Environnement et conservation de l'écrit, de l'image et du son
Philippe Rouyer
Du 16 au 20 mai se sont tenues les deuxièmes Journées internationales d'étude de l'Arsag (Association pour la recherche scientifique sur les arts graphiques) *. Les nombreux participants (près de 300, venus de 27 pays différents), ont bénéficié de conditions de travail particulièrement favorables, l'Institut du monde arabe ayant généreusement mis ses locaux à la disposition de l'association.
Depuis sa fondation, l'Arsag a considérablement élargi le champ de ses investigations, qui s'étendent désormais à tous les supports du document. Ces journées ont donné lieu à plus de 50 communications. Les intervenants, professionnels ou scientifiques hautement spécialisés, ont, en dépit du caractère pointu de certains thèmes, réussi à transmettre le résultat de leurs recherches dans un langage clair, relativement accessible au profane. Ce dernier point nous semble essentiel. En effet, la conservation des supports d'information ne concerne pas les seuls gestionnaires de fonds anciens, conservateurs de musées et d'archives, mais l'ensemble des utilisateurs, producteurs et gestionnaires d'information.
Dans un environnement hostile, la durée de vie du document peut être extrêmement brève, au point que des problèmes de conservation peuvent naître avec des documents opérationnels, en cours d'exploitation. A titre d'exemple, les diapositives d'une photothèque peuvent devenir inutilisables en quelques années. E. Zinn (IPI-Image Permanence Institute) a souligné, dans sa communication, la rapidité d'action des polluants atmosphériques sur la plupart des procédés couleur.
Agir à plusieurs niveaux
Indépendamment des méthodes traditionnelles de restauration, dont nous avons vu plusieurs exemples remarquables, nous pouvons agir à plusieurs niveaux contre le vieillissement des documents. L'application d'un traitement préventif peut être efficace (solution Silverlock destinée à protéger les films photographiques, cinématographiques et microfilms contre l'oxydation, nourritures pour cuir résistant aux attaques chimiques et biologiques...). On peut aussi introduire dans les boîtes de stockage des tamis moléculaires, capables de retenir les acides, les oxydants et les solvants dégagés par le document. Il faut aussi lutter contre les agresseurs : de nouveaux moyens de destruction des insectes ont été expérimentés. L'utilisation d'une atmosphère appauvrie en oxygène a donné de bons résultats sur des manuscrits, en Grèce. En revanche, il ne semble pas que les rayons gamma puissent, en l'état actuel, être utilisés pour la désinfection des papiers.
La pollution atmosphérique est difficile à contrôler. La première mesure à prendre consiste à surveiller la contamination de l'air. C'est ainsi que le Service de la conservation de la Bibliothèque nationale a entrepris la surveillance de la biocontamination dans les magasins. D'autres dangers menacent les documents. L'assistance a été vivement impressionnée par l'exposé de Y. Levrey (EDF) sur les conséquences d'une explosion nucléaire à haute altitude.
Prudence et circonspection
La conservation est un domaine où prudence et circonspection sont de règle. Avant tout, il convient de « ne pas nuire ». Ne pas nuire tout d'abord à l'objet à conserver par des « restaurations » irréfléchies, satisfaisantes dans l'instant, et destructrices à moyen terme, ainsi que l'a rappelé Jean Favier dans son allocution. Ne pas introduire des substances nuisibles par l'utilisation de conteneurs ou de matériels de protection inadéquats. Il importe aussi de ne pas nuire à l'homme : des biocides, comme l'oxyde d'éthylène, sont en partie absorbés par le document, et peuvent être à l'origine de maladies graves chez l'homme (C.J. Shahani, Library of Congress).
Dans la mesure où les réactions de décomposition sont inévitables, il faut les ralentir en abaissant l'humidité relative et la température de stockage. L'accent a longtemps été mis sur les conséquences d'une humidité excessive, notamment pour la conservation des archives photographiques et cinématographiques. P. Adelstein (IPI) a résumé les conclusions des travaux les plus récents : les avantages de l'abaissement de l'humidité relative et de la température sont cumulatifs, et l'abaissement de la température de stockage joue un rôle prépondérant.
Avant tout, il faut agir à la source, en évitant de créer des documents sur un support que l'on sait par avance périssable. Or, si les mémoires optiques ou magnétiques ne se conservent pas plus mal que les autres supports, l'évolution rapide des procédés d'enregistrement et des matériels rend périodiquement ces documents inexploitables. En vidéo, par exemple, 17 formats incompatibles sont apparus depuis 1956, dont 11 formats professionnels. Sur les 11 formats professionnels, 6 ont disparu à ce jour. Il faut donc envisager soit la recopie périodique dans un nouveau format, soit le transfert, par sécurité sur des supports à lecture directe (film photographique). Si le développement de nouveaux supports numériques exceptionnellement durables (CD-Rom sur verre « Century » de Digipress) représente un indéniable progrès, le problème posé par l'évolution inéluctable des procédés d'enregistrement et du matériel demeure.
Le papier permanent
Pour le papier, la question ne se pose pas véritablement en termes techniques. Il est aujourd'hui possible d'imprimer, selon les procédés habituels, tous types de documents, sur du papier « permanent » (non acide) et ce sans majoration du coût. Bien plus, l'encollage neutre est plus économique que l'encollage acide traditionnel (B. Mongolfier, papeteries Canson). Si le papier recyclé ne convient pas à l'archivage à long terme (D.J. Priest, University of Manchester, Institute of science and technology) la présence de lignine dans la pâte n'est plus obligatoirement préjudiciable à une durée de vie satisfaisante (X Zou, Pulp and Paper Research Institute, Québec). Répandu dans les pays anglo-saxons, et particulièrement en Amérique du Nord, le « papier permanent » est encore mal connu en Europe continentale. M. Walckiers (European Foundation for Library Cooperation, Bruxelles) a démontré que l'industrie papetière européenne était en mesure de répondre aux besoins de l'édition. Or la demande reste faible. En France, les associations professionnelles de bibliothécaires et archivistes n'ont pas tenté, contrairement aux associations américaines, de faire pression sur les éditeurs pour imposer l'emploi de papier permanent. Une campagne d'opinion serait à entreprendre. En un premier temps, les éditeurs institutionnels pourraient montrer l'exemple. Au cours des débats, la nécessité de sensibiliser les bibliothécaires aux problèmes de conservation du papier a été soulignée à deux reprises. Il reste donc à souhaiter que notre profession, assez peu représentée cette année, vienne en nombre aux prochaines Journées internationales de l'Arsag.