Bibliothèques municipales
données 1991
« Un dictionnaire sans citation n'est qu'un squelette ». Les eût-il pratiqués, Voltaire aurait sans doute volontiers transposé son propos aux tableaux chiffrés déroulés sans indicateurs dynamiques de tendance. On rappellera sans regret ici la défunte liste des Statistiques à couverture monochrome où des milliers de nombres livraient à une perplexe curiosité les mensurations des bibliothèques municipales qui se donnaient la peine de renvoyer le copieux questionnaire d'une douzaine de pages. Cela permettait certes d'aborder tel ou tel établissement qui s'était signalé à notre curiosité, mais l'essentiel de la bibliothèque concernée ne pouvait être appréhendé qu'après visite ou entretien. Un chiffre ne révèle un sens que dans son contexte, comme un mot dans une phrase.
Moyennes et tendances
Le contexte retenu par la Direction du livre pour cette seconde édition des Données, désormais annuelles, concernant les bibliothèques municipales est celui de la durée. D'un volume maniable, d'une présentation claire et élégante, le recueil n'a pour ambition que d'exposer des moyennes et de dégager des tendances. Les communes sont groupées en 9 strates, depuis celle de moins de 2 000 habitants jusqu'à Paris. Pour chacun des points abordés est donné le nombre de bibliothèques ayant répondu au questionnaire désormais allégé ; des analyses introduisent chaque chapitre que complètent quelques notes ou calculs de ratios. Les principaux indicateurs sont repris dans une fiche « mémo » qui comporte un rappel des résultats de l'exercice antérieur, 1990.
Il faut prendre les chiffres dans la perspective qu'ouvre Jean-Sébastien Dupuit dans sa préface : « Juste retour aux bibliothèques de l'effort qu'elles fournissent ». Les limites d'un tel document sont celles de ses sources. En raison même du mode de calcul, quelques bizarreries se font jour : par exemple 1 450 bibliothèques municipales (BM) sur les 1 885 prises en compte ont fourni le total de leurs collections de livres en 1991, contre 1 614 en 1990, il en résulte que le « total » des livres baisse de près d'un million, alors que les acquisitions ont progressé de 500 000 unités.
L'intérêt des Données, dont le nom indique assez qu'elles ne sont pas bilan, est de laisser du temps à la durée. Trois pages concluent cette édition pour rappeler quelques ratios de 1980. Où l'on se rend compte que l'échantillon des BM a été multiplié par 2 (comme leur surface totale qui atteint 1,3 M de m2), que l'effectif a crû de 80 % (avec une sensible progression des emplois spécifiques), que les dépenses d'acquisitions sont 3,6 fois ce qu'elles étaient 10 ans plus tôt. 18,2 % de la population desservie fréquentent les équipements où plus de 116 millions de transactions ont été effectués (à 89 % avec les livres), contre 62 millions en 1980. Le développement le plus considérable concerne, à tous points de vue, la vidéo. Tout aussi continûment se poursuit la « réduction » des heures d'ouverture ; au problème déjà pointé par Louis Yvert concernant les médiathèques récentes s'ajoute la meilleure prise en compte des petites bibliothèques, rendue possible par le travail en profondeur des bibliothèques départementales de prêt (BDP), aussi bien pour leur création que pour leur signalement.
Ce recueil statistique ressemble à la langue d'Esope : tout lecteur peut y trouver argument à sa convenance. D'aucuns s'étonneront de la progression du nombre des prêts, s'interrogeront sur les notions relatives de « fonds patrimonial » ou de livres « adultes » ou « enfants », s'étonneront des ratios retenus : le nombre d'abonnements pour 100 habitants est-il plus pertinent que le nombre moyen d'abonnements par bibliothèque de la strate ? Bref, devant ces chiffres, malgré l'épaisseur chronologique ou l'étendue géographique (8 cartes ont été insérées), chacun cherchera le sens de l'histoire, ce supplément d'âme qui animera ses propres convictions.
Une évaluation documentaire
C'est à ce stade limite que se situe l'intérêt du document. Le directeur du livre et de la lecture qualifie de prioritaire aujourd'hui « la meilleure correspondance entre l'effort consenti pour l'investissement et celui consenti pour le fonctionnement ». Il sera toujours utile de mesurer les moyens, et d'éclairer l'action nationale par des témoins régulièrement mis à jour ; à cet égard, l'objectif affiché demeure la publication des résultats dans l'année qui suit celle de leur collecte, en dépit des vérifications et des analyses. Que chacun se situe par rapport aux moyennes de sa catégorie est assez naturel, qu'il s'y réfère spontanément est assez tentant, mais aussi pemicieux. Les Données permettent de comparer « l'effort » fourni, aucunement d'apprécier la valeur qualitative des résultats obtenus par rapport aux objectifs spécifiques de chaque établissement, et l'on abandonne alors l'évaluation statistique pour l'évaluation documentaire, au sens le plus public du terme.
Nous disposons désormais d'un décor rénové, mais la pièce n'est pas jouée.