certaine « dépendance » de celles-ci à un positionnement plus critique, voire revendicatif au fur et à mesure que cette sphère s'autonomise et se légitime vis-à-vis d'une école que l'on accuse de plus en plus ouvertement de fabriquer de l'échec et qui n'apparaît plus comme le seul lieu de formation possible. Aussi l'émergence de ces nouveaux acteurs a-t-elle tendance à entamer par leurs discours la légitimité de cette dernière, dans un contexte où les enjeux et les acteurs deviennent pluriels.
Les transformations de l'école
La seconde partie de l'ouvrage est plus particulièrement consacrée aux « transformations de l'école, diversité institutionnelle et dynamiques locales ». Dans l'introduction de cette seconde partie, « La sociologie de l'éducation face à la diversité institutionnelle et aux dynamiques locales », Agnès Henriot-Van Zanten rappelle que l'institution scolaire a longtemps été perçue comme l'œuvre la plus accomplie du centralisme français d'organisation bureaucratique et comme outil de conservation de l'ordre social. Toutefois ces analyses ne fournissent pas tous les éléments nécessaires à la compréhension des dynamiques locales. Aussi l'auteur y rappelle la nécessité de procéder à un renouvellement profond des approches théoriques et méthodologiques afin de mieux appréhender le changement et la diversité.
Ainsi Anne Van Haecht et Dominique Baugard dans « Autour du décrochage scolaire : du savoir local au savoir global. Naissance, vie et mort d'une recherche financée par le ministère de l'Education », s'interrogent sur les conditions d'un savoir sociologique qui permet une réflexion sur une problématique de départ, sans pour autant avoir de moyens d'action immédiats 2.
C'est également cette question de l'application et des effets de la recherche aux directives ministérielles qu'Evelyne Burgière développe dans « La concordance des temps. L'aménagement des rythmes de vie des enfants à l'école maternelle et élémentaire, politique publique, productions scientifiques, initiatives locales ». Cette étude, tournant autour de l'étude scientifique des rythmes scolaires, montre que l'Etat a favorisé à la fois des problématiques de recherche et des procédures d'expérimentation à partir d'initiatives locales, créant ainsi des dynamiques et des rapports nouveaux entre acteurs institutionnels.
A travers « Les nouveaux enjeux de la décentralisation en matière de constructions et d'équipements scolaires », Marie-Odile Nouvelot-Gueroult analyse les jeux et réseaux relationnels constitutifs des opérations de programmation architecturale et de décision en matière d'aménagement des locaux scolaires d'établissement agricole sur sept régions françaises.
Marie-Claude Derouet-Besson s'intéresse elle au conflit qui a opposé deux villages pour la construction « en dur » d'un collège, monographie qui pose en toile de fond le principe de la relocalisation du service public et de ses enjeux politiques.
L'orientation scolaire
Gérard Stéphan, dans « L'orientation scolaire, réajustements locaux et formes de généralité » étudie les pratiques d'orientation d'un conseil de classe de 3e pour en décortiquer les logiques d'évaluation, qui ne s'appuient pas uniquement sur la norme des résultats scolaires (la moyenne), mais entrent dans un cadre beaucoup plus large pouvant conduire à une véritable gestion de l'incertitude pour les cas litigieux. L'auteur insiste également sur les formes de concertation du conseil de classe qui rendent le dispositif plus transparent, plus ouvert, voire plus légitime. Ainsi les évolutions dans les processus d'orientation correspondraient à la nécessité de « fonder un point de vue acceptable sur une pluralité de principes de justice ».
Jacqueline Gautherin, dans « La latitude des lycées : autonomie et décentralisation dans l'enquête parlementaire de 1899 », rappelle les prises de position de l'enquête de 1899 (sur l'état de l'enseignement secondaire) au sujet de l'autonomie des établissements d'où émergeait déjà « une définition du local assez proche de celle que l'on observe aujourd'hui ».
Jean-Pierre Briand, dans « L'action de l'Etat et des collectivités locales dans le développement de la scolarisation post-obligatoire sour la troisième République », montre que l'opposition Etat/communes ainsi que la dichotomie central/local est insuffisante pour rendre compte de la diversité des cas. A travers une analyse historique, l'auteur analyse l'influence des acteurs et facteurs locaux vis-à-vis de la structuration éducative à Marseille et à Paris et invite ainsi à « relativiser le modèle centralisé souvent admis sans fondement empirique et à prendre comme fil directeur les relations entre les communes et l'Etat sur une période assez longue ».
Avec « Pôles régionaux d'enseignement supérieur et zones d'activités à haut niveau technologique », Michel Grossetti, en prenant comme exemple principal Toulouse, propose une analyse sur les rapports entre enseignement supérieur, technopôle et dynamique sociale.
Jean-Louis Derouet, dans « Projet politique et projet scientifique, la connaissance des phénomènes éducatifs dans une confoncture de renégociation des équivalences », pose le paradoxe du choix difficile entre une connaissance monographique locale et une connaissance statistique nationale. Il met en lumière l'influence des méthodes dominantes d'analyse sur la construction de la réalité politique 3. D'où une argumentation pour un cadre constructiviste qui comprendrait « les procédures par lesquelles les individus passent du particulier au général » et dont la sociologie serait une science seconde, « une science de la science des acteurs ».
Dans « Entre la diversité institutionnelle et la dynamique locale, les effets contextuels », Marie Dru-Bellat et Alain Mingat mettent en évidence ce qu'ils nomment l'« effet établissement » en constatant par une approche différenciée et statistique l'impact de la « tonalité sociale » d'un établissement sur le taux de réussite scolaire.
Enfin, Jean-Michel Berthelot, dans son texte « Scolarisation et système d'action localisé » cherche à intégrer les logiques causale et fonctionnelle (ou systémique) à celle d'acteur, méthode qui revendique l'appellation théorique d'« analyse sociétale ».
Au-delà des apports, éclairages et intérêts variés propres à chaque texte, ce recueil constitue une véritable micro-cartographie de la recherche, des méthodes et des principaux courants en sociologie de l'éducation. On ne pourra que regretter le délai un peu long entre la tenue du colloque (janvier 1990) et l'impression du volume (avril 1993).